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Interaction entre les micro-organismes pionniers et les matériaux cimentaires

CHAPITRE I : SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHIQUE

I.2. Interaction entre les matériaux cimentaires et les organismes microbiologiques

I.2.2. Interaction entre les micro-organismes pionniers et les matériaux cimentaires

Pour permettre le développement des micro-organismes pionniers, les matériaux cimentaires doivent être bioréceptifs. Dans ce contexte, les paramètres de surface (pH, rugosité) et la composition chimique des matériaux supports sont déterminants dans le processus de biocolonisation par les micro-algues et cyanobactéries. Bien qu’il n’y ait, à notre connaissance, aucune étude portant sur l’interaction entre les micro-algues et les composites mortier-polymère, il existe en revanche de nombreuses études sur l’interaction de ces micro-organismes avec des matériaux cimentaires classiques, conduisant à leur bioaltération.

I.2.2.1. Rugosité et pH de surface

L’importance de l’état de surface du matériau a été évoquée dans le cas général d’une interaction avec des micro-organismes. Dans le cas de la bioaltération de matériaux cimentaires, les différents auteurs ont montré qu’une rugosité importante augmente les sites d’ancrage potentiels en fournissant de nombreuses aspérités. C’est aussi un paramètre aggravant en cas de biocolonisation d’un matériau. En effet, une rugosité importante favorise le dépôt de nutriments et de micro-organismes par l’augmentation de la surface de réaction entre le matériau et son milieu extérieur. Tout cela favorise donc le développement microbien, et augmente également la vitesse de colonisation [DUBO00, GUIL95b, TRAN13, TRAN14a].

Par exemple, Tran et al. [TRAN12] ont soumis des mortiers de rugosité différente à un essai de bioaltération par la micro-algue Klebsormidium flaccidum. La Figure I.33 présente les résultats obtenus pour deux rugosités données : la rugosité R1 qui correspond à une finition à la règle, et la rugosité R3 qui correspond à une finition à l’éponge. Il apparaît clairement que l’échantillon le plus rugueux est colonisé plus rapidement et de manière homogène (100% de la surface recouverte dès 11 jours), alors que l’échantillon le plus lisse présente un taux de surface colonisée de 80% à l’issue de 25 jours d’essai.

Pour permettre le développement de micro-organismes en surface, le matériau doit présenter un pH de surface qui soit inférieur ou de l’ordre de 9. Il a en effet été montré qu’un pH trop alcalin conduisait à ralentir la vitesse de colonisation, voire à inhiber le développement microbien [BARB06a, DALO15, GIOV13, TRAN14b]. Toutefois, des études menées avec la micro-algue

Klebsormidium flaccidum ont montré qu’à des pH de 9,5, voire de 10, cette espèce est en mesure de

se développer. Ce qui permet de conclure qu’une carbonatation des matériaux suffit à rendre la surface favorable à un développement microbien (chap. I.1.3.3) [LEWI04, ŠKAL06]. Dans ce contexte, il apparaît logique qu’un matériau carbonaté soit plus bioréceptif qu’un matériau non carbonaté.

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Figure I.33 – Influence de la rugosité de mortiers sur la colonisation par des micro-algues [TRAN12]

I.2.2.2. Porosité

La porosité joue un rôle de première importance dans le processus de bioaltération dans la mesure où elle conditionne à la fois l’état de surface et la quantité d’eau potentiellement présente dans le matériau [DALO15]. Les porosités interconnectées (i.e. pores ouverts qui communiquent avec l’extérieur par au moins deux extrémités) facilitent la pénétration des micro-organismes au sein du matériau. Il en résulte que plus un matériau est poreux, plus la vitesse de dégradation de celui-ci est élevée, et donc plus le matériau est bioréceptif [DALO15, DUBO01, WARS00]. En revanche, dans les études de Dubosc [DUBO00] et de Tran [TRAN11], l’effet de la porosité, et notamment de la distribution de pores sur la croissance de micro-algues n’a pas pu être établi. Dans son étude, Tran [TRAN11] explique ces résultats par le fait que les échantillons étaient toujours dans un état presque saturé en eau, ce qui a empêché de mettre en évidence l’influence de la porosité des échantillons. C’est également le cas des échantillons testés par Dubosc [DUBO00], même si le dispositif était différent.

