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Chapitre 1. Langues en contact

1.3. Interlangue, marques transcodiques et parler bilingue

D’après Blanchet, l’apprentissage du FLE s’inscrit dans un continuum. Si l’on apprend le français tardivement, on sera au bout du continuum où le français représente une langue « autre » avec des compétences limitées. En revanche, si le français constitue la langue maternelle ou seconde, on se trouve dans l’autre polarité où elle devient la « langue-base » qui dispose d’une compétence active si la langue est utilisée fréquemment. Entre les deux polarités, on témoigne d’un continuum comprenant des

interférences et des interlangues intervenant dans les échanges linguistiques des

locuteurs. D’où la présence d’une mixité de langues chez l’apprenant de FLE (2000 : 98).

Les événements à expression sémiotique d’ordre verbal et non-verbal qui révèlent le contact de langues et de cultures sont à l’origine d’un ensemble d’activités linguistiques qui mettent en jeu les rapports de force entre les différentes langues (de Pietro, 1988 : 67). L’interlangue, les marques transcodiques et le parler bilingue

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prennent place dans les pratiques langagières du sujet engendrant ainsi une rencontre interculturelle et interlinguistique. Le jopara au Paraguay et le spanglish aux États-Unis sont des exemples de formes hybrides qui émergent du contact de la/des langue(s) dominante(s) et de la/des langue(s) dominée(s) dans une communauté. Lorsque ce métissage de codes implique les répertoires des locuteurs au niveau conversationnel principalement, nous avons affaire à un phénomène microsociolinguistique (Boyer, 2017 : 87). Le fragnol dont nous parlerons dans notre étude est un évènement microsociolinguistique qui désigne la parlure produite du bricolage des répertoires linguistiques de l’espagnol et du français.

1.3.1. L’interlangue

La « langue de l’apprenant » (Corder 1980) ou la « compétence intermédiaire » font allusion à « une structuration progressive des connaissances d’apprenants en langue étrangère » (Galligani, 2003 : 142-143). Cette notion amplement travaillée par plusieurs chercheurs particulièrement dans la linguistique et la didactique des langues est définie comme « un des systèmes intermédiaires que se forge l’apprenant dans le processus d’appropriation de la compétence en langue étrangère » (Boyer, 2017 : 90). Il s’agit alors d’un système approximatif et provisoire

Selinker, un des premiers linguistes à utiliser le concept d’interlangue, affirme que les discours produits en langue étrangère ne correspondent ni à une traduction exacte de la langue maternelle ni aux formes authentiques utilisées par les locuteurs natifs de la langue étrangère. Ce système linguistique créé séparément par l’apprenant est pourtant lié aux deux langues : la maternelle, L1, et l’étrangère, L2 (1972 : 214). En effet, l’interlangue comporte aussi bien des formes des deux langues – français et espagnol par exemple – que des procédés linguistiques produits du processus d’acquisition (Boyer, 2017 : 90). L’apprenant manifeste à travers l’interlangue la transition des connaissances d’une langue à l’autre et la mise en place de stratégies de communication lors des échanges langagiers.

Corder pour sa part établit une relation entre la compétence de transition de l’apprenant, à savoir l’interlangue, et les erreurs. Le linguiste précise que les énoncés erronés sont le reflet du système linguistique utilisé par l’apprenant durant les échanges. Dans cette optique, les erreurs constituent pour l’apprenant « […] une manière de

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vérifier ses hypothèses sur la nature de la langue qu’il apprend28 » (1967 : 167). Par ailleurs, le processus d’apprentissage d’une langue étrangère n’est naturellement pas similaire du processus d’acquisition de la langue maternelle. L’utilisation de stratégies par l’apprenant s’avère essentielle. Il en va de même du rôle de la motivation, qui semble central dans l’apprentissage de la langue étrangère. En fait, la langue maternelle est acquise par l’être humain comme réponse à sa « prédisposition pour développer le comportement langagier29 », alors que la langue seconde ou étrangère requiert un autre rapport de force : la motivation (ibid. : 164).

1.3.2. Marques transcodiques

Selon de Pietro, le discours bilingue comporte des changements de langue et des

marques transcodiques. Ces dernières englobent les marques « […] qui renvoient d’une

manière ou d’une autre à la rencontre de deux ou plusieurs systèmes linguistiques : calques, emprunts, interférences, alternances codiques, etc. » (1988 : 70). Les marques

transcodiques intègrent la « boîte à outil » du locuteur en enrichissent son discours (Py,

1991 : 151). L’hybridation linguistique permet pour ces motifs l’intercompréhension dans une conversation exolingue – dans laquelle les participants ne disposent pas du même répertoire linguistique – et le flux de la conversation dans une situation de communication bilingue.

