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Chapitre 2. Une approche de pharmacogénomique fonctionnelle en cellule unique

2.1 Introduction de l’article

L’hétérogénéité tumorale est actuellement un frein majeur aux thérapies anticancéreuses, elle induit une variabilité de réponse de la population tumorale et la persistance de cellules cancéreuses résistantes. L’hétérogénéité dans le cancer existe à de multiples échelles : elle se retrouve entre patients due à des génomes différents ; au sein d’un même patient en fonction du tissu des cellules tumorales ; dans la tumeur plusieurs clones peuvent être retrouvés dû à l’apparition de néo-mutations ; et finalement même au sein d’une population clonale, une hétérogénéité non-génétique existe entre les cellules sœurs (Grzywa et al., 2017). Cette hétérogénéité non-génétique provient de la divergence de cellules isogéniques : deux cellules cancéreuses sœurs auront tendance à répondre de façon semblables plus leur ‘décision’ de réponse au traitement est rapprochée la division cellulaire, et que la probabilité de divergence de réponse s’accroit plus cette ‘décision’ de réponse au traitement est éloignée de la division cellulaire (Spencer et al., 2009). Cela signifie que la répartition du contenu cytoplasmique lors de la division se fait d’une façon symétrique et qu’il y a une accumulation de différences au cours du temps. Plusieurs facteurs peuvent être responsables de la variabilité non-génétique : des facteurs externes tels que l’environnement, le positionnement, l’accessibilité au traitement, les interactions cellulaires, la densité cellulaire etc. (Loewer and Lahav, 2011; Snijder and Pelkmans, 2011). Mais aussi des causes internes comme le bruit d’expression génique qui est lié à la stochasticité d’expression des gènes, épissage des ARNm, la stochasticité d’interaction protéine-protéine. Ces phénomènes entrainent dans une population de cellules isogéniques une variabilité dans leurs transcriptomes, protéomes et métabolomes, qui permet alors l’émergence de multiples états cellulaires transitoires (MacLean et al., 2018; Snijder and Pelkmans, 2011). Ces états cellulaires sont donc des contextes transcriptomiques, protéomiques ayant des répercussions directes sur la sensibilité cellulaire et la réponse phénotypique au traitement : une partie de la population peut se retrouver dans un contexte cellulaire de pré-résistance lié à une forte expression de gènes de résistances tels que des gènes régulant négativement l’apoptose. Une partie des cellules de population clonales dites ‘sensibles’ ne répond pas au traitement à une dose donnée, dans cet état de résistance non-génétique ‘intrinsèque’. Ces cellules sont de plus reconfigurées lors de l’induction génique qui s’ensuit au cours de la thérapie afin de maintenir et amplifier un état de résistance non-génétique ‘induite’, où diverses mécanismes de résistance aux drogues peuvent émerger de ces cellules, comme des mutations qui sont alors

favorisées afin de faire de cette résistance un caractère héritable pour les prochaines générations (Lovric and Hawkins, 2010; Ramirez et al., 2016; Shaffer et al., 2017).

Cette hétérogénéité intra clonale semble régulée au sein de la population isogénique. La concentration en chimiothérapie permettant de tuer une proportion donnée de la population isogénique reste stable (IC50, Emax). La population survivante au traitement acquiert alors une résistance transitoire par induction génique, une reprogrammation qui peut être réinitialisée après un certain délai (ici trois jours) pour reformer une population avec la même sensibilité d’origine (Flusberg et al., 2013a). Cette variabilité à l’origine au sein de la population clonale entraine donc une réponse incomplète de la population, le « fractional killing ». Même à dose saturante d’un traitement (Emax), une fraction stable de la population peut résister (Emax>0, (Fallahi-Sichani et al., 2013)).

Il a été démontré par plusieurs équipes dont la mienne que la réponse partielle était liée à des variabilités de dynamique de réponse cellulaire : un traitement par le ligand de mort TRAIL afin d’induire la voie extrinsèque de l’apoptose des cellules cancéreuses par les récepteurs DR4 et DR5 résulte dans une population clonale en une large variabilité d’activation de la caspase- 8 initiatrice. L’activité caspase-8 est dans ce cas déterminante du destin cellulaire, un seuil de vitesse d’activation à atteindre dépendant de la lignée permet le déclenchement de l’apoptose ou échoue lorsque la cinétique d’activation est insuffisante (Roux et al., 2015a). Des phénomènes identiques de seuils et de dynamique d’activation de voies ont été recensés : La dynamique de translocation de P53 lors de traitement cisplatine est de nouveau régi par un seuil déterminant de destin cellulaire (Paek et al., 2016). Et plus récemment pour l’accumulation spatiale de la protéine MLKL à la membrane qui doit franchir un seuil d’induction de la nécroptose (Samson et al., 2020). L’hétérogénéité intra-clonale entraine donc des différences de niveaux protéiques pour les molécules aussi bien pro qu’anti-apoptotiques, entrainant des vitesses d’activation variables de ces voies concernées lors d’un traitement supposé uniforme de la population permettant ou non de franchir les seuils d’activations des déterminants moléculaires contrôlant le destin cellulaire.

L’émergence des technologies single-cell, séquençage à haut débit et imagerie dynamique permettent actuellement une étude à haute résolution des dynamiques d’activations des déterminants moléculaires de la réponse phénotypique des cellules dans une population. Cependant si séparément il a été observé que la sensibilité au TRAIL dépendait de la cinétique d’activation de la caspase-8 (Roux et al., 2015a), et que certaines activations de voies étaient

corrélées à la résistance au TRAIL (Baskar et al., 2019), il n’a pour l’instant encore jamais été possible d’associer pour une même cellule les dynamiques d’activations avec une analyse omique de la résistance reliés au destin cellulaire : la dégradation du contenu lié à la mort induite par le traitement ne peut le permettre, ce qui rend l’analyse de la sensibilité impossible. De même que l’induction génique liée au traitement empêche alors l’analyse des facteurs moléculaires qui seraient à l’origine de cet état de « pré résistance ». Et comme il a été démontré que les traitements induisent une reprogrammation cellulaire (Shaffer et al., 2017), ces analyses portent sur la résistance mise en place et non sur les états moléculaires de « pré-résistance ». Nous avons lors de cette étude développé une méthode de prédiction basée sur les activités précoce de la caspase-8 qui nous permettent de déterminer pour une partie de la population le destin cellulaire de ces cellules au traitement TRAIL en cours. Nous avons alors mis en place une méthode qui emploie trois technologies en cellule unique : une mesure prédictive de réponse cellulaire par vidéo-microscopie, une isolation de chaque cellule in situ par capture laser (microdissection), suivi d’un profilage transcriptomique (single-cell RNA seq) afin de déterminer les signatures transcriptomiques des cellules prédites sensibles et résistantes au TRAIL et valider expérimentalement ces facteurs moléculaires.

Dans ces travaux, j’ai pu effectuer la validation fonctionnelle des gènes retrouvés différentiellement exprimés entre cellules sensibles et résistantes afin de confirmer leurs rôles dans la modulation de la sensibilité au TRAIL.