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Chapitre 3 Ultrasons quantitatifs

3.3. Interprétation du coefficient de rétrodiffusion

Plusieurs modèles de la diffusion acoustique du sang ont été proposés pour assister en l’interprétation des courbes du BSC (Mo and Cobbold 1993). Les prochaines sections font un survol de la littérature pour la caractérisation de la rétrodiffusion du sang. Une explication plus rigoureuse et appliquée à des cas réels des modèles plus populaires est présentée dans le Chapitre 5.

3.3.1. Modèles théoriques de la diffusion du sang

L’intérêt d’avoir un modèle théorique de diffusion de sang est de l’utiliser dans le cadre d’un problème inverse pour connaître les paramètres qui ont donné lieu à la courbe observée expérimentalement. Dans la plupart des modèles, il y a de paramètres récurrents, notamment la concentration, l’organisation et les tailles des diffuseurs (e.g., des globules rouges ou de l’agrégat en tant que tel). De façon pratique, ceci implique qu’en mesurant directement le BSC d’un vaisseau du patient, et en l’ajustant au modèle de diffusion, on serait capable d’estimer la taille et la concentration d’agrégats d’érythrocytes. Ces deux mesures sont importantes cliniquement parce qu’elles se corrèlent avec l’hématocrite et la force d’attraction entre les érythrocytes, mesures qui changent pendant le processus inflammatoire. En plus, à partir de ces deux paramètres, il serait possible de dériver d’autres marqueurs de signification clinique comme la cinétique d’agrégation (le temps requis pour la formation d’agrégats).

Un des modèles classiques de diffusion acoustique parmi les plus connus remonte à 1951 dans l’article « Sound scattering by solid cylinders and spheres » (Faran Jr 1951). L’auteur dérive l’équation de diffusion à partir des propriétés physiques des diffuseurs supposés identiques, comme la taille, la vitesse du son et le contraste d’impédance avec son milieu, en suivant la façon de Morse (Morse et al. 1948). Cependant, les caractéristiques particulières du sang font échouer le modèle de Faran pour représenter sa diffusion acoustique.

Une première difficulté d’une formulation précise du BSC du sang apparaît avec les interférences causées par l’interaction de millions d’érythrocytes. Quand il n’y a pas d’agrégation et la concentration de globules rouges est faible (en bas de 6%), tous les modèles prédisent une dépendance de la rétrodiffusion à la quatrième puissance de la fréquence d’insonification. Cependant, avec des concentrations plus élevées (notamment celles trouvées

dans des conditions physiologiques, soit 40%) l’effet de groupe génère des interférences tant constructives que destructives (selon la fréquence observée) qui font que les modèles échouent dans leurs prédictions (Savéry and Cloutier 2001).

En addition aux problèmes de concentration, le caractère agrégeant du sang impose un deuxième défi. En effet, le changement de taille du diffuseur fait que le milieu devient polydisperse (de diffuseurs de diffèrent tailles soient présents), ainsi les modèles ne sont pas en mesure de prédire correctement le niveau de rétrodiffusion. En plus, l’agrégation d’érythrocytes implique la capture du plasma à l’intérieur de l’agrégat, ce qui modifie l’impédance acoustique du diffuseur (Yu and Cloutier 2007).

Pour résoudre la problématique de l’interférence interérythrocytaire, plusieurs formulations sont apparues. D’abord, Twersky a proposé un facteur de correction basée sur la concentration d’érythrocytes non agrégés, appelé le Packing factor (Twersky 1987); néanmoins, ce paramètre ne modélise pas la dépendance de la fréquence observée expérimentalement. Après, en 2005, Savery a apporté une solution généralisée pour compenser les interférences basée sur la fréquence d’insonification en addition à la concentration (Savéry and Cloutier 2005). Notamment, il a appliqué des notions de mécanique statistique couramment utilisées en cristallographie au cas de la diffusion acoustique du sang. Ainsi, il a dérivé la notion du facteur de structure comme le facteur de correction du problème d’interférence. L’élégance de cette solution est qu’elle est harmonisée avec le développement de Twersky, car quand la fréquence tend vers l’infini, le facteur de structure est égal au packing factor. Cependant, la solution apportée implique la connaissance de la position exacte des diffuseurs, ce qui rend la solution analytique peu pratique. Savery a aussi proposé une approximation du facteur de structure par séries de Taylor du troisième ordre. Quelques années après, Yu l’a développée et a proposé l’estimateur du facteur de structure et de la taille (SFSE). Finalement, il les a appliquées pour suivre le stade de facteurs thrombotiques dans un modèle animal (Yu and Cloutier 2007).