Les interférences sont les « déviations » produites par l’influence non volontaire, inconsciente de l’interaction des processus psychologiques. Les calques et les faux-amis sont des interférences. Elles sont de deux types : statiques et dynamiques. Les

interférences statiques manifestent des « traces permanentes » et systématiques d’un

code linguistique sur l’autre (e.g. « l’accent étranger ») ; les interférences dynamiques désignent les « intrusions accidentelles » d’une des langues du répertorie linguistique (e.g. une structure syntaxique de l’espagnol transposée telle quelle dans un énoncé produit en français). La présence d’interférences est plus fréquente dans la L2 que dans la L1. On peut toutefois noter des interférences dans la L1 lorsque la L2 est la langue dominante et les locuteurs y sont souvent exposés ; c’est le cas des immigrants (Grosjean, 1989 : 7 ; Hamers, 1997 : 178).

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« […] a way the learner has of testing his hypotheses about the nature of the language he is learning » (notre traduction).

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L’emprunt est un mot ou expression non traduits et empruntés par le locuteur à une autre langue. Les emprunts diffèrent des interférences dans le sens où ils sont le produit d’une transposition souvent consciente, alors que ces dernières sont réalisées involontairement par le locuteur. Hamers distingue deux types d’emprunts : l’emprunt

de compétence consiste à utiliser les deux répertoires lexicaux car le mot ne compte pas

une traduction équivalente dans la langue parlée, le terme disponible ne dispose pas d’une nuance spécifique, ou alors le locuteur emprunte la structure lexicale à des fins stylistiques ; l’emprunt d’incompétence permet au locuteur de se servir de sa L1 lorsqu’il n’a pas acquis un mot dans la L2 (ibid. : 136). Quant aux calques, ils constituent une sorte d’interférence et un mode d’emprunt. Le locuteur emprunte une forme d’une langue et la traduit littéralement dans la langue qui lui occupe ; il transpose une structure de la L1 à la L2 par exemple. (ibid. : 64).

Les alternances codiques, également appelées alternances de codes et code-

switching, sont définies par Gumperz comme « […] la juxtaposition à l’intérieur d’un

même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous- systèmes grammaticaux différents. » (1989b : 57). Les locuteurs alternant les codes éprouvent des difficultés à trouver le mot ou la construction juste, ou dans certains cas, le sujet de la conversation invite le locuteur à utiliser un code plutôt que l’autre. Des études menées par l’auteur ont permis de conclure que l’alternance codique contient des implicites qui remplissent une fonction sociale en différant des attitudes exprimées de façon ouverte, explicite (ibid. : 99 ; 1989a : 88). Par ailleurs, Grosjean affirme que l’alternance codique est « le passage momentané mais complet d’une langue à l’autre » (1989 : 10). L’auteur poursuit en disant que ce phénomène est la preuve de stratégies linguistiques et communicatives chez les bilingues et que ceux-ci peuvent comprendre un discours à codes alternés aussi bien que les monolingues comprennent un discours dans la seule langue y occupée.

52 1.3.3. Le parler bilingue

Les sociolinguistiques suisses Grosjean, Lüdi et Py sont les pionniers dans l’utilisation de la notion de parler bilingue. Le terme désigne « […] un mode d’exploitation d’un répertoire bilingue dans les conversations entre membres d’un même groupe migrant qui se traduit par la présence intentionnelle de marques transcodiques […] » (Boyer, 2017 : 88). Cet évènement linguistique comprend effectivement des procédés communicatifs propres d’un contact de langues, impliquant la présence de marques transcodiques et d’alternance de langues. La fonction primordiale du parler bilingue est liée, parmi d’autres choses, à la structuration du discours, l’intentionnalité référentielle et l’implicitation conversationnelle, et reflète l’exploitation des stratégies et des ressources fournies par les compétences bilingue et biculturelle des locuteurs lorsque ceux-ci considèrent que les actes communicatifs sont endolingues – les locuteurs partagent le même répertoire linguistique (de Pietro, 1988 : 75).

Selon Grosjean, le parler bilingue manifeste la mise en marche de deux opérations : l’alternance codique et l’emprunt. Le choix de langue dans une situation de communication bilingue dépend de plusieurs facteurs qui concernent les interlocuteurs (la maîtrise des langues, l’âge, le statut social, les préférences linguistiques), la situation (le lieu, la présence ou non de monolingues), le contenu (le sujet de l’interaction) et la fonction de l’interaction (inclure ou exclure quelqu’un, créer une distance entre les interlocuteurs, marquer un statut social). L’auteur conclut en affirmant que même s’il y a toujours choix de langue lors d’une interaction entre bilingues, ceci ne signifie néanmoins pas que les deux langues soient forcément y utilisées (1984 : 28-29).

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CHAPITRE 2. Communauté linguistique, paradigme