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5.3 D´ etection de neutrinos dans Auger

5.3.1 Interactions atmosph´ eriques

A ultra haute ´energie, l’interaction dominante pour un neutrino se produit avec les noyaux de l’atmosph`ere `a travers les r´eactions « courant charg´e »et « courant neutre » :

νN → ν hadrons Courant Neutre νN → l hadrons Courant Charg´e

o`u l est le lepton correspondant `a la famille du neutrino entrant dans la r´eaction. Ceci peut ˆetre interpr´et´e par l’´echange d’un boson Z0 pour le courant neutre, et par l’´echange

d’un W± pour le courant charg´e. La section efficace de ces r´eactions croˆıt lin´eairement avec l’´energie jusqu’`a 10 TeV, puis moins rapidement. A ultra haute ´energie, cette section efficace (voir figure 5.6) reste plus faible que celles typiques de processus hadroniques ou ´electromagn´etiques, mais n’est pas compl`etement n´egligeable :

σCC(Eν) 10−32  1EeV 0,363 cm2 σCN(Eν) 0.4 × 10−32  1EeV 0,363 cm2

Ces param´etrisations sont bas´ees sur des extrapolations des donn´ees disponibles. En ef- fet, au fur et `a mesure que l’´energie du neutrino incident augmente, c’est-`a-dire que le

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pouvoir de r´esolution Q2 augmente, la distribution de l’´energie x port´ee par un consti-

tuant ´el´ementaire d’un nucl´eon subit des modifications parce qu’on discerne de mieux en mieux sa structure. Exp´erimentalement, on mesure que cette ´energie se distribue selon un nombre de plus en plus grand d’´el´ements. Ainsi, la valeur moyenne d’un ´el´ement diminue en mˆeme temps que la valeur moyenne de x. C’est exactement ce que pr´evoit la th´eorie des perturbations appliqu´ee `a la chromodynamique quantique, parce que ces modifications de la distribution en x sont produites par l’interaction des quarks et des gluons. Afin de faire ´

evoluer les distributions dans un domaine du plan (x, Q2) inexplor´e exp´erimentalement, la th´eorie dispose de deux proc´ed´es. Pour pr´edire les distributions vers des grandes valeurs de Q2, on dispose de la technique d’´evolution DGLAP qui est stable et bien test´ee. En

revanche, pour pr´edire les distributions pour des faibles valeurs de x, on dispose de la tech- nique BFKL qui est moins stable. Les r´esultats sont cependant fiables `a un facteur 2 pr`es, en principe. La fraction d’´energie emport´ee par le lepton souffre de la mˆeme incertitude th´eorique.

Les sections efficaces mentionn´ees s’inscrivent dans le cadre des r´esultats de la dis- tribution des partons CTEQ4-DIS. La d´ependance en l’´energie de la fraction d’´energie emport´ee par le lepton utilis´ee dans toute cette ´etude est illustr´ee sur la figure 5.7, pour plusieurs valeurs de l’´energie du neutrino incident. Le changement de comportement par rapport `a l’´energie du neutrino incident s’explique par la croissance de la distribution des quarks lorsque la fraction d’´energie du nucl´eon port´ee par un quark est petite.

Fig. 5.6 – Section efficace extrapol´ee `a ultra haute ´energie de la diffusion profond´ement in´elastique entre un neutrino et un nucl´eon, dans le cadre du mod`ele CTEQ4-DIS. D’apr`es [69]

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Fig.5.7 – Fraction d’´energie emport´ee par le lepton dans le cadre du mod`ele CTEQ4-DIS dans une r´eaction de leptoproduction, pour plusieurs ´energies du lepton incident. D’apr`es [70]

Autour de 10 EeV, la probabilit´e d’interaction d’un neutrino dans l’atmosph`ere s’´el`eve typiquement `a 10−5/ cos (θ). Cet ordre de grandeur est tr`es faible par rapport au taux d’´ev´enements global des RCUHE. N´eanmoins, `a grand angle, c’est-`a-dire pour des angles z´enithaux sup´erieurs `a 70 degr´es, cette faible probabilit´e d’interaction peut ˆetre mise `

a profit afin de discriminer clairement une gerbe initi´ee par un neutrino par rapport `a une gerbe classique. Le bruit de fond que constitue les gerbes horizontales sous incidence rasante initi´ees par des primaires classiques peut ˆetre quantifi´e pr´ecis´ement en simulant les conditions de d´eclenchement des d´etecteurs Cerenkov pour un spectre donn´e, en fonction de l’´energie et en fonction de l’angle z´enithal. Il ressort que l’acceptance du d´etecteur final

A(E) peut ˆetre param´etris´ee entre 1 EeV et 10 EeV comme :

A(E) = 3200× 2π



θ>70

dθ sin θ cos θ× A 1 + (E0/E)α

o`u A, E0 en EeV et α sont des constantes qui d´ependent des conditions de d´eclenchement, comme par exemple le nombre minimal de d´etecteurs dans un ´ev´enement. Le nombre d’´ev´enements N (> Einf) par unit´e de temps s’estime alors en int´egrant cette acceptance

avec le spectre des rayons cosmiques :

N (> Einf) =

 10EeV

1EeV

A(E)dN

dEdE

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une param´etrisation du spectre entre 1 EeV et 10 EeV telle que : dN dE = 110  1 E 3.2 km−2 EeV−1 an−1 str−1

La fonction int´egr´ee est repr´esent´ee sur la figure 5.8 pour les 3 conditions de d´eclenchement. taux nombre minimal A E0 α

(1 an) de d´etecteurs

12000 3 1 2.6 4

3200 4 0.9 3.55 5.2

1500 5 0.8 4.45 6.5

Tab. 5.1 – Valeur des param`etres entrant dans l’acceptance des gerbes inclin´ees pour des primaires hadroniques.

