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4. L'apoméiose chez le riz

4.1. Introduction

Comme nous l’avons vu en introduction, l’apomixie gamétophytique résulte de la formation d’un sac embryonnaire à partir d’une cellule diploïde de l’ovule et contourne la méiose. Ce développement du sac embryonnaire par mitose est appelé apoméiose. La formation de l’embryon est indépendante de la fécondation tandis que la formation de l’albumen requiert ou non la fécondation. Il existe deux types de développement d’un sac embryonnaire apoméiotique, la diplosporie et l’aposporie, selon l’origine de la cellule diploïde précurseur qui va donner naissance au sac embryonnaire. Cette cellule précurseur est la cellule mère de la mégaspore dans le cas de la diplosporie, et une cellule diploïde somatique positionnée de façon adjacente à la cellule mère de la mégaspore dans le cas de l’aposporie. Des embryons issus de reproduction sexuée et d’aposporie peuvent également coexister à l’intérieur du même ovule chez les espèces du genre Brachiaria (Hand et al. 2014).

L’apomixie est considérée comme une déviation de l’expression spatiale et temporelle de la voie sexuée en recrutant des gènes intervenant dans la reproduction sexuée. On peut en déduire que la conversion d’espèces à reproduction sexuée en espèces apomictiques pourrait être possible. Cette hypothèse est consolidée par l’identification de mutants mimant différents aspects de l’apomixie chez les espèces non apomictiques : apoméiose, parthénogenèse de l’embryon ou développement autonome de l'albumen (Barcaccia and Albertini 2013).

La mutation de certains gènes intervenant dans la méiose peut conduire à la formation de sacs embryonnaires sans méiose qui rappellent l’aposporie. Un des exemples les plus connus est celui du mutant elongate 1 du maïs qui produit des sacs embryonnaires diploïdes en ne s’engageant pas dans la seconde division de méiose (Barrell and Grossniklaus 2005). De même, le mutant dyad identifié chez A. thaliana produit des gamètes non réduits suite à une simple division équationnelle (Mercier et al. 2001; Ravi et al. 2008). La mutation de gènes ayant un rôle connu dans la régulation épigénétique de la spécification cellulaire de l’ovule et du développement du sac embryonnaire, comme les gènes de la famille ARGONAUTE (AGO) chez les plantes sexuées, peuvent conduire à un changement dans le nombre de cellules ayant la capacité d’initier un développement en sac embryonnaire (Olmedo-Monfil et al. 2010; Singh et al. 2011). Chez A. thaliana, le mutant ago9 produit de multiples cellules ayant la capacité de former des sacs embryonnaires à l’intérieur d’un même ovule, un phénotype

rappelant l’aposporie (Olmedo-Monfil et al. 2010). Des phénotypes similaires ont été obtenus avec la mutation de gènes intervenant dans la voie de régulation des petits ARN comme rdr6 et sgs3 (Olmedo-Monfil et al. 2010). De même l’inactivation des DNA méthyl-transférases DMT102 et DMT103 conduit aussi à des phénotypes copiant l’apomixie qui comprennent la formation de gamètes diploïdes et de nombreux sacs embryonnaires à l’intérieur d’un même ovule (Garcia-Aguilar et al. 2010).

Chez le maïs, la mutation du gène AGO104 conduit également à un phénotype rappelant l’apomixie diplosporique avec une seule cellule mère de mégaspore par ovule entrant en mitose plutôt que méiose et aboutissant à la formation de gamètes diploïdes (Singh et al. 2011). Les gènes AGO sont également impliqués dans l’identité de la lignée germinale chez le riz, comme le gène MEL1 (Meiosis arrested at Leptotene 1) (Nonomura 2006). Des mutations dans d’autres gènes peuvent conduire au développement parthénogénétique de l’embryon ou de l’albumen sans fécondation. Nombre de ces gènes sont associés avec le complexe de remodelage de la chromatine du groupe Polycomb, notamment le PRC2 (Polycomb Repressive Complex 2). L’inactivation des gènes MEDEA, FIS2, FIE (Fertilization independent Endosperm) ou MSI1 (Multicopy Suppressor of IRA1) conduit au développement sans fécondation de l’albumen et pour MSl1 à l’initiation d’un développement parthénogénétique de l’embryon sans toutefois formation de graines viables (Guitton and Berger 2005).

