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Interactions hadroniques à très haute énergie

L’expérience Pierre Auger permet d’étudier les interactions hadroniques à des énergies ex-trêmes, bien supérieures aux énergies accessibles au LHC. Les premières interactions dans l’at-mosphère sont déterminantes pour le développement électromagnétique de la gerbe. Par consé-quent, des observables telles que la profondeur du maximum ou le nombre de particules électro-magnétiques mesuré à une profondeur donnée, qui sont caractéristiques des premiers stades de développement de la gerbe, peuvent être associées à la longueur de première interaction.

2.7.1 Section efficace proton-air à

s = 57 TeV

La méthode pour déterminer la section efficace proton-air à des énergies encore insondées en accélérateur est la suivante. Tous les modèles convergent vers l’idée que les gerbes de Xmax le plus élevé détectées par l’Observatoire sont issues de protons. Sont alors sélectionnés lesη= 20% événements deXmax le plus élevé pris dans une gamme d’énergie allant de 1018 à 3×1018. Plus la fractionη d’événements sélectionnés est faible et plus la contamination par des primaires plus lourds que le proton est faible mais plus on perd en statistique. Un biais intervient à ce niveau car seules les gerbes proton de plus hautXmax sont prises en compte et l’échantillon peut tout de même être contaminé par des gerbes issues d’Helium.

La distribution en énergie des événements finalement retenus sur les données du 1er dé-cembre 2004 au 20 septembre 2010 suit une loi en puissance d’indice −1.9, avec une moyenne de 1018.24 eV. La réaction proton-air s’effectue dans le référentiel de leur centre de masse où l’énergie du système est alors comprise entre 43 et 70 TeV, avec une moyenne à 57 TeV (voir section 1.5.3). On s’interesse ensuite à la distribution des Xmax dont la queue est sensible à la section efficace de première interaction. En effet, plus la distribution s’étale et plus la section efficace proton-air est faible. Cet étalement est repéré par le paramètre de décroissance Λη tel que dN dXmax ∝exp Xmax Λη . (2.29) La courbe exponentielle qui s’ajuste sur les données a pour paramètre Λη = 55.8 ±2.3(stat)

±1.6(sys) g.cm2. Les modèles QGSJet01 [80], QGSJetII.3 [81], SIBYLL 2.1 [82] et EPOS 1.99 [83] sont ensuite testés numériquement un à un en ajustant leur section efficace d’origine afin de reproduire ce paramètre de décroissance. La plupart des modèles ont vu leur section efficace proton-air varier de moins de 5%, celle de SIBYLL 2.1 a du être en revanche ajustée de 12%. Ce résultat est limité par la dépendance de Λη à d’autres paramètres d’interaction qui varient d’un modèle à l’autre comme l’élasticité, la multiplicité ou le ratio pions neutres et chargés.

Après estimation de toutes les erreurs et en moyennant les sections efficaces obtenues pour les 4 modèles, on obtient [84]

σpair = 505±22(stat)+2836(sys) mb. (2.30) Ce résultat est compatible avec une extrapolation prenant en compte les premières mesures de sections efficaces réalisées au LHC à des énergies plus faibles.

2.7.2 Etude de la composante muonique

La connaissance limitée de la production multiple de particules lors des interactions hadro-niques à de telles énergies entraîne des incertitudes théoriques importantes sur la composante muonique des gerbes atmosphériques. Les différentes analyses effectuées pour déterminer cette composante, utilisant les données hybrides ou SD, indiquent que les modèles actuels prédisent un nombre de muons plus faible que celui déduit des données.

] 2 [g/cm max X 500 600 700 800 900 1000 1100 1200 /g ] 2 [c m m ax d N/d X -1 10 1 10 2 2.3 g/cm ± = 55.8 η Λ 9EnergyheV8 MB log 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 Cr o ss 6s ec ti o n 69p ro to n vai r86 [m b ] kBB KBB HBB dBB ABB wBB QGSJetBMc QGSJetIINK Sibyll6kNM Epos6MN99 Energy6 [eV] MM MB MBMk MBMK MBMH MBMd MBMA MBMw MBML MBM9 MBkB [TeV] pp s Equivalent6cNmN6energy6 vM MB M MB MBk Nam6et6alN6M9wd6 [KB] Siohan6et6alN6M9wL6 [KM] Baltrusaitis6et6alN6M9LH6 [k] Mielke6et6alN6M99H6 [Kk] Knurenko6et6alN6M9996 [M9] Honda6et6alN6M9996 [kB] Belov6et6alN6kBBw6 [ML] Aglietta6et6alN6kBB96 [KK] Aielli6et6alN6kBB96 [KH] This6work

