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Chapitre 4 Analyse et résultats du jeu 1 : Combinaison cachée

4.3. Interprétation des résultats

Une fois les raisonnements des élèves décrits, il convient d’interpréter les résultats au regard des éléments retenus dans le cadre théorique afin d’observer la portée de ce jeu sur le plan du raisonnement mathématique. Pour ce faire, trois angles tirés du cadre théorique ont été retenus. D’abord une interprétation du jeu comme une situation didactique au sens de Brousseau sera faite, suivie de l’interprétation en termes de stratégies en cours de jeu, puis de l’interprétation à la lumière du modèle de raisonnement mathématique au sens de Jeannotte (2015).

4.3.1. Situation didactique au sens de Brousseau

Il convient de revenir sur un aspect important du jeu mathématique : il doit permettre aux élèves de réaliser par eux même les apprentissages ciblés pour le jeu, ce qui correspond à un jeu mathématique selon Brousseau (1986). On cherche à développer les raisonnements mathématiques. Il semble que ce jeu réponde à ce critère en ce sens qu’un vaste éventail de raisonnements mobilisés par les élèves a été observé. Puisque les raisonnements menant à des erreurs ne permettent pas de trouver le code secret, les élèves étaient amenés à revisiter l’ensemble de leurs décisions au fil du jeu pour arriver à une solution. Comme il sera discuté plus bas, les élèves sont constamment amenés à faire des déductions et des abductions en raison de la structure du jeu.

Ce qui demeure d’autant plus intéressant dans le jeu est que ces raisonnements s’arriment à l’aisance des élèves avec ces structures de raisonnement. En effet, ils étaient en mesure de gérer une ligne, deux lignes ou même plusieurs lignes à la fois, selon leurs capacités. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un élève ne considère pas tous les éléments provenant de toutes les informations recueillies à un moment donné que son raisonnement est erroné pour autant.

Finalement, en ce qui a trait au contenu mathématique ciblé (arithmétique préalgèbrique), ce ne sont pas tous les élèves qui ont pu manipuler les expressions mathématiques pour en tirer de l’information pertinente pour trouver le code secret. Certains élèves ont vu dans cette information un élément de plus à découvrir et non un indice pour faciliter le décodage de la combinaison cachée. Il semble toutefois qu’en jouant sur une base régulière, les élèves

pourraient éventuellement utiliser cette information supplémentaire puisque les élèves utilisaient de plus en plus les valeurs au fil des parties. Par contre, à la lumière des résultats, il est difficile d’affirmer que le jeu travaillera la manipulation d’expressions mathématiques.

4.3.2. Développement de stratégies

Ce jeu a également permis aux élèves de développer des stratégies. On pense ici à certaines stratégies qui se sont avérées inutiles comme celle de permuter les jetons lorsque l’élève avait un « x » pour trouver un « v ». Les élèves avaient ensuite un « v », mais ils ne savaient pas quel jeton était au bon endroit. Certaines stratégies adéquates et plus générales ont été adoptées, comme placer systématiquement ses jetons à 1, 2, 3 lors d’un premier essai, à 4, 5, 6 pour lors d’un deuxième essai et à 7, 8, 9 lors d’un troisième essai, lui permettant ainsi de déterminer des groupes de positions possibles et d’éliminer au moins une position (10 s’il avait des cotes dans chaque ligne et un ou plusieurs groupes s’il avait un ou des espaces de cotation vides).

4.3.3. Éléments du modèle de raisonnement mathématique de Jeannotte (2015) Le jeu permet également aux élèves de déployer des raisonnements relatifs à l’aspect structurel du raisonnement mathématique de Jeannotte.

Lorsque l’élève déploie un raisonnement intra-ligne, la considération d’un seul élément fait simplement référence à une déduction unique « si j’ai l’information X, alors je ne peux pas placer (ou je dois forcément placer) un jeton à Y ». Cette déduction qui menait souvent à l’élimination d’une position ou à l’essai d’un autre jeton à une position permet d’émettre une nouvelle ligne adéquate facilement pour les élèves en lien avec l’information considérée.

