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1.3 Climats, environnements et sociétés au cours de l'Holocène

1.3.2 Interactions environnement / climat / sociétés humaines

Comme cela est schématisé dans le "modèle cognitif permettant d'appréhender les chan-gements environnementaux depuis le début des activités humaines" de la gure 1.3

(Dea-ring, 2006), l'évolution des sociétés humaines est en lien direct avec les écosystèmes et les forçages naturels, dans un schéma global et complexe d'interactions. Chacun de ces trois grands domaines est lui aussi le siège de multiples interactions entre ses composantes, dont l'importance relative reste dicile à évaluer. L'interdépendance entre ces trois domaines incite à démêler leurs rétroactions, et l'évolution de leur importance relative au cours du temps. Dans cette optique seront envisagés tout d'abord les eets des facteurs naturels sur les sociétés humaines, avant de présenter en quoi ces dernières ont a leur tour inuencé les environnements naturels. FORÇAGES NATURELS Soleil Climat Tectonique Océans SOCIETES HUMAINES Population Economie Technologie Culture ECOSYSTEMES Formes et processus Biogéochimie Ressources Biens et services

Fig. 1.3  Interactions entre forçages naturels, sociétés humaines et écosystèmes, et entre les processus internes à chacune de ces composantes. Modié d'après Dearing, 2006.

De nombreux indices illustrent la coïncidence entre certaines tendances climatiques et l'évolution de sociétés humaines. Entre autres exemples, une période d'aridité enregistrée vers 5200 ans cal. BP est immédiatement suivie par la disparition de la culture mésopota-mienne dite  Uruk nal  (Staubwasser et Weiss, 2006), celle de 4200 ans cal. BP coïncide avec l'eondrement de l'empire Akkadien et de l'Ancien Empire d'Egypte, celle à 1200 ans cal. BP, avec la chute de l'empire Maya Classique, et plus récemment le début du Petit Age Glaciaire avec la disparition de colonies groenlandaises d'origine scandinave (e.g. Has-san, 2000, 2001 ; deMenocal, 2001 ; Mayewski et al., 2004). De la même manière, Zhang et al. (2008) ont montré que les successions de dynasties chinoises (Tang, Yuan et Ming principalement) coïncident avec les variations de l'intensité de la mousson d'été. Ces évè-nements interviennent bien souvent au sein de cultures complexes (maîtrisant le stockage de denrées alimentaires et les technologies d'irrigation, ayant des connaissances astrono-miques et mathématiques poussées, et un développement socio-politique avancé), mais qui n'ont pas réussi à faire face à l'impact provoqué par des changements climatiques durables

sur le renouvellement des ressources alimentaires (deMenocal, 2001). Cette vulnérabilité s'exprime dans un contexte de changements environnementaux rapides et persistants, aux-quels s'associe nécessairement un contexte socio-politique plus dicile (deMenocal, 2001 ; O'Sullivan, 2008).