Nous avons examin´e en d´etails les caract´eristiques des cascades de particules sous inci- dence rasante lorsqu’elles d´ebutent dans la haute atmosph`ere dans le chapitre pr´ec´edent. Rappelons que ces gerbes se manifestent au niveau du sol par un front de gerbe bien d´efini, et d’extension temporelle courte (quelques centaines de nanosecondes) puisque seule la composante muonique subsiste, tandis que la cascade ´electromagn´etique est ´eteinte apr`es que la gerbe a travers´e l’´equivalent de 2 atmosph`eres. En revanche, un neutrino peut in- teragir tr`es profond´ement dans l’atmosph`ere. L’interaction d’un neutrino muonique n’est cependant gu`ere int´eressante, puisque les distances d’interaction et de d´esint´egration du muon `a ces ´energies sont beaucoup trop grandes. Reste qu’un νe par exemple peut initier

une gerbe« jeune », mais sous incidence rasante. La figure 5.9 illustre tr`es sch´ematiquement la diff´erence qualitative entre une gerbe classique et une gerbe profonde. Le qualificatif « jeune » signifie ici que la gerbe comporte une composante ´electromagn´etique, ce qui donne donc lieu au niveau du sol `a un front de gerbe d’extension temporelle de plusieurs microsecondes, comme c’est le cas pour des gerbes sous incidence verticale. Le flux de particules en fonction du temps de passage du front et de la distance au cœur est illustr´e sur la figure 5.10 pour diff´erents angles z´enithaux. On voit clairement aussi bien dans les simulations que dans les premi`eres donn´ees de l’exp´erience Auger la discrimination s’op´erer dans les diff´erents r´egimes.

Notons que l’incidence de ces gerbes jeunes permet que leur extension lat´erale d´eclenche de nombreux d´etecteurs mˆeme pour des ´energies inf´erieures au seuil fix´e par la g´eom´etrie de l’exp´erience, c’est-`a-dire l’espacement entre les cuves. C’est un simple effet de projec- tion. Le signal d´eclench´e dans ces cuves Cerenkov suffit pour d´eterminer la direction de ces gerbes `a partir des informations temporelles, exactement comme dans le cas de n’importe qu’elle gerbe. La reconstruction de l’´energie est en revanche plus probl´ematique, puisque les m´ethodes bas´ees sur la param´etrisation du flux de particules au niveau du sol ne s’ap- pliquent pas dans ce cas.

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Fig.5.8 – Nombre de d´eclenchements de gerbes d’angle z´enithal sup´erieur ˆa 70 degr´es par an et par EeV en fonction de l’´energie. En trait plein, la condition globale de d´eclenchement n´ecessite au moins 3 stations locales au-dessus du seuil dans une configuration g´eom´etrique compacte, en trait pointill´e, 4 stations puis 5.

Fig.5.9 – Vue d’artiste repr´esentant qualitativement l’altitude de la premi`ere interaction dans l’atmosph`ere. Mˆeme `a grand angle, si cette interaction a lieu bas, la composante ´electromagn´etique de la gerbe peut ˆetre d´etect´ee, signant nettement un primaire de type neutrino.

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alt= 100km alt= 3km

alt= 20km

Distance to shower axis (m) alt=2 km

Time spread (ns)

Fig.5.10 – Signal local attendu en fonction de l’altitude d’interaction d’un proton. Chaque figure repr´esente dans un plan temps-distance au cœur l’intensit´e du signal dans chaque cuve. En abscisse, la distance au cœur de la gerbe (en m`etres) ; en ordonn´ee, le temps apr`es le passage du front de gerbe. Pour une altitude basse, on distingue clairement le front de courbure, et le signal s’´etend sur plusieurs microsecondes ; tandis que si l’interaction a lieu dans la haute atmosph`ere, le front de gerbe est plat et le signal se trouve r´eduit `

a quelques nanosecondes. En haut, signaux simul´es ; en bas, signaux r´eels mais pour des ´

energies diff´erentes puisque la statistique encore faible du jeune d´etecteur prototype Auger ne permet pas encore d’analyse pointue dans ce domaine.

D´etection de neutrinos dans Auger. 133 N´eanmoins, tout ce joli sc´enario ne s’av`ere que tr`es peu efficace, et mˆeme si la discrimi- nation entre les ´ev´enements neutrinos et le bruit de fond est tr`es claire, on ne s’attend qu’`a quelques rares ´ev´enements en plusieurs ann´ees d’op´eration d’un site g´eant comme Auger, ne laissant de chance de d´etection qu’aux mod`eles les plus prolixes [72]. Nous reviendrons sur la sensibilit´e du d´etecteur Auger `a ce type d’´ev´enements, apr`es avoir expos´e un autre sc´enario de d´etection de neutrinos, bien plus efficace.