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Chapitre 2. Rencontre avec l’Autre, rencontre avec Soi

2.3. Échanges langagiers et relations interpersonnelles

On sait très bien que l’humain est un être social. Les rapports qu’il entretient avec les autres déterminent le rôle qu’il joue dans la société. Le langage est l’outil permettant que la communication aboutisse et que la socialisation s’établisse. Dans cette perspective, les pratiques linguistiques contribuent à créer les rapports sociaux. Selon Blanchet (2000) :

Les langues jouent un rôle fondamental (mais non exclusif) dans la construction des identités individuelles et collectives. C’est notamment par elles que passe la socialisation des individus, l’élaboration de leurs rapports à eux-mêmes, aux autres, aux groupes et à l’univers (p. 110).

Les données de notre enquête mettent en évidence la relation individu-langue- socialisation-identité. Observons quelques exemples des représentations que les enquêtés se font des rapports avec les Français en vue de déterminer comment la langue favorise ou empêche l’établissement de ces rapports.

La figure 3.6 nous montre que 76,4% des répondants au questionnaire estiment avoir eu une bonne expérience dans la relation avec les Français. Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette majorité représentent 5,4% et ceux qui ne sont ni d’accord ni pas d’accord représentent 17,9% des réponses. De plus, 100% des interviewés ont déclaré avoir eu une expérience positive avec les Français. Ces pourcentages reflètent alors que la plupart des enquêtés, soit 326 – 316 du questionnaire et 10 des entretiens – des 423 enquêtés, sont satisfaits des rapports avec les Français.

Figure 3.6. Répartition des répondants selon le degré d’accord avec l’opinion « Mon expérience dans la relation avec les Français a été globalement positive ».

Les commentaires apportés à l’enquête mettent en lumière les représentations que les enquêtés se sont élaborées des relations en France. Lorsque nous avons posé la

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203 113

Pas du tout d'accord Pas d'accord

Ni d'accord ni pas d'accord D'accord

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question « Comment pourriez-vous décrire votre expérience dans la relation avec les Français ? » dans les entretiens, un tas de stéréotypes sont sortis de la bouche des enquêtés. Tous les interviewés pensent qu’il est davantage difficile et lent le processus de construction des relations d’amitié en France par rapport au processus en Colombie. Lisons les commentaires de Théo (25) et d’Emma (46) à titre d’exemple :

(25) « es complicado es complicado poder es establecer // relaciones como de confianza o sea como ir más allá en una relación ».

(26) « me parece que es un poco no es tan evidente la relación con los franceses o sea es una relación no es tensa pero no es amigable desde el primer momento »87.

Nous avons remarqué par la suite que la construction de cette représentation est liée à la comparaison du contexte français avec le contexte colombien. Dès que l’on analyse la construction des rapports sociaux en France à partir de la manière dont ces rapports fonctionnent en Colombie, l’on comprend mieux pourquoi les enquêtés pensent ainsi des relations entretenues avec les Français. En effet, être sociable en Colombie suffit pour rencontrer des gens et créer des relations d’amitié selon Louise. Par ailleurs, la socialisation en Colombie peut être plus rapide car « l’on entre en confiance plus facilement » et la frontière entre inconnus et connus est moins « tangible », ajoute Théo. Comme justement cette frontière est fine, la durée des relations amicales en Colombie est toutefois mineure qu’en France, poursuit Théo, et quelques fois l’on peut avoir l’impression que certains rapports sociaux en Colombie ne sont pas sincères car les gens ont tendance à être compétitifs et à « piéger » les autres, explique Alice88

. En conséquence, selon les données de l’enquête, si l’on compare les relations que l’on construit en France par rapport à celles qu’on construit en Colombie, l’on pourrait conclure que ces premières sont davantage durables comme l’exprime EQ92 :

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Théo : « c’est compliqué c’est compliqué de pouvoir établir // des relations comme de confiance c’est- à-dire aller au-delà d’une relation » ; Emma : « il me paraît que c’est un peu ce n’est pas si évident la relation avec les Français enfin c’est une relation elle n’est pas tendue mais elle n’est pas amicale dès le début ».

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Louise : « no es como como en Colombia que tú eres sociable y te haces amigo de alguien y ya » ; Théo : « en Colombia uno uno entra en confianza mucho más fácil […] pero también yo creo que:: después de que acá se crea una relación con alguien es difícil romperla mientras que en Colombia como esa frontera es […] tan poco mm palpable de la misma manera como[…] se establecen relaciones a veces muy intensas […] y de un momento a otro plum desaparecen » ; Alice : « creo que las amistades que se construyen en Francia son amistades más sinceras que digamos las que yo pude haber tenido por mi experiencia personal en Colombia eh son personas eh que no están en la competencia ni:: a la buscando buscando piéger […] a las demás personas ».

