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Chapitre 3 Besoins des pollinisateurs en matière d’habitat

3.1 Habitat des pollinisateurs

En matière d’habitat, les pollinisateurs requièrent deux types principaux de ressources pour se maintenir dans un paysage : des ressources florales27 (les fleurs dont ils peuvent prélever le nectar et le pollen) et des ressources de nidification (incluant le substrat de nidification et les matériaux pour construire le site de nidification).

3.1.1 Les ressources florales

Les abeilles prélèvent à la fois du nectar et du pollen chez les fleurs. Ces ressources leur apportent respectivement des glucides (pour la nourriture des adultes, essentiellement) et des protéines (pour la nourriture des larves, essentiellement) (Bellman, 1995). Toutefois, la densité et la diversité des ressources florales est très variable dans l’espace et dans le temps, avec, par exemple, certaines périodes de l’année où la plupart des plantes ne fleurissent pas. Encore une fois, la complémentarité des niches joue un rôle important dans l’équilibre entre les communautés animales et végétales (Blüthgen & Klein, 2011). Pour une communauté de pollinisateurs, différentes espèces de plantes peuvent fournir de la nourriture à différents moments (complémentarité phénologique), et les nutriments peuvent différer d’une plante à l’autre, avec, par exemple, certaines plantes qui fournissent du nectar et d’autres qui fournissent du pollen (complémentarité nutritionnelle) (Figure 3.1).

Complémentarité phénologique Complémentarité nutritionnelle

Figure 3.1 Illustration des effets de la complémentarité phénologique et nutritionnelle des différentes guildes de fleurs sur l’alimentation des abeilles.

Source : modifié de Blüthgen & Klein (2011)

La diversité fonctionnelle de plantes est donc essentielle aux pollinisateurs, de la même façon que la diversité fonctionnelle de pollinisateurs est essentielle pour de meilleurs rendements. De façon générale,

27 Le terme « ressource mellifère » peut aussi être utilisé, mais dans cet essai il n’apparaît pas afin d’éviter la confusion avec les abeilles mellifères.

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on s’attend à ce que les espèces polylectiques, comme les abeilles mellifères et les abeilles méliponides, soient moins sensibles à une diminution de la diversité fonctionnelle de fleurs que les espèces plus spécialistes (Ngo et al., 2013).

3.1.2 Les ressources de nidification

Les abeilles nidifient dans une grande diversité de substrats, allant des troncs d’arbres creux aux tiges de certains végétaux peu ligneux, en passant par des souterrains dans le sol (Bellman, 1995). Selon le substrat où elles nidifient, et les matériaux dont elles ont besoin pour construire les nids, les différentes guildes d’abeilles ne sont pas affectées de la même manière par les perturbations de leurs habitats naturels (ibid.). En lien avec le mode de nidification, les stratégies de reproduction ont aussi une influence sur la vulnérabilité des abeilles à une perturbation de l’habitat : chez les abeilles sociales, ce sont les colonies entières qui occupent en permanence le nid, tandis que chez les abeilles solitaires, le nid représente juste la cavité aménagée par les femelles pour la ponte d’un ou plusieurs œufs28 (ibid.).

En ce qui concerne les abeilles sociales, il est possible d’évaluer différentes stratégies de reproduction, en considérant une colonie comme un seul superorganisme (Seeley, 1989). En moyenne, les abeilles méliponides ont une densité de deux colonies par hectare dans leurs habitats naturels (Cortopassi-Laurino

et al., 2006), soit une densité beaucoup plus faible que celle des abeilles mellifères africanisées. Il a été

suggéré que les abeilles méliponides ont une stratégie de type « K » (axée sur la survie des populations, mais avec un faible taux de reproduction), tandis que les abeilles mellifères africanisées ont une stratégie de type « r » (durée de vie courte, mais avec un taux de reproduction important) (Slaa, 2006). En effet, au Costa Rica, les colonies de la plupart des espèces méliponides présentent une durée de vie moyenne de 23.3 ans, aussi bien dans les habitats forestiers que dans les habitats déboisés, ce qui signifierait qu’elles n’essaiment29 environ qu’une seule fois tous les 20 ans (Slaa, 2006). Cette dynamique particulière des populations de méliponides les rend d’autant plus vulnérable à la destruction de leurs habitats (Slaa, 2006), contrairement aux abeilles mellifères africanisées qui essaiment souvent, ce qui leur confère une haute capacité d’adaptation. Parmi les méliponides, seule l’espèce Trigona angustula se distingue par une durée de vie de ses colonies plus courte, qui est de 3.8 ans dans les habitats forestiers et de 12.5 ans dans les habitats déboisés (Slaa, 2006). Cette espèce, qui se rapproche donc d’une stratégie de type « r » avec un mécanisme d’essaimage plus rapide, a un avantage compétitif sur les autres espèces qui prospectent

28 Certaines abeilles semi-sociales comme les halictes sont en réalité des abeilles solitaires dont les femelles creusent les nids souterrains côte à côte sur une superficie réduite, donnant l’impression d’une colonie, mais à la différence des abeilles solitaires, elles ne se chargent pas collectivement de l’alimentation de leur progéniture.

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davantage avant de choisir un nouveau site de nidification (Slaa, 2006). De plus, alors que la plupart des abeilles méliponides sont exigeantes quant au site de nidification, Trigona angustula montre une plus grande tolérance, c’est-à-dire qu’elle accepte une plus grande gamme de sites pour nidifier, et peut s’emparer de la majorité des sites de nidification disponibles aux pollinisateurs (Slaa, 2006). Cela explique certainement sa dominance numérique dans nombre d’habitats déboisés ou urbanisés, où les sites de nidification de bonne qualité sont limités (Slaa, 2006). Néanmoins, malgré un taux important de reproduction des colonies de Trigona angustula, elles ont un taux important de mortalité, qui supprime leur population dans les habitats forestiers (Slaa, 2006). De la même façon, les forêts contiennent généralement peu de colonies de Melipona spp., alors que les colonies Scaptotrigona spp. y sont généralement abondantes (Cortopassi-Laurino et al., 2006). Or, ces trois genres (Trigona, Melipona et

Scaptotrigona) constituent des visiteurs importants du café, et probablement efficaces, ce qui confirme

que le rôle des habitats naturels forestiers pour la nidification des abeilles méliponides doit être considéré comme un atout pour la pollinisation du café.

Du côté des abeilles solitaires, l’enjeu semble moins important en Mésoamérique, où seules les halictes du sous-genre Dialictus sont présentes en grand nombre dans les exploitations de café mexicaines (Ngo et

al., 2013). Toutefois, on soupçonne que ces abeilles solitaires de petite taille auraient un potentiel non

négligeable dans la pollinisation du café, puisqu’elles nichent au sol, la préservation de leur habitat ne doit pas non plus être oubliée. La disponibilité de sol à nu et au soleil est donc une ressource de nidification qui devra être encouragée dans l’aménagement local.

La présence de ressources florales et de ressources de nidification de qualité sont donc deux conditions essentielles pour la subsistance des communautés d’abeilles. Or, à la fois l’aménagement local et l’aménagement régional affectent la disponibilité de ces ressources.