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Les ARNlnc agissent à tout niveau et interagissent avec tout type d’entités, que ce soit avec de l’ADN, des ARN, des protéines ou d’autres molécules. Ces interactions et certains des mécanismes sous-jacents à ces interactions ont été mis en évidence ces dernières années.

3.2.1 – Interactions ARN-ARN : les doubles hélices d’ARN

En 1953, Watson et Crick démontrent la structure de l’ADN en double hélice tel que nous la connaissons aujourd’hui. La double hélice étant un appariement de nucléotides : l’adénine et la thymine par deux liaisons hydrogènes, la guanine et la cytosine par trois liaisons hydrogènes. Tout comme avec l’ADN et par simple complémentarité de séquences, les ARN simple brin peuvent interagir également avec une autre partie de leur brin ou du brin d’autres ARN, formant ainsi un duplex nucléotidique en double hélice d’ARN. Les doubles hélices locales peuvent être mises en évidences par la méthode PARIS (Psoralen Analysis of RNA Interactions and Structures) [91] ou autre méthodes ressemblantes permettant par ligation des fragments de chaque brin de retrouver le duplex [92]. Les complexes ARN:ARN peuvent donc être mis en évidence par la méthode PARIS mais aussi par des expériences de pulldown ARN dont il sera parlé plus bas (p. 32).

3.2.2 – Les duplex ARN-ADN : cas des boucles ribonucléiques

De la même manière, les ARN peuvent interagir avec l’ADN en formant ce que l’on appelle des boucles R (ribonucléiques) où l’ARN remplace un des brins d’ADN qui se retrouve monobrin. C’est sur ce principe qu’est basée par exemple la technologie CRISPR-Cas9 dont le ciblage se fait par apport d’ARN guides (ARNsg) exogènes s’hybridant à l’un des brins d’ADN. Dans le cas d’ARN endogènes, cette hybridation peut conduire à de nombreuses conséquences. La formation de boucle R peut par exemple conduire à une régulation positive ou négative de la transcription de gènes, sa présence camouflant un site régulateur ou stoppant l’avancée de l’ARN polymérase active [93]. Parfois, cet arrêt conduit à une isoforme tronquée viable et

30 d’autres fois, interfère simplement lors de la transcription [94]. Les conséquences plus désastreuses de ces boucles R concernent l’intégrité génomique par exposition du monobrin à des mutations [94] voire des cassures lors de collisions entre la machinerie transcriptionnelle et cette boucle R [93]. La formation de boucles R peut être observée par des expériences de type DRIP (DNA:RNA immunoprecipitation) [95]. Le DRIP-seq est basé sur l’affinité de l’anticorps S9.6 pour les duplex ARN:ADN.

3.2.3 – Les triplex nucléotidiques

Dans les années 50, Pauling et Corey ainsi que Watson et Crick se battent scientifiquement pour démontrer quelle est la structure de l’ADN : triple ou double hélice ? Pauling et Corey finissent par être convaincus de la structure en double hélice de Watson et Crick. Malgré tout, certaines publications démontrent par la suite que cette structure en triple hélice existe réellement. En 1990, Umlauf et collègues [96] présentent de très beaux clichés en microscopie électronique d’ADN en triple hélice (triplex) induit par la protéine recA chez E. coli (Figure 13).

Figure 13 – Photographie en microscopie électronique (à gauche) et schéma associé montrant la formation de triplex nucléotidiques (à droite). Les flèches noires et grise

31 indiquent les triplex nucléotidiques et point de contact entre les deux molécules. * : régions double brin ambiguës. Photographie issue de Umlauf et collègues [96] et schéma révisé. Mais cette structure n’est pas l’apanage des bactéries et existe également chez les eucaryotes pour l’ADN (e.g. boucles télomériques [97]) (Figure 14B) comme pour l’ARN (e.g. MALAT1 et MENβ [98]) (Figure 14A). Cette structure en triple hélice est également possible entre ADN et ARN, l’ADN double brin maintenu par des liaisons Watson-Crick et le 3ème brin par des liaisons Hoogsteen.

3.2.4 – Les multiplex nucléotidiques

Le modèle de quadruple hélice (G-quadruplex) existe également et a été décrit bien plus récemment [99] pour l’ADN [100] (Figure 14C) comme pour l’ARN [101] (Figure 14D). Il a même été proposé comme un mécanisme d’action des ARNlnc [102]. Ces recherches semblent encore trop récentes pour mentionner plusieurs exemples concrets d’ARNlnc régulateurs par la formation de G-quadruplex. On peut également mentionner l’existence de structures encore plus complexes, les multiplex nucléotidiques, qui pourraient inclure des ARNlnc mais que je ne développerai pas ici (e.g. octaplex [103]).

