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Intersubjectivité et compétence sociale dans le processus de prise en charge

Dans le document Nouveaux cahiers d'Ethos (1) (Page 136-139)

Empathie et intersubjectivité dans les processus psychosociaux du care auprès des vieillards

I- Cadres centraux de l’interaction et pratiques du care

4. Intersubjectivité et compétence sociale dans le processus de prise en charge

L’approche des compétences en termes de transactions intersubjectives apparaît comme un questionnement nouveau sur les processus de distribution des rôles et des statuts ou des positionnements concernant l’implication subjective des acteurs sociaux dans la construction de la réalité sociale qui caractérise l’ensemble des logiques du maintien à domicile. La compétence, ici, est synonyme de relation sociale (Roelens, 1980). Pour elle, plutôt que de considérer la compétence comme une variable individuelle dont dépendrait l’adaptation à la réalité socio- économique, elle l’aborde comme un ensemble d’interactions symboliques, en étudiant comment la capacité d’un individu à assumer un rôle social se construit dans des transactions quotidiennes dont l’enjeu est pour chacun de se voir reconnaître des compétences par les autres. Les conjoints

6 Les processus organisationnels sont spécifiques parce que l’usager des services est une figure centrale dans les

agencements de l’organisation de la prise en charge ne serait-ce que par la maîtrise de l’espace qui lui confère un pouvoir certain contrairement à la prise en charge en institution d’hébergement collectif où ce pouvoir est aliéné précisément, comme le montraient Benoit-Lapierre et al. dans La vieillesse des pauvres. Le chemin de l’hospice, Editions Ouvrières, ‘’Politique sociale’’, Paris, 1980.

de personnes âgées ou, d’ailleurs, les sujets âgés dits dépendants eux-mêmes sont détenteurs de compétences sociales et, ce faisant, constituent des facteurs essentiels dans la dynamique d’ensemble de leur prise en charge (Goma-Gakissa, 2010).

Les aidants naturels rivalisent d’ingéniosité pour contenir des situations difficiles de conjoints déments entre autres. L’usage des techniques de thérapie comme l’homéopathie contribue énormément à la stabilisation de ce type de situation. Le fondement même de l’intersubjectivation est donc de reconnaître aux acteurs impliqués, à chacun, une compétence sociale adaptée à son espace d’intervention. S’interroger sur les fonctions de la compétence sociale, sur ses formes, c’est placer les rapports sociaux dans un champ social d’intersubjectivité car le monde spécifique de la grande vieillesse se présente aux uns et aux autres comme un espace intersubjectif où les logiques de rationalité au sens propre du terme n’ont qu’une portée limitée. Alain Caillé (Douglas, 1999) dans la préface qu’il fait à l’ouvrage de Mary Douglas fait ressortir deux modes d’approche de la réalité sociale qui se distribuent entre rationalité et irrationalité. Il s’interroge ainsi en ces termes : « quoi de plus présent dans nos têtes d’hommes modernes que l’opposition entre la grande société marchande, industrielle, rationnelle et scientifique, et la petite communauté soudée par le désintéressement ou l’obligation, les affects, la coutume, le mythe et l’irrationalité ? ». Une mise en garde épistémologique que nous pourrions formuler ici est de majorer une démarche liée au schème compréhensif, herméneutique au détriment de celle rattachée au schème explicatif, positiviste7. La « petite communauté » dont parle Alain Caillé est, ici, l’expression des « mondes sociaux », des « configurations interactionnelles dans les pratiques du care » construit(e)s par les acteurs dotés, chacun, de compétence sociale et rendant ainsi possible la dynamique des processus interactifs.

La compétence réduite aux façons-de-faire-ordinaires dans l’environnement de la vie quotidienne des vieillards n’a donc rien de semblable à la définition classique de ce concept. Elle est l’une des dimensions signifiantes de la trame relationnelle qui constitue le phénomène de la prise en charge à domicile comme une réalité typique avec des logiques typiques fondées sur la situation de face-à-face qui est le prototype même de l’interaction. La compétence sociale se

