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2 Façonnement de l’intérieur de l’individu

Chapitre II : L’éducation spirituelle de Muhammad al-Harrâq à travers l’étude

II- 2 Façonnement de l’intérieur de l’individu

Le façonnement de l’intérieur de l’individu englobe : ➢ la pureté de l’intention (Ikhlâs),

➢ la fraternité

➢ le détachement de tout ce qui n’est pas Dieu (Zuhd), ➢ l’invocation (Dhikr)

➢ et le combat spirituel (Mujâhada)

Ces principes sont développés notamment dans les lettres 4, 7, 9, 10, 12, 36, 40 et 47446.

Synthèse du sous chapitre

Le façonnement de l’intérieur commence par la pureté de l’intention (Ikhlâs) dans l’acte, la parole et la pensée, elle est la condition sine qua non pour entamer la « voie de Dieu » pour al-Harrâq, elle accompagne le disciple dans tout son cheminement et permet de donner le sens et la vie à ses pratiques. Elle est mentionnée dans toutes les lettres citées et constitue l’épine dorsale de l’éducation spirituelle pour al-Harrâq.

Ensuite le détachement (Zuhd)447 est perçu comme le produit du combat spirituel intérieur (Mujâhada) et de la fraternité. Le disciple se détache proportionnellement à son assiduité dans son combat et grâce à l’amour de ses frères en Dieu, il délaisse les mauvaises qualités (Takhallî) au fur et à mesure qu’il se pare des bonnes (Tahallî). Au bout du chemin, il atteint la réalisation (Tahqîq) et le dévoilement (Kashf) où il « voit » « entend » et « agit » par Dieu, cette « Haqîqa » ne l’empêche pas d’être socialement intégré assurant ses responsabilités mondaines et se gardant de dévoiler son secret, c’est le respect de la Sharî‘a dans la forme et le fond qui lui impose l’humilité et la continuité dans l’action de grâce par l’adoration assidue.

Le moyen par excellence de ce combat est le Dhikr abondant du Seigneur (qu’il soit individuel ou collectif), le Dhikr purifie le cœur et permet au disciple de vaincre ses deux ennemis invisibles, son âme charnelle (son ego) et Satan. Le ‘aql (la raison) s’imprègne des

446Al-Nûr al-lâmi‘a al-barrâq fi al-ta‘arîf bi Sheikh al-Harrâq p :47 et suivantes. Voir le résumé de chaque lettre

en annexe.

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lumières seigneuriales et s’uni à cette dernière pour atteindre la certitude qui dissipe le doute et transforme le disciple en « parfait réalisé » se détachant de tout obstacle qui pourrait lui obstruer le chemin vers l’Absolu.

Détails du sous chapitre

Al-Harrâq défini le but même de la création de l’homme448, « Je n’ai créé les Jinns

(génies) et les Hommes que pour M’adorer »449, al-Harrâq évoque l’interprétation du compagnon ‘Abd Allah Ibn al-‘Abbâs450 de ce verset : « M’adorer, c’est me connaître »451. L’on ne peut adorer Dieu sans Le connaître et la connaissance est le début de l’Amour qui est le chemin le plus court vers la réalisation spirituelle. Al-Harrâq comme la plupart des soufis mentionne la maxime à propos de la divinité : « Je fus un trésor caché non connu et J’ai créé la création pour Me faire connaître »452. Al-Harrâq désigne ainsi comme ses prédécesseurs le combat spirituel (Mujâhada) comme un but pour accomplir la mission de l’être qui est de connaître son Seigneur, à travers la connaissance de soi-même, de l’âme et ses vices et commencer ainsi le voyage initiatique vers Lui avec les moyens que le maître définit à travers ses lettres.

Al-Harrâq aborde la pureté de l’intention et la sincérité de l’orientation vers Dieu453 qui est le début même et la condition du cheminement du disciple dans la voie spirituelle. Al-Harrâq évoque la transcendance de l’intention. Tant que le disciple est attaché à autre que Dieu dans son aspiration, il ne pourra atteindre la réalisation spirituelle, quand bien même son but serait noble comme l’accès au Paradis ou aux récompenses divines (hasanât). L’élu, ajoute-t-il, adore Dieu pour Dieu et non accessoirement par rapport à une récompense ! Ainsi il atteindra la vraie richesse car son cœur sera attaché à Dieu seul et rien d’autre ne l’occupera ni ne le détournera,

448 Référence : lettre 47. Nous commençons ici par l’analyse de cette lettre avant les autres au regard de son importance, car elle définit le but même de l’existence humaine au sens du soufisme prôné par al-Harrâq et donc le sens et la motivation d’un combat spirituel.

