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Le principe de la responsabilité pénale des individus, aisément reconnu par les droits internes, s’est désormais affirmé aussi en droit international. Bien au delà des critères classiques de la coordination des juridictions internes propres au droit pénal international, le XX siècle a vu naître un système autonome, supra-étatique, de la responsabilité criminelle des individus, par le biais de la définition internationale des figures criminelles et de la procédure de jugement.

Le système de la responsabilité internationale pénale des individus s’est développé, au début, grâce à la création de figures criminelles et de procédures de jugement ad hoc. L’article 227 du Traité de Versailles prévoyait, déjà en 1919, la mise en état d’accusation de l’Empereur d’Allemagne Guillaume II Hohenzollern pour “offense contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités” et son jugement, qui n’eut cependant jamais lieu, par un tribunal international. Ensuite, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, le T.M.I. de Nuremberg et le T.M.I. pour l’Extrême-Orient, mis en place par les forces Alliées, ont jugé les crimes commis par les sujets appartenant aux puissances de l’Axe. Finalement le T.P.I.Y. et le T.P.I.R. ont été institués par le C.d.S., au cours des années 1990, afin de juger les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Parallèlement la C.D.I. a été chargée par l’Assemblée générale des N.U., dès les années 1950, d’élaborer les Principes généraux du droit international consacrés par le Statut et le jugement du Tribunal de Nuremberg, et, à partir de ceux-ci, de travailler à l’élaboration d’un Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, qui constitue le précédent inabouti du Statut de Rome portant sur la création de la C.P.I. Ce dernier représente l’aboutissement d’un chemin long près d’un siècle et réalise un système organique de la responsabilité internationale pénale des individus, aussi bien du point de vue du droit matériel que procédural. Malgré les problèmes que la C.P.I. pose, notamment en ce qui concerne son rapport avec les juridictions étatiques, on peut affirmer que son Statut définit clairement un système normatif de la responsabilité internationale pénale des individus qui, tout en ayant une efficacité relative, synthétise les principes généraux existant en la matière.82

Le principe de la responsabilité pénale des États, en revanche, peine à s’imposer en droit international: ce n’est pas facile de reconnaître l’existence d’une telle responsabilité, qui présuppose, normalement, l’existence d’un pouvoir centralisé fort,

82 Sur la responsabilité internationale pénale des individus voir C. Th. EUSTATHIADÈS, Les sujets du

droit international et la responsabilité internationale – Nouvelles tendances, in R.C.A.D.I., 1953-III, vol. 84, p. 460-485. Sur l’élaboration des tribunaux pénaux internationaux, depuis les Tribunaux ad hoc jusqu’à la C.P.I., voir J. VERHOEVEN, Vers un ordre répressif universel?, Quelques réflexions, cit., p. 56-57; K. AMBOS, Establishing an International Criminal Tribunal and an International Criminal Code: Observations from an International Criminal Law Viewpoint, in E.J.I.L., 1996, vol. 7, n. 4, p. 519 s.; J.-P. BAZELAIRE, T. CRETIN, La justice pénale internationale – Son évolution, son avenir de Nuremberg à La Haye, Paris, P.U.F., 2000; N. GIANARIS, The New World Order and the Need for an International Criminal Court, in Fordham I.L.R., 1992-1993, vol. 16, p. 88 s.; A. CASSESE, The Statute of the International Criminal Court: Some Preliminary Reflections, in E.J.I.L., 1999, vol. 10, n. 1, p. 145. Sur l’émergence d’un système unitaire de droit international pénal individuel voir L.S. SUNGA, The Emerging System of International Criminal Law, The Hague/Boston/London, Kluwer Law International, p. 1 s.

dans le cadre d’un système de droit d’ordre, essentiellement, privé.83 Quoique l’État soit

le sujet par excellence du droit international, il est fort difficile de le penser capable d’accomplir des actions criminelles et d’être soumis à des sanctions pénales. La raison principale de cette impasse réside dans l’organisation “horizontale” de la communauté internationale, fondée sur le critère de l’égalité souveraine des États. Une responsabilité des États existe, certes, mais sa nature serait d’ordre “civil”, si on tenait à faire une comparaison avec les principes de la responsabilité des droits internes. Malgré ces difficultés de fond, en doctrine, certains auteurs ont soutenu, au cours du XIX et du XX siècle, la nécessité de distinguer un régime de la responsabilité des États plus grave par rapport à celui de la responsabilité ordinaire. Dans la deuxième moitié du XIX siècle cette idée est soutenue par la voix isolée, mais autoritaire, de J.C. Bluntschli.84 Au cours

du XX siècle, dans la période entre les deux guerres mondiales, V. Pella parvient à formuler la conception d’une responsabilité pénale étatique reliée à celle des individus.85 En partant des prémisses de la théorie pure du droit H. Kelsen, en 1944,

propose l’élaboration d’un système coordonnant la responsabilité pénale individuelle et collective.86 Ensuite plusieurs auteurs, tels que H. Lauterpacht, B. Graefrath et J.H.W.

