• Aucun résultat trouvé

1. Propriétés cinétiques et thermodynamiques des CPR chimères

1.2. Interprétation des résultats de potentiométrie

Malgré des perturbations structurelles importantes chez les chimères ayant conduit entre autre à des changements conformationnels majeurs entre les structures cristallographiques de YHs et des CPR parentales, les valeurs des potentiels standard des cofacteurs des protéines chimères restent agencées de la même façon que celles de Hs (Ys présente une inversion des potentiels FMNox/sq et

FMNsq/hq qui empêche l’accumulation de semiquinone). L’intégrité de chacun des domaines préserve

donc la force électromotrice favorisant un transfert du FAD vers le FMN. Pourtant quelques particularités des protéines chimériques sont à noter telles que les valaurs particulièrement basses des potentiels du FAD chez YHs ou encore l’écart très important entre les deux potentiels du FMN chez les deux chimères (E°1≈0 mV et E°2≈E°3). D’un point de vue thermodynamique, ces caractéristiques singulières devraient freiner la réduction du FAD par le NADPH chez YHs et empêcher la réduction totale des chimères qui n’a de toute façon pas lieu au cours du cycle catalytique des CPR.

Ces résultats ont déjà été commentés et comparés à ceux trouvés dans la littérature (voir Résultats § 3.4) ; mais par ailleurs, les mesures de potentiométrie à l’équilibre doivent être interprétées avec précaution car la titrage des CPR à l’équilibre ne permet pas obligatoirement d’accéder aux valeurs des potentiels standards des espèces actives dans des conditions catalytiques (Murataliev and Feyereisen, 2000b; Murataliev et al., 2004). En effet, ces résultats ne reflètent que le comportement moyen de l’ensemble des molécules de CPR à l’équilibre. Or, non seulement la conformation moyenne de ces protéines mais également les constantes d’équilibre entre ces différentes conformations peuvent varier selon la nature de la CPR et le potentiel de la solution. La

INTÉGRITÉ STRUCTURALE

DES DOMAINES

• Bonne reconnaissance des

accepteurs

• Conservation de la voie de

transfert des électrons

• k

catferricyanure

et cinétique de

réduction du FAD élévés

• Assez bonne activité P450

réductase

PERTES DES

INTERACTIONS ENTRE

DOMAINES

• Ralentissement du transfert

interflavine

• Activités CPR chimériques

inférieures à celles des CPR

parentales

• Stabilité des CPR chimériques

inférieures à celles des CPR

parentales

• Modifications importantes des

potentiels rédox du FMN

142

mesure de potentiométrie à l’équilibre ne permet donc malheureusement pas d’accéder à la valeur du potentiel standard de l’espèce chimique directement responsable du transfert électronique à telle ou telle étape du cycle catalytique des CPR, mais seulement à la moyenne des potentiels des espèces en équilibre.

Un autre facteur pouvant modifier significativement les potentiels standards des flavines est occulté lors des mesures de potentiométrie ; il s’agit de l’influence du NADPH. Des modifications des potentiels standards des flavines dues à la fixation du ligand NAD(P)H ont été caractérisées chez de nombreuses flavoprotéines. Chez les diflavines réductases en général et la CPR en particulier, le transfert d’hydrure entre le NADPH et le FAD passe tout d‘abord par la formation d’une espèce compétente pour le transfert de charge via des changements conformationnels au niveau des sites de fixation des cofacteurs (Gutierrez et al., 2003; Murataliev and Feyereisen, 2000a; Welland et al., 2008). Il s’agit principalement du déplacement d’un tryptophane à l’extrémité C-terminale de la CPR (avant-dernier résidu chez les CPR mammifères et dernier résidu chez Y) qui protège le FAD du solvant en l’absence de ligand (Hubbard et al., 2001; Shen and Kasper, 2000). Ces changements conformationnels, et les interactions nicotinamide-flavine qui en découlent, se répercutent sur les valeurs des potentiels des deux cofacteurs car ils changent leur environnement au cœur de la protéine (Finn et al., 2003; Garnaud et al., 2004; Murataliev and Feyereisen, 2000b). Or ce phénomène n’est pas du tout appréhendé lors des expériences de potentiométrie puisque le potentiel de la solution est alors fixé par le dithionite et est mesuré via des électrodes en l’absence de NADPH.

Les potentiels standards très négatifs du cofacteur FAD chez la chimère HYs, qui devraient d’un point de vue thermodynamique défavoriser le transfert d’hydrure, ne correspondent probablement pas aux valeurs réelles en présence de NADPH. De plus, ce transfert d’hydrure est plus rapide chez YHs (52,9 s-1) que chez Hs (24 s-1) alors que, selon nos résultats de potentiométrie, ce transfert d’hydrure serait plus défavorable chez la chimère que chez le CPR native. L’interprétation des données expérimentales est à nouveau limitée par la difficulté à connaître la nature du contrôle cinétique et/ou thermodynamique régissant les réactions de transferts au sein des CPR étudiées.