449 Coran, sourate 51, verset 56.

450 Surnommé l’interprète du Coran, cousin du Prophète, né trois ans avant l’hégire et mort en 68H/687A.J à Tâif. Il est parmi les quatre ‘Abd Allah qui ont transmis la science du droit (Fiqh) qui va naître plus tard à l’époque ‘Abbaside.

451 RAZI (RAZES), al-, Fakhr al-Din, al-Tafsîr al-kabîr, volume 14, chapitre 28. QURTUBÎ, al-Jâmi‘ li ahkâm

al-qourâne, 9/17 page 38.

452 Ibn Taymiyya, al-Suyutî, al-Zarkashî, al-Hâfiz Ibn Hajar et autres savants confirment que cela n’est pas un hadîth.

453 Référence : lettre 36. Nous abordons ici cette lettre avant les autres pour respecter l’ordre des idées, car l’intention précède les actes.

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aucun mal ne l’affligera et rien ne lui manquera car il aura trouvé l’Absolu qui lui suffit et le nourrit généreusement par Ses flux spirituels (madad).

Al-Harrâq met en valeur « la fraternité en Dieu, le mérite du frère en Dieu et la recommandation de se réunir en groupe pour l’invocation de Dieu avec la sincérité de

l’intention »454. Il évoque la relation -qui doit lier les disciples- basée sur le ciment de la

fraternité spirituelle. Il insiste sur le caractère désintéressé de cette relation, qu’elle doit être pure pour Dieu. Le lieu (la zawiya) des réunions spirituelles constitue pour al-Harrâq le lieu des épiphanies où l’on reçoit à mesure de son Amour pour « ses frères » et de son intention pure dans l’acte du Dhikr. Il justifie ses propos par des Hadîths qui vantent le mérite de la fraternité et l’importance du nombre pour la « baraka » (bénédictions) et le « madad » (flux spirituel venu du domaine de l’invisible). Il qualifie ces flux de « subsistance (Rizq) spirituelle ». Il qualifie les frères en réunion spirituelle comme le rempart le plus invincible et le plus fort contre les ruses de Satan. Il les invite à être « des hommes » qui sont sourds aux détracteurs et les encourage à se réunir le vendredi, après la prière du vendredi, au regard de sa spécificité455. Il insiste également sur le grand mérite du Dhikr et des réunions spirituelles dans ce monde et dans l’autre à condition de se détacher (Tajrîd) de tout ce qui n’est pas Dieu, car dit-il : « Dieu n’accepte que l’action qui est pure pour Lui seul » « Gare donc à vous que Dieu vous voit orienté vers autre que Lui ! Vos pensées doivent être purement vers Lui, alors Il vous

dévoilera la beauté de Sa Lumière qui vous détachera de tout ce qui n’est pas Lui, ne voyez rien si ce n’est Lui alors vous serez volontairement hors de l’univers (le monde sensible)

quand bien même vous y demeurez avec votre corps » insiste-t-il.456

Al-Harrâq explique que : « le chemin le plus sûr pour le cœur afin d’arriver à sa fin est le Dhikr permanent et abondant de Dieu et l’échange avec les frères en Dieu qui voient avec l‘œil de l’Amour »457. Il insiste sur le fait que le serviteur reçoit la bienveillance divine à mesure de sa bienveillance dans l’adoration et vis à vis de ses frères. La purification du cœur du disciple est tributaire de l’orientation du cœur vers la « Qibla » de la prosternation du cœur qui n’est autre que la Lumière seigneuriale. Le maître évoque également l’importance de la réunion avec les frères, la nécessité de l’amour et l’importance de l’invocation abondante du Seigneur pour arriver à cet amour et par là à la réalisation (Tahqîq).

