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8.3 Evolution temporelle des biomarqueurs

8.3.3 Acétates de triterpényle

Les acétates de triterpényle spéciques d'Astéracées montrent une évolution temporelle concordante entre eux, selon deux groupes diérents (Figs. 8.4).

D'une part, les acétates de pichiérényle et de bauerényle, qui suivent une évolution si-milaire durant les périodes les plus anciennes. Survient ensuite une augmentation nette et

fugace de leur concentration, qui se trouve multipliée par 3 et par 2 pour atteindre 6 et 25 ng/g COT, respectivement. Après cet épisode du milieu du 18e siècle, leurs concentrations redeviennent comparables à celles précédemment observées. Enn, à partir des années 1930, ces deux composés évoluent de manière indépendante : tandis que l'acétate de bauerényle reste présent à des niveaux comparables à ceux observés durant les décennies précédentes, l'acétate de pichiérényle disparaît totalement des échantillons. Il faut rappeler ici que ce dernier a pour seule source connue la picride épervière, tandis que le premier, bien que synthétisé par diverses plantes de par le monde, a également pour seules sources répu-tées dans le bassin-versant cette même espèce, ainsi que les genres Artemisia (armoises, Astéracées) et Euphorbia (Euphorbiacées), dont des espèces sont aussi présentes sur le bassin-versant (Lavrieux et al., 2011 ; chapitre 4). Ainsi, tandis que les tendances similaires de ces deux composés dans les échantillons les plus anciens suggèrent une source commune - probablement la picride épervière -, leur évolution divergente récente pourrait indiquer le développement d'une autre espèce, à savoir une armoise ou une euphorbe, ou bien une espèce jusqu'à aujourd'hui source inconnue d'acétate de bauerényle.

Les concentrations des acétates de lupéyle, de taraxastéryle et de ψ-taraxastéryle, et dans une moindre mesure celles de l'acétate d'isobauerényle, dessinent des évolutions tem-porelles parallèles. Tout comme les deux composés précédemment évoqués, ils présentent une concentration relativement stable durant les premiers siècles considérés, puis enre-gistrent une forte et éphémère augmentation au milieu du 18e siècle, dans les mêmes ordres de grandeur que les composés précédents. Au cours des 19e et 20e siècles ils se distinguent toutefois de ces derniers par une teneur jusqu'à 3 fois plus forte que celle qu'ils ont connue au 18e siècle. Contrairement aux autres composés, cette augmentation n'est que peu mar-quée pour l'acétate d'isobauerényle. La concentration de l'acétate de ψ-taraxastéryle est maximale durant les années 1930, puis diminue fortement, cette chute atteignant un facteur de 4 sur une trentaine d'années. La concentration maximale de l'acétate de lupéyle s'en-registre une dizaine d'années après le composé précédent, puis subit également une baisse, bien que plus contenue, dans les échantillons suivants. Enn, l'acétate de taraxastéryle pré-sente une concentration sans cesse croissante et d'allure exponentielle, avec notamment un quadruplement des valeurs enregistrées entre le 19esiècle et le niveau le plus récent, daté de la n des années 1960. Ces quatre molécules sont, elles aussi, toutes synthétisées par la pi-cride épervière, mais sont également décrites dans d'autres espèces et genres d'Astéracées présents aujourd'hui sur le bassin-versant d'Aydat: Cirsium arvense (cirse des champs ; acétates de lupéyle, taraxastastéryle, ψ-taraxastéryle), Sonchus oleraceus (laiteron maraî-cher ; acétates de lupéyle, taraxastastéryle), Hieracium pilosella (piloselle), Picris echioides (picride fausse-vipérine ; acétate de lupéyle), Arctium lappa (grande bardane), Carduus nu-tans (chardon penché), Onopordum acanthium (chardon aux ânes), Taraxacum ocinale

(pissenlit ; acétate de taraxastéryle), et enn les genres Artemisia sp. (armoises) et Inula sp. (inules ; acétates de lupéyle et de taraxastéryle ; Lavrieux et al., 2011 ; chapitre 4) qui sont toutes des plantes de milieu ouvert, voire rudérales. Hors les Astéracées, le genre Euphorbia sp. (euphorbes), dont des espèces sont présentes sur le bassin-versant (Anto-netti et al., 2006), est également réputé producteur d'acétates d'isobauerényle, lupéyle et taraxastéryle.

L'évolution temporelle des concentrations de ces acétates de triterpényle ne présente aucune logique qui pourrait être imputée à une dégradation de ces composés, ce qui tend à conrmer leur stabilité, déjà évoquée plus haut. Ainsi, dans l'état des connaissances phytochimiques actuelles, l'évolution diérentielle de leurs concentrations au cours des derniers siècles permet d'émettre les hypothèses suivantes :

 le pic de concentration de tous ces acétates, au milieu du 18e siècle, suggère que les intenses défrichements de l'époque, rapidement suivis d'un exode rural massif, ont favorisé un développement soudain et intense de la picride épervière, réputée espèce pionnière (e.g. Escarré et al., 1999). Celle-ci s'est ensuite rapidement trouvée dominée par d'autres espèces ;

 cette phase a eectivement pu être suivie de l'expansion de diverses autres espèces, dont le cirse des champs, qui atteindrait son apogée dans les années 1930, selon les indications fournies par l'acétate de psi-taraxastéryle;

 le déclin du cirse des champs pourrait avoir été compensé par une plus grande abon-dance de la piloselle, et/ou de la picride fausse-vipérine, qui auraient atteint leur développement maximal dans les années 1940, ce que suggèrent les concentrations en acétate de lupéyle ;

 puis ces espèces auraient décliné rapidement, pour laisser la place à la grande bardane, au chardon penché, au chardon aux ânes et au pissenlit, comme l'indiquent les fortes concentrations en acétate de taraxastéryle ;

 enn, depuis les années 1940 jusqu'à la n de la période considérée, l'acétate de bauerényle indique que les armoises et/ou les euphorbes auraient conservé la même représentativité dans le bassin-versant.

Quelques unes de ces hypothèses sont confortées par les observations botaniques rap-portées par Chassagne (1956). Il explique en eet le caractère envahissant d'une variété de cirse des champs, et décrit l'invasion fulgurante d'un jardin par cette plante suite à son importation au début du 20esiècle, ce qui est en adéquation avec les hypothèses formulées ci-dessus. Il fait également mention de la colonisation de la picride fausse-vipérine, appa-rue dans la 2e partie du 19e siècle dans le Puy-de-Dôme et décrite pour la première fois à Saint-Saturnin (à 6 km à l'Est du lac d'Aydat) en 1944, ce qui peut s'accorder avec les données moléculaires. Il signale enn l'abondance du pissenlit et sa large consommation

dans la région (salade de pissenlit), mais n'en indique pas l'ancienneté.

Il faut toutefois garder à l'esprit que cette reconstitution d'associations végétales soure du biais inhérent à un inventaire phytochimique incomplet des acétates de triterpényle, comme cela a été souligné dans le chapitre 4 (Lavrieux et al., 2011). Il est de plus fortement probable que ces molécules puissent être synthétisées par d'autres plantes qui (1) sont déjà connues comme étant productrices de ces composés, mais qui ne sont aujourd'hui plus présentes sur le bassin-versant et n'ont donc pas été considérées dans le chapitre 4, ou qui (2) n'ont pas encore été décrites comme productrices d'acétates de triterpényles spéciques.