7 Même si nous nous accordons sur l’idée de Causation d’après laquelle Paul de Bruyne et les autres démontrent le

caractère complémentaire bien que dissociable entre explication et compréhension : « … Toute explication est interprétation et renvoie donc à une théorie, à un sens. L’explication est impossible sans une certaine compréhension du phénomène global qui pose un cadre de référence pour l’explication… ». Cf. Paul de Bruyne et alii, Dynamique

rapporte aussi à l’agir communicationnel qui permet de traduire les interactions comme le substrat d’une démarche de signification et non pas comme un simple échange d’informations. Derrière chaque expression se trouvent tapies des représentations et des conduites. La communication est, dans ces conditions, le support de l’intersubjectivation qui favorise l’intercompréhension qui, elle à son tour, crée le sens. La détermination de la prise en charge dans la situation de grande vieillesse s’accompagne ainsi toujours d’un rapport au sens, à la signification. La compétence de l’expert, plus rattachée à l’ordre objectiviste de l’action est à prendre avec beaucoup de parcimonie et devrait être adaptée à la logique des contextes largement marqués par des considérations affectuelles8. La sollicitation de la dimension psychosociale du vieillard montre l’intérêt de mobiliser la cognition dans la structuration des rapports de face à face qui caractérisent plus souvent l’interaction duale dans les rapports de prise en charge à domicile. Les constructions du sens commun sont essentielles et la réalité de la vie quotidienne des vieillards s’organise autour de la logique du hic et nunc9. Loin des exigences de rationalité de la société moderne, le sens du care se construit dans ces rapports d’intersubjectivation. C’est, en effet, à ce niveau que l’approche psychanalytique10 peut apparaître comme particulièrement utile à l’analyse sociologique des interactions symboliques. D’autres approches (Balint, 1973 ; Rogers, 2005) mettent en évidence une compétence sociale et communicationnelle basée sur l’écoute du patient comme pour mieux s’imprégner de ses sentiments les plus intimes et de ses émotions les plus significatives. C’est bien sûr là aussi que se construit l’empathie.

II – Cadres symboliques de la vie quotidienne dans le care

Rappelons la stratégie de la réflexion. Pour comprendre la réalité de la prise en charge des vieillards en situation de besoin d’aide à domicile, partir des interactions à la structuration de sa vie quotidienne semblait une démarche particulièrement féconde. Et si, dans la section qui

8 Cet espace de l’interdépendance constitue une réalité sui generis qui n’a d’existence que par elle-même.

9 Dans « La construction sociale de la réalité », Peter Berger et Thomas Luckmann définissent la réalité de la vie

quotidienne comme une réalité de l’ici de mon corps et du maintenant de mon présent. Ce hic et nunc, cet ici et ce maintenant sont ce qu’il y a de plus réel pour ma conscience. Mon champ de réalité est un champ de proximité. Nous avons largement montré que la réalité de la prise en charge de la vieillesse dite dépendante était une réalité bien spécifique.

10 Née dans l’Europe positiviste du XIXe siècle, « la psychanalyse a pour particularité d’interroger de manière

critique la science, de définir le statut de son discours et de travailler l’originalité de sa pratique. […] Détachée de l’hypnose, la psychanalyse réoriente sa praxis autour du langage et de la culture qu’elle se réapproprie à partir d’un processus de déconstruction reconnaissant par là son affinité avec la langue poétique ». Cf. Jacques Saliba, « Le corps et ses représentations », in Revue Socio-anthropologie, n°5, Premier semestre, 1999, p. 14.

précède, l’interaction sociale a été analysée à partir de l’importance que dévolue au principe de l’intersubjectivation et de celui de l’intercompréhension, nous voudrions, ici, également analyser la vie quotidienne des sujets très âgés à partir d’un ensemble de considérations liées à la perception intime des éléments du contexte de l’interaction. Ces considérations affectives sont, entre autres, l’expression verbale et non verbale dans l’interaction dite communicationnelle à partir de laquelle nous pouvons saisir la portée, la signification et la fonction des émotions dans les jeux et enjeux configurationnels des situations du care ; les mécanismes psychosociaux de la présentation de soi (Goffman, 1973) avec leur capacité à donner des impressions à autrui et aussi un rapport des sujets âgés au contexte physique considéré comme peuplé d’indices et de signes symboliques qui donnent à la vie quotidienne du vieillard, quasi reclus, toute sa signification. Sur ce dernier point, la perspective analytique de Jean-Pierre Warnier11 et l’ouverture vers la sémiotique étendront notre espace d’interprétation et de compréhension de la réalité de la grande vieillesse.

Dans le document Nouveaux cahiers d'Ethos (1) (Page 136-139)