454 Référence : Lettre 4.

455 Ce qui est le cas jusqu’à ce jour à sa zawiya de Tétouan.

456 Référence : Lettre 4.

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Il indique458 que tous les actes de bien (khayr) se résument à une seule action, celle de purifier le cœur « ‘aql »459 (qui est à la fois réceptacle et acteur). Il l’a nommé ‘aql en référence à la parole coranique : « n’ont-ils pas parcouru ces contrées et qu’ils aient des cœurs avec

lesquels ils réfléchissent (ya‘qilûnabihâ) […] Ce ne sont pas les regards qui sont atteints de

cécité mais les cœurs enserrés dans les poitrines »460. Il insiste sur l’obligation de cette purification en référence à la parole coranique : « le jour où ni les biens ni les enfants ne seront de la moindre utilité, si ce n’est pour celui qui se présentera devant Dieu avec un cœur pur »461. Al-Harrâq n’a pas innové à ce niveau car d’autres auteurs ont également évoqué cette notion de cœur qui disposerait de fonctions liées à la réflexion et à l’intelligence notamment Abû Tâlib al-Makkî (déjà cité) dans son Qût al-qulûb (nourriture des cœurs) qui a fortement inspiré al-Ghazali dans son Ihyâ.

Il évoque pour mettre en valeur le rôle du cœur et donc l’importance de la pureté de l’intention et de la présence avec Dieu, la tradition : « Combien de jeûneur ne récolte de son

jeûne que la faim et la soif et combien d’orants la nuit ne récolte de sa prière que la veille »462

Ainsi les actes sont des formes mortes dont l’esprit réside en la pureté de l’intention qui est en eux.

Le regard d’amour des frères peut transformer, selon al-Harrâq, le cœur « assombri » de celui qui a commis « les péchés de l’univers entier » de l’obscurité vers la lumière car « les frères » n’aiment que ce que Dieu a aimé ! Ils élèvent ainsi par leur aspiration spirituelle (Himma) celui qu’ils aiment et transmettent généreusement par un effet de « diffusion » les flux spirituels qu’ils ont reçu comme l’on transmet le musc en référence à la tradition prophétique : « Le compagnon vertueux et le compagnon malfaisant sont respectivement comparables

au vendeur du musc et au forgeron. Le vendeur du musc t’en donne ou t’en vend ou encore il émane de sa personne une odeur agréable, tandis que le forgeron risque de brûler tes habits ou il répand une odeur nauséabonde »463

458 Cf. Lettre 7.

459‘aql signifie la raison mais le maître ici confond volontairement les deux notions ‘aql (raison) et qalb (cœur),

car pour lui la raison qui nous distingue et nous honore par rapport aux autres créatures est bien celle liée au cœur qui l’empêche de dévier et de sombrer vers les penchants terrestres. Même lettre.

460 Coran, sourate 22, verset 46. Traduit et annoté par A.Penot.

461 Coran, sourate 26, versets 88 et 89. Traduit et annoté par A.Penot. Versets cités dans la lettre 7.

462 IBN HANBAL, Ahmad, Musnad Ahmad Ibn Hanbal, Beyrouth, ‘âlamu al-Kutub, première édition, 1998, hadîth n° 8843, 3 /379. Tradition citée dans la lettre 7.

463BUKHARI : le livre des bêtes à égorger et du gibier : dans « Le sommaire du sahih al-Bukhârî » Tome II, par L’Imâm Zein al-Dîn Ahmad ibn ‘Abd al-Latîf al-Zubaydî : Hadîth 1926 (p 823).

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Al-Harrâq évoque un concept qui paraît étrange pour les non-initiés, c’est le fait qu’un acte de désobéissance peut amener au Paradis ! Et qu’un acte d’obéissance peut amener en Enfer !

En effet, l’interprétation qu’il développe464 est que l’ostentation -qui est une maladie intérieure très grave pour les soufis et un péché selon la tradition- voile le cœur et corrompt l’acte, même si ce dernier semble en apparence être un acte de bien ! D’où l’idée d’une obéissance qui mènerait à l’Enfer si elle a été accomplie pour (plaire) à autre que Dieu.

D’autre part, un acte de désobéissance peut amener à un repentir, une humilité et une abnégation qui sont des qualités qui rapprochent du Seigneur car « celui qui s’abaisse à Dieu, Il l’élève » et celui qui est dans l’Idtirâr (besoin extrême) à Dieu, Il le comble de son soutien (madad) et l’exauce promptement.

Al-Harrâq insiste encore à plusieurs reprises dans ses lettres sur l’obligation de se rapprocher de Dieu par la pratique régulière du Dhikr et du Wird465, par la réunion spirituelle avec l’amour en Dieu et la fraternité. Il affirme que le vrai invocateur est celui qui surmonte les épreuves contrairement à l’insouciant466. Ces épreuves ne font qu’augmenter sa confiance et sa proximité de son Seigneur.