L’ensemble des études de potentiométrie sur les diflavines réductases montre un domaine FAD peu sensible à la présence et à la nature du domaine FMN. En effet, les potentiels du cofacteur FAD et les activités ferricyanure réductase restent du même ordre chez les protéines natives (Hubbard et al., 2001; Louerat-Oriou et al., 1998; Murataliev et al., 1999; Shen et al., 1999), disséquées entre deux parties catalytiques distinctes (Smith et al., 1994) ou chimériques. Par contre la cinétique du transfert d’hydrure entre le NADPH et le FAD est influencée par l’autre domaine flavinique qui peut en quelque sorte « attirer » les électrons (Gutierrez et al., 2003; Gutierrez et al., 2002).

Le comportement et le bon fonctionnement du domaine FMN sont bien plus dépendants de son environnement protéique externe. D’un point de vue thermodynamique, les valeurs des potentiels du cofacteur FMN sont encore plus variables que celles du FAD selon la nature et l’organisme d’origine des diflavines réductases (Δ(E°2-E°1) є [-50 ; +300 mV] ; Δ(E°4-E°3) є [+50 ; +200 mV]). L’environnement du FMN au sein d’une CPR pouvant adopter des géométries apparemment très diverses est bien plus variable que celui du FAD. En effet, les changements conformationnels majeurs entre les formes ouverte et fermée de la CPR font passer respectivement le FMN d’un environnement très hydrophobe à une exposition totale au solvant, tandis que l’environnement

143

F

ACTEURS

I

NFLUENÇANT LE

P

OTENTIEL

S

TANDARD

DES

F

LAVINES interaction et nature de la membrane lipidique changements conformationnels accessibilité du solvant interaction avec des résidus du site de fixation DU

FMN

présence d’un autre domaine catalytique (domaine FAD) interaction avec des résidus spécifiques présence d’un accepteur externe DU

FAD

fixation et positionnement du ligand NADPH conformation du tryptophane C-terminal

majoritairement hydrophobe de la molécule de FAD reste assez semblable quelle que soit la géométrie de la CPR. De telles modifications de l’environnement du cofacteur FMN sont certainement à l’origine des différences entre les potentiels standards de ce cofacteur (Muller, 1983) chez les protéines parentales et chimériques.

Ces mesures de potentiométrie confirment bien la sensibilité des potentiels standards des cofacteurs flaviniques vis-à-vis des modifications de leur environnement que ce soit à l’échelle de leur site de fixation ou de la géométrie des domaines au sein des CPR en général. Elles appuient également l’hypothèse selon laquelle les potentiels standards mesurés ne correspondent pas exactement à ceux de telle ou telle espèce chimique compétente à une étape précise du cycle catalytique des CPR mais seulement à la moyenne des espèces ou conformations en équilibre. Par ailleurs, ces équilibres sont probablement déplacés au cours du cycle catalytique de la CPR sous l’influence de la fixation/libération du ligand nicotinamide ou encore de l’état rédox des flavines. Ces différents phénomènes ont un impact sur les valeurs des potentiels standards des flavines qui n’a pas été pris en compte lors de nos mesures.

144

2.

Propriétés structurales de la chimère YHs

2.1.

L’éloignement des domaines catalytiques

Ce que les analyses biochimiques laissent supposer quant à la diminution de la reconnaissance et des transferts interdomaines chez nos chimères est finalement confirmé pour l’une d’elle par la résolution cristallographique de YHs. Cette structure de YHs dans une conformation ouverte confirme le bon repliement de chacun des domaines FAD, FMN et de connexion. Elle présente aussi la protéine dans une géométrie des domaines flaviniques complètement différente de celle connue jusqu’alors chez les CPR native. Or, bien que la conformation dans laquelle une protéine cristallise ne corresponde pas obligatoirement à la conformation majoritaire en solution, le simple fait que le repliement propre à chaque domaine soit parfaitement intact prouve qu’une ouverture aussi large des CPR est possible sans pour autant atteindre l’intégrité de ces domaines. Par ailleurs, YHs a cristallisé dans une conformation totalement ouverte dans laquelle les domaines catalytiques ne sont plus du tout en interaction (rotation de 180°C) à l’opposé des conformations très compactes de Ys et Rs. On peut alors supposer que la perturbation de la reconnaissance interdomaine chez cette chimère est telle qu’elle permet la stabilisation de la forme ouverte ou, d’un autre point de vue, qu’elle déstabilise fortement la forme fermée.

Il est donc possible de substituer un domaine entier d’une diflavine réductase tout en conservant son activité catalytique et son mode de fonctionnement. La préservation de la voie de transfert d’électrons chez les chimères prouve entre autre que, malgré la conformation cristallographique ouverte de YHs, ces protéines se referment bien lors de certaines étapes de leur cycle catalytique afin d’autoriser le transfert électronique interne entre le FAD et le FMN. La cristallogenèse de HYs n’a malheureusement pas abouti ; mais le comportement de cette seconde chimère, souvent très proche de la première, nous assure au moins le bon repliement de ses domaines, et laisse à penser que les adaptations des deux chimères aux mêmes perturbations structurelles sont certainement assez proches. Ces résultats confirment donc le caractère intrinsèquement mobile de la CPR dont les mouvements de domaines sont considérés comme nécessaires à la livraison des électrons aux P450 de manière synchronisée.