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Chapitre 3 Besoins des pollinisateurs en matière d’habitat

3.2 Facteurs clés de l’aménagement local

3.2.2 La gestion de la strate herbacée

Comme il vient d’être vu, la gestion de la canopée a une influence indirecte sur le sous-bois, tout changement pouvant altérer les conditions microclimatiques qui s’y créent. De façon plus directe, les producteurs peuvent modifier l’habitat des pollinisateurs au niveau du sous-bois. L’agencement entre les caféiers et la flore spontanée qui pousse au sol, ainsi que le contrôle de celle-ci, affectent les pollinisateurs

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qui nichent et se sustentent au niveau de la strate herbacée. En effet, les ressources florales et de nidification ne sont pas seulement disponibles dans la canopée, mais aussi dans le sous-bois.

Durant la saison de floraison du café, les plantes à fleurs de la strate herbacée n’influencent pas les pollinisateurs, qui sont davantage attirés par les fleurs de café (Veddeler et al., 2006). En revanche, leur présence est essentielle le reste de l’année pour assurer des ressources florales en continu aux pollinisateurs. L’absence de végétation naturelle est associée avec de faibles populations d’abeilles méliponides (Heard, 1999). De fait, l’abondance et la richesse de pollinisateurs augmente avec la diversité de ressources florales dans les exploitations (Carvalheiro et al., 2011; De Marco & Coelho, 2004; Garibaldi et al., 2014; Klein, 2009; Klein et al., 2003a, 2003c; Veddeler et al., 2006), et ceci, particulièrement pour les abeilles méliponides dans les agroécosystèmes de café en Mésoamérique (Bravo-Monroy et al., 2015; Cepeda-Valencia et al., 2014; Peters, 2014). En Europe, il a été observé que dans les habitats à plus grande diversité floristique, les abeilles réalisaient des trajets de butinage plus courts, c’est-à-dire qu’elles rencontrent plus de ressources florales à portée de leur nid, ce qui leur permet d’augmenter leur efficacité de butinage (Gathmann & Tscharntke, 2002). De façon générale31, l’augmentation de la diversité de plantes permettrait aussi d’augmenter l’abondance d’abeilles de 76% (Kennedy et al., 2013). Dans les exploitations conventionnelles avec une grande diversité de plantes, l’abondance de pollinisateurs est du même ordre que dans les exploitations biologiques avec une faible diversité de plantes (Kennedy et al., 2013). La richesse de pollinisateurs augmente également avec la diversité de plantes, mais pas au point d’égaliser la richesse trouvée dans les exploitations biologiques (Kennedy et al., 2013). Il est utile de rappeler que dans les exploitations biologiques, la végétation n’est pas forcément diversifiée : dans certaines régions, les exploitations biologiques ont tendance à devenir de larges monocultures, au détriment des abeilles sauvages et de leur services de pollinisation (Kennedy et

al., 2013). C’est le cas pour le café au Mexique, où dans certaines exploitations biologiques, la végétation

présente une faible structure biophysique en raison des pratiques intenses d’élagage et de désherbage (Hernández-Martínez et al., 2009).

La diversité des ressources florales est donc un facteur clé de l’aménagement local. Or, par leurs choix de production, les producteurs interviennent sur la diversité de la végétation sauvage et cultivée. Pour la diversité sauvage, des pratiques telles que le labour, le désherbage manuel ou l’emploi d’herbicides sont néfastes quand elles sont excessives : dans les systèmes de café d’ombrage au Mexique, la gestion locale de la végétation est le facteur le plus important pour la communauté d’abeilles indigènes, peu importe la

31 Ces résultats sont donnés pour 23 plantes cultivées sur l’ensemble du globe, pas spécifiquement pour la culture du café en Mésoamérique.

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guilde que l’on observe (Jha & Vandermeer, 2010). À l’inverse, les producteurs sont à même de promouvoir la diversité de plantes en semant d’autres d’espèces entre les rangs de café. Cette diversité cultivée peut être extrêmement bénéfique pour les pollinisateurs. Peters (2014) a mené une expérience dans des systèmes agroforestiers de café au Costa Rica afin de tester l’importance de ressources florales à phénologie de floraison constante sur la biodiversité. La plantation de Hamelia patens, intercalée avec les rangs de café, a permis une augmentation de 21% de la richesse générale de visiteurs des fleurs (colibris, papillons, guêpes et abeilles). Plus précisément, les systèmes agroforestiers plantés avec Hamelia patens comportaient 85% d’espèces d’abeilles supplémentaires (Peters, 2014). Hamelia patens est distribuée depuis la Bolivie au Mexique et elle est adaptée aux sous-bois de forêts secondaires ; elle a ainsi un grand potentiel d’utilisation dans les systèmes de café d’ombrage mésoaméricains. Par ailleurs, de nombreuses plantes à phénologie de floraison constante peuvent être trouvées dans toutes les forêts tropicales ; une priorité pour la recherche serait d’identifier parmi ces plantes quelles sont celles qui peuvent subvenir à un grand nombre de pollinisateurs et ainsi, participer au maintien de nombreux services écologiques (Peters, 2014).

En ce qui concerne les ressources de nidification, les abeilles nichant au sol sont bien sûr les premières à être affectées par des pratiques comme le labour ou le désherbage (Williams et al., 2010). En plus de faire passer la lumière par endroit au niveau de la canopée, il est donc conseillé de limiter le contrôle intensif des strates herbacées (Klein et al., 2003c). Toutefois, même un peu désherbés, les inter-rangs de café semblent fournir un habitat propice à de nombreuses espèces fouisseuses comme Dialictus, qui préfèrent les sols nus ou avec de la végétation éparse (Ngo et al., 2013).

Ainsi, la gestion de la strate arborée et herbacée affecte les communautés d’abeilles, notamment en ce qui a trait à la diversité de ressources florales (dans les arbres et dans les inter-rangs de café). Par ailleurs, c’est l’ensemble de la faune utile qui bénéficie d’une plus grande diversité de plantes sauvages. C’est le cas des abeilles euglossines qui ne sont pas des pollinisateurs du café, mais néanmoins d’importants pollinisateurs de la flore sauvage (e.g. les orchidées) et de cultures importantes économiquement (e.g. la noix du Brésil) (Briggs et al., 2013). Les prédateurs d’insectes nuisibles sont aussi favorisés par une végétation diversifiée ; néanmoins, bien que le service écologique qu’ils fournissent (i.e. contrôle des insectes nuisibles) puisse entretenir des effets synergétiques avec le service de pollinisation pour certaines plantes (Lundin et al., 2013), il ne semble pas que ce soit le cas pour le café (Classen et al., 2014).