La porosité du matériau joue un rôle majeur dans la vitesse de colonisation. En effet, si la géométrie, la taille et la distribution autorisent la pénétration des micro-organismes au sein du matériau, cela peut conduire à une augmentation de la vitesse de colonisation. En outre, la porosité peut permettre de piéger de l’eau contenant d’éventuels nutriments essentiels pour le développement des micro-organismes. C’est notamment le cas des microchampignons, qui peuvent utiliser ces nutriments afin de développer des hyphes au sein du matériau. De plus, en cas de grande porosité de surface, les micro-organismes peuvent pénétrer plus profondément dans le matériau, et occasionner des dommages biophysiques [ARIN96, WARS00].

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I.2.2.3. Composition chimique

De nombreuses études, réalisées récemment, s’intéressent désormais à l’influence de la composition chimique des mortiers sur leur bioaltération. Ainsi, la bioréceptivité de formulations particulières de mortiers a pu être évaluée. À titre d’exemple, Manso et al. [MANS14b] ont cherché à déterminer une composition qui soit la plus bioréceptive possible. Ils ont ainsi mis en évidence la très forte bioréceptivité des mortiers à base de ciment phosphomagnésien, en comparaison à des mortiers formulés à base de ciment Portland. En effet, ils montrent notamment que les mortiers à base de ciment phosphomagnésien ont des pH qui favorisent la biocolonisation (entre 5,8 et 7). Grosseau et al. [GROS15] ont quant à eux testé la résistance à la bioaltération (par ruissellement d’une suspension Klebsormidium flaccidum) de mortiers à base de ciment aluminate (CAC) et de ciment Portland (CEM). Les résultats montrent une meilleure résistance des mortiers à base de ciment aluminates par rapport à des mortiers formulés avec du ciment Portland, avec un taux de colonisation à l’issue de 42 jours d’essai de 80% pour les mortiers CEM contre 65% pour les mortiers CAC (Figure I.34). Ces résultats ont été attribués à l’effet bactériostatique7 des composés à base d’aluminate.

Figure I.34 – Influence de la composition minéralogique sur la bioaltération de mortiers [GROS15]

Enfin, dans le cas des composites mortier-polymère, on pourrait s’interroger sur l’influence de l’utilisation de polymère (voire la présence de tensioactifs dans les latex) sur la bioréceptivité des matériaux. En effet, les polymères présents dans les latex sont constitués d’atomes de carbone, d’hydrogène ou encore d’oxygène (chap. I.1.2.1). Ainsi, ces polymères pourraient constituer une source de nutriments pour les micro-organismes, agissant de ce fait en faveur d’un développement microbien. En outre, des études réalisées sur les latex seuls montrent que le pH des dispersions et la présence d’une phase aqueuse conditionnent le degré de susceptibilité d’émulsions de polymères aux micro-organismes tels que les bactéries ou les microchampignons [GILL90].

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Effet bactériostatique : se dit d’une substance qui modère la croissance bactérienne, sans tuer la communauté.

35 Ainsi, il a été établi que les latex présentant un pH acide (EVA ou encore PVA, d’après le Tableau I.1) sont rarement susceptibles au développement microbien. En revanche, les émulsions de polymère ayant des pH alcalins (polymères acryliques ou encore émulsions de styrène-acrylate) sont fortement susceptibles d’être colonisées par des micro-organismes.

Tableau I.1 – pH de plusieurs types de dispersions de polymères (Huddart G., 1983) Dispersion pH acides (3,5-6,5) pH alcalins (8,0-9,5)

Éthylène Vinyle Acétate X

Acétate de polyvinyle X PVA/Acrylique X PVA/Versatate X Acrylique X Styrène acrylate X Styrène Butadiène X