BN9TeV kNKATeV wTeV MHTeV

LHC

Figure 2.25 –Gauche : distribution desXmaxdes événements sélectionnés et ajustement de la queue de distribution par une exponentielle décroissante de paramètre Λη. Droite : section efficace proton-air en fonction de l’énergie du primaire ou de l’énergie dans le centre de masse . Les lignes représentent les simulations indiquées et les points les résultats d’expériences utilisant les rayons cosmiques. This work

réprésente le résultat mentionné (Auger 2012) [84].

Avec les détecteurs Cerenkov à eau, la forme du signal liée à la perte d’énergie d’un muon dans la cuve comparée à celle d’un électron ou d’un photon peut permettre de différencier ces deux composantes. Plusieurs méthodes sont déjà mises en oeuvre pour séparer la contribution des muons de celle des électrons et photons du signal des cuves : algorithmes de comptage des muons ou obtention de la composante électromagnétique après soustraction de la partie du signal attribuée au muons [85].

Fraction de muons dans les gerbes verticales

La fraction muonique du signal, fµ = Sµ/S, est déterminée à partir du signal de la cuve, par une méthode multivariée ou par une méthode de lissage [85]. Pour la méthode multivariée,

fµ est reconstruite à partir d’observables sensibles au contenu muonique : l’angle de la gerbe

θ, la distance entre la cuve et l’axe de la gerbe r, f0.5, la portion du signal en canaux FADC dont l’intensité est supérieure à 0.5 VEM, et P0, la composante de fréquence nulle du spectre fréquentiel du signal. Ces deux dernières grandeurs sont sensibles aux fortes et brèves fluctuations du signal, et donc au signal muonique.fµ est reconstruite à partir de toutes ces observables par la relation

fµ=a++cf02.5+dθP0+er, (2.31) les coefficienta, b, c, d, ete étant déduits de simulations. Alternativement, la composante muo-nique peut être déduite d’un lissage du signal de la cuve par l’opération d’une moyenne glissante de largeur L, ajustée selon l’angle de la gerbe avec L= 7.83 + 0.9θ/deg, de façon à séparer les composantes muonique et électromagnétique.

Le signal muonique produit par une gerbe de 1019 eV et à r = 1000 m peut être estimé à partir de la fraction muonique et du signal total correspondant, Sµ,19(1000) = fµS19(1000). Les gerbes enregistrées entre janvier 2004 et décembre 2012, d’angle zénithal inférieur à 60, d’énergie contenue dans l’intervalle [1018.98,1019.02] eV et détectées par des cuves dans l’intervalle [950,1050] m, sont utilisées pour comparer les résultats des deux méthodes présentées et les résultats des simulations, ce qui représente 521 signaux SD. Le signal muonique inféré à ces énergie et distance, à partir des données (par les deux méthodes) ou à partir de simulations, est normalisé au signal muonique obtenu par la simulation utilisant le modèle QGSJetII-04 [67] dans l’hypothèse proton. Ces rapports de signaux muoniques sont illustrés en fonction de l’angle de la gerbe sur la figure 2.26 de gauche, qui montre que les deux méthodes utilisées pour

déterminer la composante muonique apportent des résultats compatibles. En comparant données et simulations, elle met aussi en évidence un excès de muons si l’on considère une composition proton.

QGSJetII.04 proton QGSJetII.04 iron

EPOS.LHC proton

EPOS.LHC iron Auger data: multivariate

Auger data: smoothing

10 20 30 40 50 60 0.8 1.0 1.2 1.4 1.6 1.8 2.0 θ ° Sμ 1119 610008 /Sμ 119 Q P 610008 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 2 0.7 0.8 0.9 1 1.1 1.2 1.3 Rµ RE SystematicxUncert. QII-04xp QII-04xMixed EPOS-LHCxp EPOS-LHCxMixed

Figure 2.26 –Gauche : signal muonique pour des gerbes de 1019eV et àr= 1000 m, obtenu à partir des données par la méthode multivariée ou de lissage ou à partir des simulations mentionnées, rapporté au même signal obtenu par la simulation utilisant le modèle QGSJetII-04 dans l’hypothèse proton, en fonction de l’angle zénithal de la gerbe. Les rectangles indiquent la part systématique de l’incertitude [85]. Droite : valeurs des paramètres et RE obtenues par la comparaison des données hybrides avec les simulations mentionnées. Les rectangles indiquent les incertitudes systématiques et les ellipses les incertitudes statistiques [86].