Verzijl, affirment la nécessité de créer un double régime de la responsabilité étatique.87

Au niveau du droit international relatif c’est surtout la Charte des N.U. qui consacre, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, l’idée de la distinction entre plusieurs degrés de responsabilité étatique et soumet les différends majeurs au contrôle du C.d.S. Au niveau du droit international général le principe de la responsabilité majeure se concrétise dans l’élaboration, en 1976, dans le cadre du Projet de la C.D.I. sur la responsabilité des États, de l’article 19, portant sur la distinction entre les crimes et les délits internationaux. Cet article, maintenu jusqu’au Projet adopté en première lecture en 1996, est effacé dans la deuxième lecture, adoptée en 2001, qui retient une distinction, plus souple au niveau terminologique, entre les violations ordinaires et les violations du ius cogens. Ainsi, à l’heure actuelle, le droit international général ne retient pas, au moins de façon expresse, la notion de la responsabilité pénale des États, mais consacre la responsabilité pour violation de normes impératives, tandis que, au sein du droit international relatif, selon une conception spéculaire du droit international général de la paix, le système onusien consacre le principe des violations étatiques majeures et en confie la répression au Conseil de sécurité.

Dans la première partie de la thèse nous définissons le système normatif de la responsabilité internationale pénale, tant en ce qui concerne les individus, qu’en ce qui concerne les États. Ainsi, nous apprenons comment est conçue la responsabilité pénale des individus et comment est conçue la responsabilité pénale des États en droit international, tant au niveau du droit international général (y compris les principes généraux du droit, notamment pénal, tirés des ordres nationaux), qu’au niveau des systèmes internationaux relatifs les plus importants (spécialement les systèmes définis

83 Sur la question de l’organisation de la sanction en droit international voir D. ALLAND, Justice privée

et ordre juridique international: étude théorique des contre-mesures en droit international public, Paris, Pedone, 1994.

84 Voir J.C. BLUNTSCHLI, Das moderne Völkerrecht der civilizierten Staten als Rechtsbuch dargestellt,

Nördlingen, Beck, 1868, p. 259 s.

85 Voir V. PELLA, La criminalité collective de l’État et le droit pénal de l’avenir, 2ème

éd., Bucarest, Imprimerie de l’État, 1926.

86 Voir H. KELSEN, Peace through Law (La pace attraverso il diritto), cit., p. 149.

87 Voir les thèses de Lauterpacht in L. OPPENHEIM, International Law, a Treatise, 6th

ed. by H. Lauterpacht, London, Longman & Green, 1940; B. GRAEFRATH, P.A. STEINIGER, Kodifikation der völkerrechtlichen verantwortlichkeit, in Neue Justiz, Berlin, 1973, n. 8, p. 227; J.H.W. VERZIJL, International Law in Historical Perspective, Leyden, Sithoff, 1973, vol. 6, p. 741 s.

INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE

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par le Statut de la C.P.I. et par la Charte des Nations Unies). Nous considérons la responsabilité des individus et des États du point de vue de l’infraction (en ses composantes objective et subjective), de la procédure de jugement, de la sanction (du côté objectif et subjectif) et de la procédure d’exécution. Cette analyse permet de comprendre si la responsabilité pénale des individus et celle des États sont coordonnées ou bien si elles sont conçues de façon indépendante. L’étude porte sur toutes les normes primaires et secondaires, de iure condito et de iure condendo, même si elles ne sont pas d’ordre strictement pénal, qui peuvent aider à reconstruire le cadre, éclairées à l’aide de la jurisprudence et de la doctrine.

D’abord nous considérons la responsabilité internationale pénale des personnes physiques. Celle-ci est la prémisse indispensable pour pouvoir, ensuite, remonter aux différentes formes d’organisations dans lesquelles les individus peuvent se rassembler.

Dans le premier chapitre nous définissons intégralement le système de la responsabilité internationale pénale des individus. Nous considérons les règles et la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc, notamment celles des T.M.I. de Nuremberg et de Tokyo, ainsi que du T.P.I.Y. et du T.P.I.R. Nous étudions, aussi, les Principes généraux du droit international tirés du Statut et de la jurisprudence du Tribunal de Nuremberg ainsi que le Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de la C.D.I., qui s’en inspire, pour définir les principes généraux du droit international pénal des individus, spécialement du côté du droit matériel. L’objet majeur de notre attention, toutefois, est représenté par le Statut de la C.P.I., qui, en recueillant l’expérience des textes précédents, définit les principes généraux du droit international pénal des individus, tant du point de vue du droit matériel que de la procédure, même si son efficacité demeure relative. Nous cherchons à comprendre si les normes concernant la responsabilité internationale pénale individuelle permettent d’élargir la responsabilité de l’individu aux organisations complexes, notamment aux États.