Lorsque l’élève déploie un raisonnement inter-ligne, deux options s’offraient aux élèves pour considérer deux lignes : soit ils considéraient les deux lignes comme une déduction de deux informations, soit ils avaient fait la première ligne en fonction de toutes les possibilités, et font la deuxième ligne en fonction des possibilités restantes. Le premier cas traduit une déduction : « si X et Y, alors j’élimine (ou je suis certain) de Z. Le deuxième cas traduit une abduction « tel exemple me permet de dire A, je pense que la règle (combinaison) est B, B est mauvais alors je vais émettre une nouvelle hypothèse pour corriger ma règle, je mets C.

Il convient de souligner que, même dans le cas d’une déduction, il y a une partie abductive, dans le sens où le joueur doit choisir parmi les possibilités restantes après avoir fait ses déductions. On observe alors un cycle de raisonnement, tel que décrit dans l’analyse du jeu (figure 5), qui s’installe entre chaque ligne.

À la lumière de ces cycles de raisonnements, on peut interpréter les raisonnements de la catégorie trans-ligne, tout autant ceux séquentiels que simultanés. Il convient de rappeler qu’une considération séquentielle (considérer deux informations, puis une autre) n’a pas été réussie par les élèves. Cela peut s’expliquer par le fait que cela correspond à deux cycles de raisonnement dans une même ligne. Si faire un cycle de raisonnement en considérant deux lignes pour faire une troisième ligne (L1 et L2 pour faire L3) correspondant à un cycle (un cycle pour créer la nouvelle ligne), on peut penser que, considérer deux lignes pour faire une première hypothèse, puis devoir s’ajuster par rapport à une troisième ligne (L1 et L2, puis L3 pour faire L4), correspondrait à deux cycles (deux cycles pour créer L4). Il faudrait simplement apporter une petite modification en ce sens que la « nouvelle ligne » du cycle correspondrait à la troisième ligne considérée qui n’est donc pas nouvelle, mais déjà jouée. On voit alors qu’il était facile pour les élèves de considérer un cycle pour créer une ligne (soit deux lignes, voire même trois ou quatre lignes de manière simultanées), mais qu’ils n’ont pas considéré deux cycles pour créer une ligne (soit considérer les lignes de manière séquentielle). Ils s’arrêtaient après un cycle, même s’ils avaient assez d’informations pour entrer dans le deuxième cycle sans faire de nouvelle ligne; c’est donc dire qu’ils ne considéraient pas les lignes de manière séquentielle. La règle ne s’est alors pas modifiée selon toutes les lignes et, en général, les élèves devront prendre plus de coups pour trouver la combinaison cachée. La combinaison de trois lignes ou plus a elle aussi été difficile, mais il y a eu des raisonnements menant à une ligne valide. Il convient d’ailleurs de souligner que la combinaison de trois lignes correspond à un seul cycle, incluant une abduction qui doit considérer plusieurs validations de la règle. Lorsque les lignes considérées étaient indépendantes, le raisonnement était souvent adéquat. Par exemple, A1 a souvent considéré que si trois lignes indépendantes déterminent trois positions parmi neuf positions testées, alors la dixième position est impossible. Des lignes indépendantes pourraient être plus faciles en ce sens que les règles à considérer sont toutes séquencées, tandis que la considération de trois lignes interdépendantes amène l’élève à devoir gérer des règles qui se recoupent ; il doit

donc combiner des informations pour en créer de nouvelles. Cependant, même si l’élève gère trois règles (trois cotations dans trois lignes), comme il doit le faire simultanément, on parle encore d’un cycle de raisonnement, puisqu’il n’y aura qu’une abduction (modification de la règle).

Bref, on peut retenir que la considération de trois informations ou plus a été la partie la plus difficile pour les élèves. Cela peut mener à réfléchir sur la résolution de problèmes plus traditionnels qui demande de gérer plusieurs informations ou plusieurs cycles de raisonnements.