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Chapitre 2. Communauté linguistique, paradigme représentationnel et identité

2.3. Identité

L’identité sociolinguistique d’un locuteur se définit par rapport à son appartenance sociale. Des aspects comme l’âge, la classe socio-économique, le sexe, et le pays d’origine dans une situation de migration déterminent l’identité d’un individu (Mufwene, 1997 : 161). Selon Chareaudeau, le classement d’un locuteur comme appartenant à telle classe sociale ou à telle communauté linguistique est effectué par les autres individus et non par le locuteur lui-même. Autrement dit, « c’est par le regard des autres que nous sommes marqués, étiquetés, catégorisés » (2009 : 3).

2.3.1. L’identité individuelle

On pourrait croire que l’identité d’un groupe constitue l’ensemble des identités individuelles. Ce n’est pas pourtant le cas: les opinions, les jugements, les croyances que les individus possèdent se construisent initialement au sein de son groupe. En conséquence, il ne serait pas faux d’affirmer que l’identité individuelle s’édifie à partir de l’identité du groupe auquel l’individu appartient. Après tout, déclare Charaudeau, le regard de soi passe en premier par le regard des autres (ibid. : 4). Blanchet (2000) rejoint d’ailleurs Charaudeau dans cette perspective en définissant l’identité comme

[…] une construction permanente de caractéristiques et de sentiments d’appartenance symboliques marquant des limites mouvantes entre deux polarités : le dedans et le dehors […] Une identité se définit toujours par rapport à la fois à soi et à l’Autre et se construit donc entre les deux, ou, si l’on préfère, dans les deux en même temps (p. 98). La construction identitaire sollicite en fait un mécanisme de deux étapes : perception d’une différence et double mouvement d’ « attirance » et de « rejet ». On

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commence à édifier une identité dès que l’on perçoit une différence avec l’autre. C’est à travers le principe d’altérité que l’on peut constater notre existence. « Je pense

différemment, donc je suis », dirait Charaudeau (2009 : 7). À partir des comparaisons et de la détection des points en commun et des différences, l’individu prend conscience de son authenticité. Mais il ne suffit pas de se considérer différent de l’autre. Une deuxième étape est nécessaire : un double mouvement d’attirance et de rejet. En effet, on peut se sentir attirés par l’autre, fascinés et curieux de connaître l’autre, ce qui serait le résultat de l’envie de vouloir comprendre et possiblement résoudre ce problème de la différence. Pour autant, une telle fascination pourrait être remplacée par un sentiment de

rejet, une perception de menace. Considérer que l’autre est différent de soi est accepter a priori qu’il existe d’autres visions du monde, d’autres valeurs, d’autres normes. La

perception de manières d’agir et de penser différentes aux siennes amènerait éventuellement l’individu à remettre en question sa propre existence, à questionner ses propres comportements et pensées : suis-je supérieur ou inférieur à l’autre ? Ainsi, juger l’autre représente également porter un jugement sur soi-même (ibid. : 7-8).

C’est pourquoi la comparaison de soi avec les autres permet soit de se sentir appartenant à un groupe soit de se percevoir comme différent des autres. On a affaire ici à un paradoxe selon Charaudeau (2009) :

Nous avons besoin de l’autre, de l’autre dans sa différence, pour prendre conscience de notre existence, mais en même temps nous nous en méfions, éprouvons le besoin soit de le rejeter, soit de le rendre semblable à nous pour éliminer cette différence : si on le rejette, plus de possibilité de se voir soi-même différent ; si on le rend semblable, nos particularités disparaissent (p. 8).

2.3.2. L’identité collective

La quête de soi, la compréhension de son existence, la définition de son authenticité impliquent un va-et-vient constant entre soi-même et les autres. Nous l’avons bien dit, l’identité de soi est possible grâce à la rencontre avec les autres : l’identité individuelle se construit par l’appréhension de l’identité collective. Et ce sont les représentations partagées composant les imaginaires socioculturels d’un groupe qui vont permettre que le sujet s’auto-reconnaisse comme semblable ou différent.