Figure 14 – Modèles de structures de triplex et G-quadruplex. A. Triplex d’ARN créant un

pseudo-nœud [PDB:437D] [104] B. Triplex d’ARN (rouge) avec de l’ADN (bleu/beige) [PDB:1D3X] [105] C. Modèle de G-quadruplex d’ADN [PDB:4U5M] [106] D. Modèle de la

32 structure en G-quadruplex de l’ARNm MYC (orange) reconnu par la protéine RHAU (hélicase ; gris) [PDB:5VHE] [107].

3.2.5 – Interactions ARN-protéines

L’attractivité des protéines pour les ARN est initialement due aux forces électrostatiques. Les liaisons hydrogènes (Figure 15) permettent ensuite de maintenir une interaction ARN:protéine qui est alors plus séquence spécifique. Certains domaines protéiques ont une affinité particulière pour les brins nucléotidiques [108] : structure en doigt de zinc, domaine KH, domaine MRR… Parmi ces interactions, nous connaissons déjà le cas des complexes riboprotéiques comme le ribosome ou le splicéosome. Il est donc important de noter que les ARNlnc ont la capacité de se lier à des protéines de par leur conformation plutôt que par leur séquence. La formation du complexe riboprotéique influence la conformation de la protéine comme de l’ARN, ce qui peut apporter des changements dans leur activité ou leur affinité vis-à-vis d’autres molécules. A noter que la partie libre de l’ARNlnc peut agir avec d’autres molécules. Cela a pour conséquence de pouvoir donner à cet ARNlnc les rôles d’échafaudage protéique, de guide vers un ARN, de l’ADN ou d’autres molécules, de séquestreur protéique ou de molécule signal [109–111].

Les interactions ARN:protéines peuvent être mises en évidence par de nombreuses techniques [112]. Premièrement, les techniques basées sur la co-précipitation de la protéine et de son ARNlnc : les expériences de RIP (Ribonucleoprotein ImmunoPrecipitation) ou de CLIP (Cross-Linking ImmunoPrecipitation) où la protéine est capturée par des anticorps. Les expériences RIP sont peu résolutives alors que les expériences de CLIP sont des expériences de RIP précédées par un UV crosslinking (=UV-RIP) permettant de localiser sur l’ARNlnc le site de l’interaction ARN:protéine. Ces expériences peuvent être suivies par des analyses des ARN par PCR, microarray ou séquençage comme le CLIP-Seq/HITS-CLIP (High-throughput sequencing of RNA isolated by crosslinking immunoprecipitation) afin d’identifier les ARNlnc impliqués dans le complexe riboprotéique. Deuxièmement, les techniques basées sur la co-précipitation de l’ARNlnc et de ses protéines : les expériences de pulldown ARN ou de RAP (RNA Antisense Purification) où l’ARNlnc est capturé par des ARN antisens biotinylés. Le RAP est une technique dérivée du pulldown ARN où les ARN antisens biotinylés sont longs et répartis sur l’ensemble du transcrit ciblé (technique de tiling). Ces expériences peuvent être suivies par des analyses western blot ou de spectrométrie de masse afin d’identifier les protéines identifiées dans le complexe riboprotéique. On retrouve souvent dans les articles des doubles validations du complexe par RIP-Seq et pulldown ARN. Les techniques plus anciennes comme

33 le retard sur gel (i.e. RNA-EMSA, RNA Electrophoretic Mobility Shift Assay) peuvent être également utilisées.

Dans le même ordre d’idée, afin de valider des complexes plus complexes ARNlnc:protéine:ADN, il existe les expériences de ChIRP (Chromatin Isolation by RNA Purification) et CHART-PCR (CHromatin Accessibility by Real-Time PCR) basées sur la capture des ARNlnc par des ARN antisens courts biotinylés. La digestion de l’ARNlnc simple brin se fait par RNAse A et les duplex ARN:ADN sont digérés par RNAse H. Les analyses qui suivent allient l’analyse des protéines (western blot ou spectrométrie de masse) et l’analyse de l’ADN (PCR ou séquençage).

Figure 15 – La protéine Pumilio1 (grise) complexée avec un ARN (bleu) [PDB:1M8Y]. Les

liaisons hydrogènes sont symbolisées par des pointillés. Figure extraite de Auweler et collègues