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Chapitre 3 Besoins des pollinisateurs en matière d’habitat

3.2 Facteurs clés de l’aménagement local

3.2.3 La gestion des caféiers

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Les producteurs n’ont pas seulement à gérer la flore sauvage, mais aussi, bien sûr, les caféiers. Ceux-ci constituent la strate arbustive intermédiaire entre la strate herbacée et la canopée. Plus les caféiers sont âgés, moins ils sont visités par les abeilles méliponides (Bravo-Monroy et al., 2015). La gestion de l’eau et des intrants, deux composantes indispensables à tout type d’exploitation agricole, a également des impacts sur la pollinisation du café.

Il faut rappeler, tout d’abord, que la densité des pollinisateurs augmente avec la densité de fleurs, et donc avec la densité de caféiers (Bravo-Monroy et al., 2015), mais seulement à l’échelle très locale. Le nombre d’abeilles est limité sur un site ; cela doit être pris en compte dans des perspectives d’aménagement. Par exemple, afin d’optimiser la productivité du café par un effet de concentration de la densité d’abeilles, il faudrait encourager des floraisons successives et continues plutôt que des floraisons synchronisées (Veddeler et al., 2006). Or, la phénologie de floraison du café32 est largement influencée par les différents régimes de précipitations qui caractérisent les climats régionaux. Au Mexique, le démarrage de floraison est provoqué par des évènements de pluie d’environ 7-10 mm, quand ceux-ci sont précédés par une période sèche (Schroth et al., 2009). Lorsque la floraison est induite par les fortes pluies, les plants de café fleurissent de façon synchronisée pour de courtes périodes. Plus généralement, les zones de café en Mésoamérique sont caractérisée par un climat humide et à fortes variations saisonnières ; pour ce climat, la phénologie de floraison du café varie le long d’un gradient allant des floraisons synchrones de haute densité, à des floraisons synchrones de faible densité, alors que des floraisons asynchrones de faible densité sont davantage observées pour les climat humides à faibles variations saisonnières (Peters & Carroll, 2012). Dans les régions où les floraisons sont synchrones et denses, des pluies durant la période de floraison peuvent avoir un effet dévastateur sur les rendements de café, car elles abîment les fleurs qui ne sont plus efficacement pollinisées par les abeilles (Peters & Carroll, 2012). Ces précipitations inhabituelles, qui sont d’ailleurs plus fréquentes avec les changements climatiques, sont donc susceptibles d’affecter la phénologie de floraison du café et de réduire l’efficacité de la pollinisation (Peters & Carroll, 2012). Par conséquent, les effets positifs de la diversité d’abeilles sur le taux de mise à fruit du café sont généralement observables lors des périodes de floraison asynchrone, où la densité des fleurs est faible (Peters & Carroll, 2012).

L’impact des pratiques d’irrigation sur les services de pollinisation et la production de C. canephora a été montrée en Inde (Boreux et al., 2013), où la gestion de l’irrigation permet de produire des floraisons asynchrones ; cet outil s’est même avéré plus efficace que de maintenir une forte densité d’arbres

32 La phénologie de floraison du café est définie par la fréquence, la durée et la densité des fleurs (Peters & Carroll, 2012).

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d’ombrage comme habitat pour les pollinisateurs. Néanmoins, il ne semble pas que cette méthode ait déjà été appliquée pour C. arabica en Mésoamérique, et sa faisabilité reste à montrer et ce, dans un contexte où les petits producteurs ont peu de moyen pour mettre en place des systèmes d’irrigation sophistiqués (Schroth et al., 2009).

Quant à la gestion des intrants, elle constitue une question de taille pour une culture d’importance économique comme le café. Les intrants chimiques sont utilisés dans les exploitations de café pour lutter contre les parasites et les maladies, ou encore fertiliser les caféiers. Or, il est reconnu à l’échelle mondiale que les intrants chimiques portent préjudice à la biodiversité, et tout particulièrement aux abeilles. De telles pratiques sont interdites en agriculture « biologique », si bien que ce terme peut être utilisé pour désigner globalement tout aménagement qui exclut l’usage d’intrants chimiques. La conversion des exploitations de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique permettrait, de façon générale33, d’augmenter localement l’abondance et la richesse d’abeilles de respectivement 74 et 50% (Kennedy et

al., 2013). L’effet négatif de l’aménagement conventionnel est toutefois nuancé par une étude sur le café

en Colombie (Bravo-Monroy et al., 2015) : bien que dans les exploitations conventionnelles, les abeilles mellifères aient une plus grande fréquence de visite (au détriment de la fréquence de visite des abeilles méliponides), la richesse des abeilles méliponides dans les exploitations conventionnelles est comparable à celle que l’on trouve dans les exploitations biologiques. Paradoxalement, un apport important de matière organique comme fertilisant aurait un effet positif sur la fréquence de visite des abeilles mellifères, mais un effet négatif sur la richesse des abeilles méliponides (Bravo-Monroy et al., 2015). Il est suggéré que l’apport de matière organique interagit avec la densité des fleurs pour augmenter l’abondance des abeilles mellifères, alors que les abeilles méliponides ne seraient pas davantage attirées par une forte densité de fleurs (Bravo-Monroy et al., 2015). En plus de l’effet positif des fertilisants sur la densité des fleurs, il resterait à montrer qu’ils favorisent également la capacité de rétention des fruits. Cela confirmerait l’hypothèse de Bos et al. (2007), selon laquelle la capacité de rétention des fruits augmenterait avec l’intensification de l’aménagement local (plus il y a de fertilisants, plus les plantes retiennent de fruits), si bien que l’action des pollinisateurs n’aurait d’effet observable que pour les systèmes d’aménagement les plus intensifs (voir

33 Ces résultats sont donnés pour 23 plantes cultivées sur l’ensemble du globe, pas spécifiquement pour la culture du café en Mésoamérique.

68 Figure 2.3C).