Al-Harrâq rappelle l’épreuve douloureuse qu’a connue le Maroc467 qui a mis les villes de Fès et Tétouan dans le chaos au point que la vie économique et religieuse s’était arrêtée (il avait observé la neutralité vis-à-vis du coup d’Etat à Tétouan contre le Sultan Mûlây Slimân afin de préserver les intérêts de son ordre naissant468). Ainsi, rappelle-t-il, ceux qui avaient l’habitude d’invoquer Dieu et d’être en Sa présence étaient encore plus proche de Lui en ces moments éprouvants alors que les insouciants versent dans la panique et l’anxiété ! Celui qui connaît son Seigneur dans les moments d’aisance, Il le soulagera dans les moments difficiles.

Il conseille d’être régulier dans le Wird et les invocations notamment le Nom divin (Allah) (Ism mufrad) et d’être assidu dans les réunions spirituelles car, précise-t-il, le secret de Dieu est dans la réunion des frères469. Il insiste sur la préservation de la relation de miséricorde et de fraternité et la nécessité de l’éloignement de la Fitna (corruption sur terre, zizanie, troubles…) en mettant en avant la tradition : « la Fitna est endormie, que Dieu maudisse celui qui la

464 Cf. Lettre 7.

465 Pratique que nous avons déjà expliqué au chapitre introductif.

466 A travers la lettre 9, lettre envoyée à ses disciples de Fès, cf. Târîkh Titwân (déjà cité), 6/359-361.

467 Même lettre.

468 Cf. chapitre introductif (§Maroc du 19 éme siècle). Il quitta Tétouan pendant un temps pour ne pas s’allier aux ennemis du Sultan Mûlây Slimân. L’ordre des Rissounis, quant à lui, va payer plus tard son allégeance au Sultan Ibrahim Ibn al-Yazîd (rival du sultan officiel). Ishkâliyat islâh al-fikr al-soufî (référence déjà citée), tome I, p251.

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réveille »470. Le Maroc de l’époque -comme nous l’avons déjà évoqué dans les chapitres introductifs- étaient dans une période de trouble où l’instabilité intérieure et les projets coloniaux ont largement affaibli l’économie et provoqué par moment l’insécurité. Al-Harrâq en maître sage soucieux de la sécurité de ses disciples les encourage à se concentrer sur le combat intérieur et garder la cohésion entre eux pour mieux dépasser les moments d’épreuves et ne pas risquer d’y être acteurs471.

Fidèle à son style de juriste fin connaisseur de la science religieuse, il cite472 quelques épreuves qui ont été surmontées par des Prophètes afin de corroborer l’idée que l’invocateur a la spécificité de pouvoir surmonter les épreuves sans fléchir473 :

L’épreuve du Feu par Abraham où ce dernier ne demande ni à Gabriel ni même à Dieu de le sauver car il se suffisait de la science (la certitude) venant de Dieu474 !

L’épreuve qu’a connue Moïse lorsqu’il fut pourchassé par Pharaon et ses armées et que son peuple lui fit remarquer que la mer est en face de lui et l’ennemi derrière, il dit « Mon

Seigneur est avec moi, Il me guide… »475

L’épreuve de Hûd, défiant les menaces de son peuple : « tous ensemble dressez sans

délai contre moi vos stratagèmes… »476

Et les épreuves du « seigneur »477 des Prophètes, Muhammad, dans sa grotte : « Si vous

lui refusez votre secours, Dieu l’avait déjà secouru lorsque les négateurs l’avaient contraint à l’exil : ils étaient alors deux (Muhammad et son compagnon Abû Bakr) dans la grotte lorsqu’il dit à son compagnon : Ne t’afflige pas car Dieu est avec nous !... »478Ainsi que dans l’expédition de Hunayn479, où la présence (Hudûr) et la vision contemplative (Shuhûd) étaient si sublime qu’elles se transmettent au caillou qui glorifia Dieu dans sa main480, le Coran rapporte à ce sujet : « …Ce n’est pas toi (ô Muhammad) qui a lancé

lorsque tu as lancé, mais c’est Dieu qui a lancé »481, l’action de celui qui est anéanti dans la

470Kashf al-khafâ, al-Râfi‘î d’après Anas Ibn Mâlik, Nu‘aym Ibn Hammâd Kitâb al-fitan d’après Ibn ‘Umar avec

une formulation proche. Certains spécialistes du Hadîth mettent en doute l’authenticité de cette tradition, néanmoins son sens est conforme à l’avis connu sur les dangers de la Fitna (cf. Coran, sourate 2, verset 191).