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Al inicio efectivamente no es fácil de conocer a los franceses porque en general son un poco cerrados pero cuando logras entrar en su círculo, nunca sales de ahí. Son excelentes personas y les gusta aprender y conocer sobre otras culturas y tradiciones89. Cette perception sur la solidité et la sincérité des rapports sociaux dans le pays d’accueil est souvent accompagnée du stéréotype de combien les Français peuvent être « hermétiques » (Louise) et « froids » au début (Thomas). Or, tous les enquêtés ont établi un lien inversement proportionnel entre l’ancienneté du rapport avec un Français et son attitude « froide » : plus les relations avec les Français avancent moins ils sont « fermés », au point que l’on se rend compte qu’ils sont en réalité des personnes « chaleureuses » (Louise), « ouvertes aux étrangers » (EQ248) et qui peuvent être « les meilleurs amis du monde » (Thomas)90.

La langue et les rapports sociaux sont deux éléments indissociables. C’est via les pratiques linguistiques que les individus d’une communauté quelconque peuvent socialiser. La fonction sociale de la langue s’avère alors fondamentale. Les enquêtés ont souligné l’importance de l’acquisition des compétences linguistiques en français afin de favoriser les relations interpersonnelles. Alice a affirmé par exemple que « plus on maîtrise le français, plus les portes s’ouvrent envers une amitié avec un Français » ; EQ217 a déclaré que « parler français est fondamental pour les relations tant personnelles que professionnelles » ; et Chloé a l’impression que l’échec d’une relation sentimentale avec un francophone s’est produit à cause de barrières linguistiques car elle ne pouvait pas exprimer en français tout ce qu’elle sentait91.

En revanche, la maîtrise de la langue française n’est pas le seul aspect indispensable dans la construction de relations interpersonnelles dans le pays. L’existence de codes culturels entrave dans quelques cas les rapports sociaux entre le migrant et le natif, comme le manifeste Léa, qui n’arrive pas à comprendre comment les

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« au début effectivement ce n’est pas facile de connaître les Français parce qu’en général ils sont un peu fermés mais quand tu réussis à entrer dans leur cercle, tu n’en sors jamais. Ils sont des personnes excellentes et ils aiment apprendre et connaître sur d’autres cultures et traditions ».

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Louise : « pensaba que los franceses eran un poco más herméticos eh sin embargo me he dado cuenta que son personas cálidas » ; Thomas : « son fríos en un comienzo y después cuando la relación profundiza un poco pueden ser los mejores amigos del mundo » ; EQ248 : « Francia es un país que en mi punto de vista es muy abierto a los extranjeros ».

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Alice: « mientras más tienes dominio de la lengua más puertas te abre hacia eh una amistad con un francés. » ; EQ217 : « Hablar francés es fundamental tanto para las relaciones personales como profesionales » ; Chloé: « yo antes de este novio tuve otro novio eh francophone eh con él cual siento que no funcionó por barreras lingüísticas porque yo no podía expresar todo lo que sentía en francés ».

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Français établissent les barrières dans les relations et ce que signifie une amitié pour eux. Théo pour sa part fait allusion à l’existence de certains codes culturels de France qu’il n’a pas compris même s’il y habite depuis neuf ans92

. Le développement de la compétence ethnosocioculturelle résulte indispensable dans la compréhension des implicites codés d’une culture (Boyer, 2003 : 24-25). Car, après tout, la langue ne concerne pas que l’assignation systématique d’un signifiant à un signifié, elle constitue essentiellement une analyse de la réalité (Blanchet, 2000 : 110).

En définitive, les déclarations de la plupart des enquêtés prouvent que l’identité des Colombiens entre dans un va-et-vient en fonction des rapports sociaux. Si l’individu perçoit que les relations interpersonnelles en France posent des difficultés, c’est parce qu’il a un système de référence concernant les dynamiques sociales en Colombie. En remarquant que les représentations préconstruites en Colombie sur les rapports sociaux diffèrent de ce que l’on perçoit dans le contexte français, les enquêtés comprennent que leur appartenance culturelle est autre que celle de la culture française et que leur identité est donc loin d’être liée à l’identité collective des Français. Au fur et à mesure que les individus prennent conscience du fonctionnement des rapports sociaux dans le pays d’accueil, et que leurs compétences dans la langue s’affinent, leur identité se laisse influencer par l’existence/inexistence d’un sentiment d’appartenance à la communauté et d’identification avec la dynamique sociale du pays. Autrement dit, plus le temps coule, plus les individus sont immergés dans des rapports sociaux avec les autochtones ; plus ces rapports sociaux se consolident, plus les individus se sentent intégrés à la communauté d’accueil ou, au contraire, plus se sentent distants de la culture française. Le sentiment d’appartenance à une communauté, qui est souvent lié mais non exclusivement au sentiment d’intégration dans une société, est à notre avis fortement déterminé par les rapports que l’individu entretient avec les membres de la communauté. Et la langue constitue un intermédiaire primordial dans ces rapports.

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Léa : « no logro diferenciar cómo los franceses establecen las barreras de en ciertas relaciones por ejemplo yo no puedo determinar para un francés qué es la amistad y cómo cómo cómo están puestas las barreras de la amistad » ; Théo : « hay cosas culturales algunos códigos culturales que aun llevando nueve años acá me cuesta a veces como como entender ».

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