Malgré les avantages pratiques offerts par le développement de Taylor en SFSE, il a été prouvé être une approximation grossière du facteur de structure théorique. En effet, une approximation de Taylor du troisième ordre n’est pas capable de prédire que le premier pic d’interférences constructives observées en plusieurs simulations de globules rouges sphériques monodisperses. Dans des cas de simulations, son utilisation implique que les interférences destructives soient mal estimées dans les fréquences plus hautes (Saha et al. 2011). Malgré les

limitations théoriques signalées par ces simulations, le SFSE continue à être un modèle empirique valide pour la caractérisation expérimentale du sang. Les études expérimentales présentées dans le Chapitre 6 montrent que le niveau d’agrégation érythrocytaire prédit par le modèle se corrèle bien avec des mesures benchmark obtenues avec des appareils rhéologiques. En abordant l’inexactitude de l’approximation de Taylor et les variations d’impédance des milieux agrégés, Franceschini a proposé une modification au modèle de rétrodiffusion (Franceschini et al. 2011). En général, les auteurs proposent que le diffuseur ne soit plus le globule rouge, mais l’agrégat lui-même. En changeant cette définition, ils modélisent la variation du contraste d’impédance due à l’emprisonnement du plasma à l’intérieur de l’agrégat, ce que les auteurs appellent le milieu effectif. Ainsi, ce modèle a été appelé l’estimateur du milieu effectif et du facteur de structure (EMTSFM). Avec des forces d’attraction plus élevées, moins d’espace est libre pour enfermer du plasma. Dans ce modèle cette force d’attraction est appelée la compacité de l’agrégat et modélise la force inter érythrocytaire. En plus, le modèle propose une solution exacte du facteur de structure analytique pour des sphères compactes de la même taille (Wertheim 1963). Cette représentation modélise les deux types d’interférences, constructives ou destructives, mais suppose que l’agrégat est sphérique, ce qui est une approximation grossière de la vraie forme d’un agrégat. Ainsi, ce modèle donne accès à trois paramètres : la taille de l’agrégat, l’hématocrite et la compacité de l’agrégat. Encore, la plus grande critique du modèle est que les agrégats de globules rouges ne sont pas monodisperses. Cette dernière contrainte impose de variations de forme du BSC qui ne sont pas observés expérimentalement dans les bandes passantes prédites.

Pour surmonter cette difficulté, De Monchy et Franceschini ont proposé un modèle théorique qui tient compte de la polydispersité des agrégats de globules rouges (de Monchy et al. 2016a). Ils modélisent la distribution de tailles des agrégats comme une fonction gamma et estiment l’interférence entre chaque pair de groupes d’une même taille.

Le modèle De Monchy-Franceschini représente l’état de l’art en diffusion acoustique du sang. Il donne accès à quatre paramètres : la distribution de tailles, la taille moyenne, l’hématocrite et la compacité de l’agrégat (la quantité relative d’érythrocytes à l’intérieur de l’agrégat). Cependant, l’étude du problème inverse de ce modèle en conditions in vivo n’a pas été abordée. Ainsi, la pertinence clinique du modèle pour la caractérisation de l’agrégation érythrocytaire n’a jamais été prouvée jusqu’à présent. Ceci est la question de recherche adressée

dans le Chapitre 5 de cette thèse. On aborde le sujet comme une comparaison de ce modèle à d’autres précédents.