Par ailleurs, l’ensemble des éléments propres d’un groupe ou d’une communauté constituent l’agent qui à la fois unifie les différentes identités individuelles et les

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différencie des autres. C’est grâce aux caractéristiques spécifiques considérées comme communes par les membres d’un groupe que la mémoire identitaire de ce collectif se construit. Le concept d’« identité collective renvoie à une mémoire par laquelle le groupe présent se reconnaît un passé commun, le remémore, le commémore, l’interprète et le réinterprète. » (Lapierre, 1984 : 196 ; cité par Blanchet, 2000 : 115. C’est pourquoi l’individu éprouve un sentiment d’appartenance à un groupe ou communauté lorsqu’il perçoit que les caractères qui sont propres du groupe lui sont propres à lui également (ibid. : 114). Inversement, l’identité du groupe se nourrit des représentations, valeurs et attitudes des membres. On constate un rapport de forces entre la construction identitaire de l’individu et celle de son groupe ou communauté : d’une part, l’identité individuelle se construit par rapport et grâce à l’identité collective ; d’autre part, l’identité collective se nourrit, évolue et existe tout simplement sous l’influence des identités individuelles. 2.3.3 Identité et langue

Parmi les caractéristiques qui différencient une communauté d’une/des autre(s) communauté(s), la langue constitue l’un des éléments essentiels qui contribuent à l’édification et à la définition de l’identité individuelle et de l’identité collective. Les pratiques linguistiques des locuteurs jouent justement un rôle primordial dans leur construction identitaire. La langue d’un groupe de locuteurs ne symbolise pas que le véhicule des pensées et la matérialisation du langage. Elle constitue sans doute un des ciments de la construction identitaire collective et de la cohésion sociale d’un groupe (Charaudeau, 2001 : 342).

Il faudrait préciser que la relation entre langue et identité est plus complexe de ce que l’on croit. Ce n’est pas que la langue qui participe à la construction identitaire mais c’est également l’usage de cette langue qui attribue une définition d’identité collective. Prenons l’exemple des locuteurs de l’espagnol. Le monde hispanophone ne détient pas qu’une seule identité collective. Les Argentins, les Péruviens, les Mexicains, les Colombiens, etc., sont aussi différents que leurs drapeaux. L’emploi d’une même langue ne détermine pas l’appartenance à une même culture. Certes, sous une perspective globale, ces groupes font partie d’un super-groupe nommé les Latino- américains. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils partagent tous la même culture ou qu’ils emploient l’espagnol de la même façon. En fait, l’accent, le lexique, les expressions idiomatiques et des fois les constructions syntaxiques diffèrent d’un pays à

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l’autre. Et si l’on souhaite être plus exhaustifs, les individus d’un même pays peuvent se différencier également les uns des autres selon les régions d’origine. Ainsi, on trouve à titre d’exemple que les Colombiens provenant de Santafé de Bogotá se considèrent très différents des « Medellinenses » (de la ville de Medellin) et des « Caleños » (de la ville de Cali), non seulement par leur accent mais aussi par leurs valeurs, habitudes et comportements. C’est pourquoi la langue en soi ne constitue pas le seul facteur qui pèse dans le rapport identité-langue ; les usages de la langue participent également dans le jeu de la construction identitaire.

Une différence entre identité linguistique et identité discursive semble émerger à l’instant. À ce sujet, Charaudeau (2001) souligne :

[…] l’identité linguistique ne doit pas être confondue avec l’identité discursive. Cela veut dire que ce n’est pas la langue qui témoigne des spécificités culturelles, mais le discours. Pour le dire autrement, ce ne sont ni les mots dans leur morphologie ni les règles de syntaxe qui sont porteurs de culturel, mais les manières de parler de chaque communauté, les façons d’employer les mots, les manières de raisonner, de raconter, d’argumenter […] (p. 343).

En définitive, la discussion abordée ici sur les différents types d’identités (individuelle, collective, linguistique, discursive) permet de conclure que l’individu ne se compare seulement pas aux autres pour détecter son authenticité, mais aussi pour comprendre qu’au final il dispose des ressemblances avec un groupe spécifique, lui attribuant ainsi une appartenance culturelle et une identité linguistique et discursive.

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CHAPITRE 3. Considérations socio-économiques et politiques de la