L’ensemble de ces observations converge en faveur d’une différenciation entre espèces apomictiques et non apomictiques ayant un contrôle épigénétique au travers d’altérations de l’état chromatinien. Il a même été suggéré que l’apomixie représenterait un silencing épigénétique réversible de la voie sexuée. La coexistence de la reproduction sexuée et apomictique chez certaines espèces suggère en effet que l’apomixie est une voie superposée sur la voie sexuée (Hand et al. 2014).

L’existence d’espèces apparentées apomictiques chez les céréales, et plus largement chez les graminées, a permis d’entreprendre un criblage chez les espèces sauvages ancêtres du riz cultivé comme source d’apomixie (Rutger 1992; Khush 1994). Afin de mettre en évidence un développement diplosporique du sac embryonnaire, les criblages ont reposé soit sur la détection de grains poly-embryonnés qui auraient dérivé d’une embryogenèse adventive, soit sur l’observation par fluorescence de callose combinée à un éclaircissement du pistil. Les criblages, d’abord réalisés chez les espèces diploïdes du génome AA, ont ensuite été étendus à des accessions d’autres génomes du genre Oryza, incluant les espèces polyploïdes connues pour présenter une apomixie plus fréquente. En dépit de ces efforts intenses, aucune source naturelle d’apomixie n’a été identifiée dans le genre Oryza à partir de ces cribles. L’alternative est donc de créer l’apomixie chez le riz grâce à la mutation de certains gènes et/ou l’expression de transgènes.

Le premier composant de l’apomixie est l’apoméiose qui est la formation de gamètes fonctionnels diploïdes et clonaux. Des plantes apoméiotiques ont été générées grâce à la mutation de gènes de méiose. En effet, de nombreux mutants de méiose identifiés chez A. thaliana, le maïs et le riz, produisent des gamètes non réduits, mais à une faible fréquence pour la plupart d’entre eux, et ces mutations conduisent souvent à une stérilité mâle ou femelle importante. L’apoméiose repose sur la conversion de la méiose en mitose. Nous avons vu que la méiose diffère de la mitose par : 1- l’appariement et la recombinaison des chromosomes homologues ; 2- l’orientation monopolaire du kinétochore conduisant à la migration des chromatides sœurs vers le même pôle à la première division réductionnelle de la méiose ; 3- en une seconde division équationnelle ressemblant à une mitose. Des plantes apoméiotiques fertiles produisant des gamètes diploïdes non recombinés à une forte fréquence ont été obtenues chez A. thaliana grâce à la combinaison de trois mutations empêchant à chacun de ces trois processus de survenir et transformant ainsi la méiose en mitose (D’Erfurth et al. 2009). Les gènes mutés sont SPO11-1 dont la mutation abolit l’initiation de la recombinaison, REC8 dont la mutation conduit à la séparation des chromatides sœurs à la première division de méiose et le gène OSD1 (pour Omission of Second Division) dont la mutation bloque la progression de la méiose à la fin de la première division de méiose. De façon remarquable, osd1 supprime le phénotype de stérilité du double mutant Atspo11-1 Atrec8. Les plantes cumulant ces trois mutations sont baptisées MiMe (pour Meiosis instead of Meiosis). Les descendances de MiMe sont tétraploïdes, et peuvent s’autoféconder pour former des plantes octoploïdes à la génération suivante qui, elles, demeurent stériles. L’équipe de R. Mercier a ensuite montré que d’autres combinaisons de mutations pouvaient être utilisées pour recréer le phénotype MiMe. Un mutant MiMe2 produisant également des gamètes génétiquement identiques aux cellules sporophytiques est produit quand une mutation dans TAM (Tardy aynchronous Meiosis) est utilisée à la place de OSD1 (D’Erfurth et al. 2010). TAM1 est une cycline essentielle à la division méiotique (Cromer et al. 2012). De même Atspo11-1 peut être remplacé par la mutation d’autres gènes essentiels à la formation de CDBs et qui initient la recombinaison tels les gènes PRD1, PRD2 et PRD3 (Putative Recombination Initiation Defect) (Mieulet et al. 2016). Mais pour le moment, aucune autre mutation de gène ne peut remplacer celle de REC8. La seule possibilité serait la mutation de SCC3, mais ce gène code pour une protéine ayant également un rôle dans la mitose ce qui affecterait le développement de la plante.

L’objectif de la première partie des travaux engagés dans le cadre de cette thèse était de déterminer si le phénotype MiMe obtenu chez A. thaliana pouvait être reproduit chez une plante cultivée, le riz, afin de réaliser une première étape vers une apomixie synthétique : l’apoméiose.

4.2. Article : "Turning rice meiosis into mitosis"

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