Ensuite nous abordons le problème, central, de la responsabilité pénale des États.88

Dans le deuxième chapitre nous suivons le développement du concept de la responsabilité majeure, voire criminelle, des États dans son parcours historique: cette idée naît avec la criminalisation de la guerre d’agression entendue, stricto sensu, comme emploi de la force armée, puis elle se précise dans d’autres formes d’infractions. Cette évolution du droit international, tant général que relatif, qui ressort de plusieurs textes juridiques, est confirmée par la jurisprudence et confortée par les opinions de la doctrine. L’aboutissement de ce parcours est représenté, dans le droit international relatif, par la système mis en place par la Charte des Nations Unies, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, et, en droit international général, par le Projet de la C.D.I. sur la responsabilité des États. Nous définissons le cadre général du Projet de 1996, qui consacre, à l’article 19, le principe de la responsabilité criminelle des États, et du Projet de 2001, qui établit, à l’article 40, une distinction, moins courageuse, entre les violations majeures, du ius cogens, et les autres infractions étatiques.

Le troisième chapitre est consacré à la conception matérielle, objective, de l’infraction. Il s’agit d’appréhender, du point de vue de la théorie générale, les principes sur la base desquels on définit la responsabilité majeure, voire criminelle, de l’État. Nous parvenons à les identifier dans l’importance de l’intérêt défendu par la règle violée, du point de vue du contenu, et dans la forme erga omnes indivisible de l’obligation lésée. Du point de vue de la forme nous considérons l’infraction majeure,

88 Sur la responsabilité pénale des États voir M. SPINEDI, International Crimes of State – The

Legislative History, cit., p. 12 s.; M. SPINEDI, La responsabilité de l’État pour “crime”: une responsabilité pénale?, cit., p. 93 s.; K. MAREK, Criminalizing State Responsibility, cit., p. 461.

voire criminelle, de l’État, comme violation d’une obligation erga omnes indivisible absolue (ius cogens), en droit international général, ou relative, en droit international particulier. Concernant la partie spéciale de l’infraction, il faut appréhender quelles conduites spécifiques peuvent constituer une violation majeure, ou un crime, étatique. Nous considérons, spécialement, les infractions qui sont classées à l’article 19 § 3 du Projet sur la responsabilité des États de 1996, à savoir les atteintes à la paix, à l’autodétermination, aux droits de l’homme et à l’environnement.

Au cours du quatrième chapitre nous nous intéressons à la procédure de jugement, à la sanction et à la procédure d’exécution qui suivent à la violation majeure, voire au crime, de l’État. Nous étudions la procédure consacrée par la pratique du droit international général, basée sur les contre-mesures étatiques décentralisées et sur la juridiction volontaire, codifiée par les Projets de la C.D.I. de 1996 et de 2001. Nous abordons la sanction de l’infraction majeure, ou du crime, étatique en tant qu’obligation erga omnes absolue indivisible ayant une gravité supérieure par rapport à la sanction des violations étatiques ordinaires. Finalement nous faisons des considérations sur la procédure du C.d.S. prévue dans la Charte des N.U., qui constitue la forme de réaction relative la plus importante et généralisée aux violations majeures, ou au crimes, étatiques, rappelée, de façon explicite, par les Projets sur la responsabilité des États. Cette étude constitue le pendant naturel des considérations concernant la conduite illicite et contribue à en éclairer la nature.

Finalement, dans le cinquième chapitre, nous étudions l’imputation de la conduite illicite et de la sanction à l’État. Les considérations portent, ainsi, sur l’aspect proprement subjectif de l’infraction majeure, voire criminelle, de l’État. Nous constatons que l’imputation du fait illicite à l’État passe, forcement, par la conduite de ses individus-organes, en vertu de l’application du principe de l’imputation organique. Nous essayons de voir par quels types d’organes l’imputation peut se réaliser et quels sont les limites de leur action. Nous cherchons aussi à comprendre si les principes classiques de la culpabilité, à savoir le dol et la faute, normalement appliqués aux individus, peuvent s’appliquer, aussi, à l’État, ou bien si l’imputation doit passer par d’autres critères en raison de la nature du sujet mis en cause en tant que personne morale. Par cette étude nous devons appréhender comment la responsabilité étatique est concevable du point de vue subjectif et comment elle se rapporte à la responsabilité pénale individuelle.

CHAPITRE 1