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Chapitre 3 Besoins des pollinisateurs en matière d’habitat

3.4 Interaction entre ces facteurs

Préserver la richesse spécifique d’abeilles implique donc à la fois la protection de la diversité de plantes à l’intérieur des exploitations de café et le maintien des habitats naturels à proximité (Cepeda-Valencia et

al., 2014) et ce, même si certains auteurs considèrent que c’est l’aménagement local qui est la principale

source de variation dans les communautés de pollinisateurs (Bravo-Monroy et al., 2015). Il est important de prendre en compte l’interaction entre ces deux types de facteurs (aménagement local et aménagement régional) pour cibler efficacement les efforts d’aménagement.

L’efficacité des pratiques locales d’aménagement intégrant les pollinisateurs est en effet dépendante du contexte paysager ; elle est généralement plus grande dans les situations où les ressources florales sont rares (Garibaldi et al., 2014). Les exploitations conventionnelles avec une faible diversité sont celles qui bénéficient le plus de la présence d’habitats naturels de qualité aux alentours, avec des effets notamment sur la richesse d’abeilles (Kennedy et al., 2013). L’effet de cette interaction entre aménagement local et aménagement du paysage est d’autant plus prononcé dans les agroécosystèmes méditerranéens et tropicaux (Kennedy et al., 2013). Spécifiquement pour le café, il a été montré que l’interaction entre le choix d’aménagement et la proximité de la forêt est significative pour les abeilles méliponides : les exploitations biologiques et conventionnelles favorisent toutes deux une forte densité d’abeilles

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méliponides, mais l’effet de la proximité de la forêt est notablement supérieur pour les cultures conventionnelles (Bravo-Monroy et al., 2015). De façon générale, les abeilles méliponides sont observées dans les fermes conventionnelles quand celles-ci sont proches de la forêt, tandis qu’elles sont totalement absentes des fermes conventionnelles distantes de la forêt.

Certains auteurs ont proposé une explication à ce phénomène ; c’est l’hypothèse de la complexité du paysage (Tscharntke et al., 2012). La biodiversité, les services écologiques fournis et l’efficacité de l’aménagement ne sont pas les mêmes pour les paysages uniformes, les paysages simples et les paysages complexes. Ce niveau de complexité est défini par la composition de la matrice (couverture d’habitats naturels notamment) et l’hétérogénéité des habitats. La biodiversité et les services écologiques augmentent avec la complexité du paysage, en revanche l’efficacité de l’aménagement est optimale pour les paysages à la structure intermédiaire, dits « paysages simples » (Figure 3.2). En effet, dans les paysages complexes, les agroécosystèmes sont caractérisés par un haut niveau d’immigration d’organismes provenant des habitats naturels ou semi-naturels environnants, qui permet de compenser les déficits d’un aménagement local intensif. Cette hypothèse rejoint celle de Bos et al. (2007), selon laquelle la pollinisation ne serait un facteur limitant que pour les aménagements les plus intensifs, car la capacité de rétention des fruits y serait optimale (Figure 2.3C).

Figure 3.2 Hypothèse de la complexité du paysage. Relation entre la structure du paysage et A) la biodiversité et les services écologiques, B) l’efficacité de l’aménagement local.

Source : tiré de Tscharntke et al. (2012)

Ces hypothèses sont soutenues en Europe, où l’efficacité des MAE a été évaluée à plusieurs reprises. Une méta-analyse de ces études révèle que les effets positifs des MAE sont observables uniquement au sein de paysages simples, les MAE n’ayant pas d’impact significatif dans les paysages plus complexes (Batáry et

al., 2011). De même, c’est en général l’abondance, mais pas la richesse des pollinisateurs, qui est

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le paysage est complexe (Batáry et al., 2011). De fait, les exploitations agricoles dans les paysages hétérogènes bénéficient déjà d’une forte diversité (Benton et al., 2003; Tscharntke et al., 2005).

Il faut bien noter que les seuils donnés pour différencier paysages simples et paysages complexes sont basés sur des études réalisées en Europe centrale, c’est-à-dire des paysages de zones tempérées, caractérisés par une saisonnalité importante et une biodiversité bien différente de celle des zones tropicales, avec des paysages dont la structure est elle aussi totalement différente. La valeur de ces seuils n’est donc probablement pas généralisable à d’autres régions comme la Mésoamérique, mais la comparaison mérite d’être menée, et il serait intéressant de déterminer les seuils clés afin de cerner quels sont les paysages « simples » 35 en Mésoamérique. De plus, il est important de remarquer que cette notion de structure du paysage (uniforme, moyenne, complexe) ne traduit en réalité que l’aspect de la composition du paysage, mais pas de sa configuration. Idéalement, il faudrait aussi évaluer l’interaction de l’aménagement local avec la configuration ; on aurait une idée encore plus précise des conditions dans lesquelles cet aménagement est le plus efficace.

En guise de conclusion à ces deux derniers chapitres, un modèle conceptuel est proposé sous forme d’organigramme. Il représente l’ensemble des interactions entre les facteurs précédemment mentionnés. Il suit également le déroulement logique du texte, présentant de bas en haut les liens de cause à effet sur les rendements, depuis les variables de productivité agricole (taux de mise à fruit, poids, etc.) jusqu’aux variables de composition et de configuration du paysage (distance à la forêt, forme des fragments, etc.).

Ce modèle permet de mettre en évidence les variables clés pour le service de pollinisation du café ; on en déduit les stratégies prioritaires dont il sera discuté dans le prochain et dernier chapitre. Globalement, il faut retenir que les communautés d’abeilles diversifiées permettent de stabiliser les rendements, même si au final, ce sont quelques espèces dominantes (abeilles mellifères et méliponides) qui contribuent majoritairement à la pollinisation du café, comme pour la plupart des cultures à l’échelle mondiale (Kleijn

et al., 2015). L’abondance et la richesse des communautés d’abeilles peuvent être facilement augmentées

par des pratiques d’aménagement au niveau local (notamment la plantation ou le maintien d’espèces à floraison continue) et par la sauvegarde de fragments de forêt à proximité des exploitations (distance inférieure à 100 m). Enfin, dans une certaine mesure, plusieurs facteurs externes à la communauté d’abeilles, comme la densité des fleurs et la capacité de rétention des fruits, peuvent être, entre autres,

35 Par analogie aux études en Europe, un « paysage simple » mésoaméricain désigne le type structurel de paysage qui présenterait une réponse optimale à des efforts en matière d’aménagement.

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contrôlés par des pratiques d’irrigation ou de fertilisation. Les facteurs externes non contrôlables, comme le climat qui influence la phénologie de floraison du café, n’apparaissent pas ici.

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Figure 3.3 Modèle conceptuel représentant l’ensemble des interactions entre les facteurs de productivité agricole, de biodiversité, d’aménagement local et d’aménagement régional, en lien aux variations du service de pollinisation du café.

LÉGENDE (SUITE)

Spécificité des effets à certaines guildes

mp : méliponides soc : sociales

ml : méllifères sol : solitaires

LÉGENDE Nature des effets

négatif

négatif/positif/sans effet

positif, précisé quand :

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