Composante muonique des événements hybrides

Une étude a été réalisée sur les événements hybrides de l’Observatoire Pierre Auger, dans le but de tester la compatibilité entre les modèles et les observables que sont le profil de déve-loppement longitudinal de la gerbe et la composante muonique détectée au sol [86]. Pour cela, des événements ont été sélectionnés dans la gamme en énergie [1018.98,1019.02] eV, issue d’un compromis entre une statistique suffisante et l’assurance d’une composition constante. Ces évé-nements représentent 411 signaux SD. Pour chaque gerbe sélectionnée, des simulations de gerbes de même énergie et géométrie sont réalisées avec les modèles QGSJetII-04 [67] et EPOS-LHC [68] et pour les hypothèses proton, hélium, azote et fer, jusqu’à l’obtention d’un accord suffi-sant entre profil longitudinal mesuré et profil longitudinal simulé. La réponse SD est simulée à son tour, et la composante muonique est reconstruite pour les événements simulés et pour les données.Rµ est défini comme le rapport entre le signal muonique observé et le signal muonique simulé, il représente donc le facteur de désaccord entre les composantes muoniques mesurées et simulées.RE représente le facteur d’ajustement éventuel de l’énergie de la gerbe pour reproduire le signal total mesuré au sol. La figure 2.26 de droite montre que, pour les modèles présentés, l’énergie peut être préservée dans le cas d’une composition mixte, mais que le nombre de muons ne peut être expliqué, puisqueRµ= 1.3 pour le modèle EPOS-LHC etRµ= 1.6 pour QGSJetII-04. Dans le cas d’une composition imposée (proton), l’énergie de la gerbe doit être modifiée quel que soit le modèle considéré.

Composante muonique des gerbes inclinées

La valeur expérimentale du paramètreN19, défini en section 2.2.2, est comparée à sa valeur prédite par les modèles dans ce qui suit [87]. Le fait queN19 soit modèle dépendant n’impacte pas l’énergie inférée, mais permet de vérifier la validité du modèle hadronique utilisé pour la simulation de Nµ,19. On compare pour cela N19data =Nµdata/Nµ,19 et N19M C = NµM C/Nµ,19 pour

le modèle de référence (QGSJetII-03 [81]) ainsi que pour deux modèles actualisés d’après les données du LHC (QGSJetII-04 [67] et EPOS LHC [68]). Les événements réels sont sélectionnés entre le 1 janvier 2004 et le 31 décembre 2012, ont un angle compris entre 62 et 80 et satisfont des critères de qualité. Des milliers de gerbes proton et fer d’énergie∈

1018,1019

sont ensuite simulées à l’aide des modèles. Les résultats sont présentés sur la figure 2.11 de droite, avecRµ=

N19en utilisant les données et différents modèles. On peut y vérifier queRµ= 1 pour une gerbe proton d’énergie 1019eV simulée par QGSJetII-03. On y remarque aussi que le nombre de muons estimés par la simulation QGSJetII-03 dans un cas proton (resp. fer) est inférieur d’un facteur 1.8 (resp. 1.4) aux données. EPOS LHC et QGSJetII-04 prédisent cependant 20% de muons en plus que QGSJetII-03, s’accordant ainsi mieux aux données. On pourrait alternativement remettre en cause la méthode de comptage des muons. On peut aussi noter que l’indice caractérisant la loi de puissance entreN19 et EF D diffère entre données et simulation (prédit entre 0.93 à 0.94, il est expérimentalement établi à 1.03). Ainsi, à en croire les modèles, la composition ne serait pas constante avec l’énergie.

Bien que EPOS LHC soit le modèle décrivant actuellement le mieux le nombre de muons dé-tectés, on a montré dans la section 2.4.3 que ce modèle ne permettait pas de décrire correctement l’évolution de la composante muonique lors du développement des gerbes. Aucun des modèles d’interactions hadroniques actuels ne peut finalement décrire de façon cohérente l’ensemble des caractéristiques des gerbes mesurées.