471 Même lettre.

472 Référence lettre 9.

473 Il veut insuffler cette idée à ses disciples à travers ces modèles afin de les encourager.

474 IBN KATHÎR, Ismaïl, al-Bidâya wa al-nihâya, Paris, éditions Sana,2015, histoire d’Abraham 1/168.

475 Coran, Sourate 26, verset 62.

476 Coran, sourate 11, verset 55.

477 C’est le qualificatif qu’al-Harrâq lui donne dans ses lettres, comme d’ailleurs les juristes avant lui.

478 Coran, sourate 9, verset 40.

479 A la huitième année de l’hégire, après la conquête de la Mecque.

480‘IYÂD, al-Qadi, al-Shifâ (1/190), IBN KATHÎR, al-Bidâya wa al-nihâya, Bâb tasbîh al-hasâ fî kaffihi, 4/617.

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seigneurie n’est que l’action de Dieu car autrement comment un petit cailloux anéantirait l’armée des négateurs !

Enfin, sa réponse confiante et apaisée au bédouin qui voulait le tuer avec son épée lorsque ce dernier lui dit : « et maintenant qui m’empêchera de te tuer ?! », « Dieu » lui répondit-il, l’épée est alors tombée de sa main car il a perçu la majesté de la seigneurie !482

Ces exemples montrent que le détachement de tout ce qui n’est pas Dieu (zuhd wa

al-tajrîd) implique en retour l’intervention de Dieu pour combler de Ses qualités les qualités de

Son serviteur.

Ce détachement ne peut être atteint sans le combat intérieur, Mujâhada, pour supprimer toute trace de l’ego, du moi, et ne laisser que Lui c’est l’essence même de l’Union (al-ittihâd). Néanmoins, nous pouvons distinguer deux conséquences de ce détachement développées par al-Harrâq : un détachement conscient celui des Prophètes et des saints réalisés, qui permet d’observer les convenances avec les créatures et ne jamais divulguer les secrets de la seigneurie. Le paraître ou la forme est ainsi conforme aux normes sociales établies et à la

Sharî’a et l’intérieur ou le fond est avec Dieu dans la haqîqa. Un détachement inconscient qui

rompt avec le monde sensible (Hiss) et noie le disciple dans la haqîqa. Cette station de déperdition complète dans les sens du divin s’appelle la station d’« al-ahadiyya » (l’unicité) qui fait référence à la notion de « l’union et l’unicité ». C’est dans cette station qu’al-Hallâj a été « piégé » « fondu » dans « l’océan vaste de la divinité » (anâ al-haqq). Al-Hallâj précise : « Il est des hommes qui processionnent mais non avec leur corps. Ils processionnent autour de Dieu, qui les a dispensés d’aller au sanctuaire ». Pour Massignon, il s’agit d’un dépassement du sens exotérique du Pèlerinage, non de sa négation483. En effet, pour les maîtres réalisés, comme al-Harrâq cette station dangereuse constitue un état d’« équilibre instable » puisque le soufi risque de divulguer des secrets que le vulgaire «‘âmmî » ne comprendrait pas et qui ressembleraient à ses yeux à de l’association « shirk » ou à de la mécréance évidente « kufrun

482

Al-Bukhârî, Muslim et Al-Bayhaqî rapportent avec quelques variantes dans leur version le récit suivant: après une expédition, les compagnons ont laissé au Prophète un arbre le plus ombré où il accrocha son épée et dormit… Un bédouin polythéiste profita du sommeil des compagnons et se saisit alors de l’épée du Prophète. ..En s’apprêtant à le tuer il lui dit : « qui m’empêchera de te tuer! ». Le Prophète répondit « Allah! »C’est alors que l’épée tomba de la main du bédouin! Et aussitôt le Prophète la reprend et dit au bédouin: « qui m’empêchera de te tuer! » Le bédouin répondit: « sois meilleur preneur » Le Prophète lui dit alors : « Tu attestes alors qu’il n’y a de divinité si ce n’est Allah? »L’homme répondit « non! Mais je te donne ma parole que je ne te combattrais jamais et que je ne serais jamais parmi des gens qui te combattront »Le Prophète le laissa partir en paix. Le bédouin