Au cours du temps l'évolution des activités anthropiques ont conduit au passage d'un environnement naturel à un environnement façonné par les humains (Messerli et al., 2000). Ainsi, durant la première partie de l'Holocène, les sociétés humaines sont dominées par l'en-vironnement naturel. A l'échelle mondiale, la réussite ou l'échec des sociétés humaines sont alors directement dictés par les possibilités oertes par l'environnement (présence d'ani-maux ou plantes domesticables, de minerais, de conditions climatiques favorables, . . .), dont les conséquences directes ou indirectes sont encore manifestes à l'heure actuelle (Diamond, 1997). La période historique voit grandir l'impact des activités anthropiques sur le monde environnant, mais l'inuence du climat sur les sociétés se fait sentir au travers, par exemple, du prix des grains et des crises de famine récurrentes (Pster, 1988 ; Bauernfeind et Woitek, 1999). De même, l'émergence et la propagation de la pandémie de Peste Noire du 14e siècle seraient liées, outre aux guerres et aux nombreux échanges commerciaux, à un climat alors favorable à la bactérie responsable (plus chaud et plus humide) dans le foyer de l'épidémie, l'Asie Centrale (Stenseth et al., 2006). Les mentalités sont également imprégnées par le contexte climatique comme le montre l'intensité de la chasse aux sorcières qui se développe proportionnellement aux péjorations climatiques liées au Petit Age Glaciaire (Behringer, 1999). La réponse adaptative fournie par les sociétés occidentales conduit aux révolutions industrielle et agraire de la n du 18e siècle, qui permettent un changement de l'usage des sols et des pratiques culturales rendant les sociétés moins vulnérables aux chocs climatiques (Messerli et al., 2000). Par exemple, dans les années 1889-1890, le climat défavorable aurait dû engendrer une hausse des prix considérable des denrées alimentaires, mais l'expansion des cultures de pomme de terre et le développement des transports modernes (chemins de fer) ont enrayé la crise et permis l'acheminement de vivres vers les régions touchées (Ps-ter, 1988). La situation actuelle apparaît donc particulière en ce sens que l'environnement est très largement façonné par les activités humaines, tandis que celles-ci, du fait de la surexploitation des milieux, se trouvent directement menacées (Messerli et al., 2000).

Du fait de leurs activités qui impliquent d'importants déplacements de matière (inten-tionnels ou non) et une consommation d'énergie considérables, les humains sont devenus, au cours de l'Holocène, le premier agent géologique (Hooke, 2000). Ces eets ont incité Crutzen (2002) à proposer le nom d' "Anthropocène" pour la période de temps écoulée depuis la n du 18e siècle. Aujourd'hui, on estime à 40% la surface terrestre couverte de pâtures et cultures, tandis qu'en 40 ans l'utilisation des fertilisants aurait augmenté de 700% et les surfaces irriguées de 70% (Foley et al., 2005). Les activités humaines

représen-teraient 1/3 de la production des écosystèmes terrestres, et 1/3 à 1/2 de la surface aurait été transformé par le développement humain (Vitousek et al., 1997). L'impact net calculé serait une diminution de 6 cm de l'altitude globale des terres, ce qui correspond à un taux de dénudation annuel presque 10 fois plus important que celui observé au Pliocène (Wil-kinson et McElroy, 2007). Ainsi, la perte par érosion de sols cultivables pourrait excéder d'un ordre de grandeur leur taux de formation (Wilkinson, 2005). A une échelle plus locale, l'impact à long terme d'anciennes activités humaines, bien que peu connu, commence à être estimé : la diversité et la composition oristique actuelle dièrent entre d'anciennes terres agricoles et des forêts natives (Dupouey et al., 2002 ; Fraterrigo et al., 2009), et les chan-gements d'usage inuencent plus largement les propriétés des sols et leur qualité (Hurtt et al., 2006).

Synthèse de la section 1.3 Au cours de l'Holocène, l'évolution des sociétés humaines s'est eectuée sous la dépendance partielle des variations climatiques, qui ont pu jouer un rôle important dans la disparition de certaines d'entre elles. Dans un environnement initialement dominé par les facteurs naturels, les activités anthropiques ont progressivement exercé une inuence croissante. Celle-ci s'est fortement renforcée depuis les révolutions agricole et industrielle de ces der-niers siècles, pour aboutir aujourd'hui à un environnement profondément transformé et très largement inuencé par les activités humaines.

Du fait de leur qualité généralement élevée, les sédiments lacustres se prêtent particu-lièrement bien à l'étude de l'évolution de leur milieu environnant. De surcroît, s'agissant de l'Holocène, étant donné l'attractivité des lacs pour les sociétés humaines, leurs dépôts constituent de véritables archives permettant d'étudier les interactions climats / environne-ments / sociétés. Diérents indicateurs peuvent être étudiés à cet égard. Le présent travail s'appuie principalement sur les biomarqueurs moléculaires, dont les intérêts sont présentés dans le chapitre 4, ainsi que sur une étude sédimentologique qui fait l'objet du chapitre 6 (article carotte-maîtresse).