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Intonation et types de langues

Nous avons vu plus haut que les langues du monde peuvent être classées en trois groupes : les langues à ton, les langues à accent de mot et les langues à accent tonal. Toutes ces langues n’utilisent pas les différentes unités suprasegmentales de la même manière. C’est d’ailleurs l’utilisation particulière du ton ou de l’accent qui permet cette classification. Il va de soi que ces différents types de langues n’utilisent pas l’intonation de la même manière.

Pike (1948) en parlant de l’intonation dans les langues à ton, affirme que ce type de langue utilise certainement la fonction expressive de l’intonation, celle qui permet de manifester les émotions. Mais pour lui, ce type de langue n’a presque pas accès à la fonction démarcative de l’intonation et n’ajoute pas de nuance au sens des énoncés. Il explique que le système contrastif des contours de l’intonation ainsi que le niveau de hauteur relatif qui participe à la réalisation de l’intonation est très peu utilisé précisément parce qu’il est déjà utilisé pour les tons dans ces langues.

35 Après une telle analyse, Pike pose l’existence de deux types de langue. Il distingue ainsi les langues à ton et les langues à intonation. Les langues à intonation font référence aux langues qui ont une utilisation très élaborée de l’intonation. En plus du rôle expressif de l’intonation, elles l’utilisent également pour organiser le discours et pour apporter des nuances au sens. Ces deux types de langues sont considérés comme incompatibles.

Selon Bolinger (1964) on retrouve l’intonation dans toutes les langues. Mais la forme de l’intonation peut varier. Si toutes les langues utilisent l’intonation d’une certaine manière, peut-on encore accepter cette catégorisation des langues faite par Pike ? Bien qu’il reconnaisse une utilisation de la fonction expressive de l’intonation dans les langues à ton, il insiste sur le fait que la caractéristique principale de ces langues est son utilisation très limitée de l’intonation. Or quand on considère que l’intonation peut se réaliser sous différentes formes cette distinction n’a plus lieu d’être.

A ce sujet Cruttenden (1997), estime que l’on peut très bien avoir des langues qui utilisent à la fois le ton et l’intonation. Intonation et ton ne s’excluent donc pas mutuellement dans les langues. Cependant, Cruttenden (1997) parle aussi d’une utilisation limitée de l’intonation dans les langues qui utilisent déjà les tons. Il explique que le ton et l’intonation tous deux se réalisent phonétiquement par le « pitch », la hauteur relative perçue. Comme ces deux éléments utilisent le même paramètre phonétique, il leur reste par conséquent moins de place pour se réaliser (par rapport à une intonation qui n’a pas à partager sa plage de réalisation). Pour Cruttenden (1997) il est donc logique d’avoir une l’intonation qui s’organise différemment dans les langues à ton et à accent tonal. L’intonation revêt alors une forme différente dans les langues qui utilisent le ton. Mais, contrairement à Pike il n’utilise pas ce critère pour distinguer les langues.

Tout comme Cruttenden (1997), je pense que l’intonation peut coexister dans les langues à ton, sans se réduire à l’expression des émotions. Il est clair que dans ces langues qui utilisent déjà le ton, on aura une tout autre organisation de l’intonation. Dans ce travail j’étudie le mooré, une langue à ton. Je m’intéresse donc à l’organisation de l’intonation dans ce type de langue qui utilise déjà le ton de manière phonologique.

Un certain nombre d’éléments sont à considérer dans l’étude de l’intonation des langues à ton. On peut citer entre autres : la hauteur relative des tons, le registre de l’énoncé qui peut

36 être réduit ou augmenté, le phénomène d’abaissement des tons, Le ton en fin d’énoncés qui peut subir différentes sortes de modifications.

Pour Anyanwu (2008), l’intonation se manifestes dans les langues à ton sous la forme du downdrift. Le downdrift est un phénomène d’abaissement tonal. Ce phénomène concerne à la fois la réalisation des tons et de l’intonation parce qu’il affecte le registre des tons et la courbe intonative. L’abaissement des tons est un phénomène très répandu dans les langues d’Afrique sub-saharienne. Si l’intonation se réalise vraiment sous cette forme on peut affirmer alors que dans les langues à tons, en particuliers celles d’Afrique, la réalisation des tons détermine l’intonation.

Platiel et Kaboré (1998) estiment que les contours mélodiques se réalisent selon les contraintes imposées par le système tonal, en relation avec les phénomènes du downstep et du downdrift. Autrement dit l’intonation de ces langues est soumise en premier au système tonal de la langue. Ensuite, l’abaissement tonal qui est un phénomène lié au système tonal affecte elle aussi la réalisation de l’intonation. Ils ajoutent que les fins d’énoncés sont en général le domaine d’expressions de l’intonation. Comme Cruttenden (1997), ils considèrent les modifications pouvant affecter le registre, la croissance ou la diminution de l’intervalle de réalisation des tons, comme un fait intonatif.

La grande question qui se pose dans l’étude de l’intonation des langues à ton est de savoir si la réalisation de l’intonation correspond à une simple concaténation des tons lexicaux ou si les plages de réalisation des tons et de l’intonation sont complétement différentes.

Pour Kinda (1984), les manifestations de l’intonation ne prennent pas en compte le niveau ponctuel des tons mais tout le schème entier. En effet c’est le schème des tons lexicaux de tout l’énoncé qui est considéré. L’interaction entre intonation et schème tonal est observable en fin d’énoncé. Pour lui cette interaction se fait dans un seul sens : c’est toujours l’intonation qui est susceptible de modifier le schème des tons en l’occurrence le ton de fin d’énoncé. Il me paraît évident qu’il y a une interaction entre les paramètres du ton et de l’intonation, parce qu’il partage le même paramètre phonétique, la fréquence fondamentale (F0). Le fait d’avoir le même paramètre phonétique réduit la plage de réalisation de chacun de ces éléments qui n’a plus un domaine de réalisation qui lui est propre. Intonation et ton partagent

37 le même domaine de réalisation et par conséquent il y a nécessairement une interaction entre les deux. Si jusqu’à présent je partage l’idée de Kinda (1984) sur le fait qu’il y a interaction entre le ton et l’intonation, je reste quand même réservée sur les sens de cette relation unidirectionnelle. Les principales questions que je me pose sont comment le ton et l’intonation interagissent ? Quel paramètre influence l’autre ? Est-ce l’intonation qui influence la réalisation des tons ou est-ce l’inverse ?

A ce niveau de mon analyse, ces questions restent ouvertes, et j’essaierai de leur apporter des réponses claires dans la deuxième partie de mon travail.