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Interaction dynamique entre agriculture et orpaillage artisanal

0.3 Objectif et questions de recherche

0.3.3 Interaction dynamique entre agriculture et orpaillage artisanal

Notre deuxième question concerne les relations agriculture-orpaillage et a été formulée ainsi : comment l’interaction entre l’agriculture et l’orpaillage artisanal s’effectue-t-elle? Ce thème est motivé par le fait que le Burkina Faso à l’instar des autres pays africains compte plus de 92% de la main d’œuvre nationale qui est agricole et une contribution de l’agriculture au Produit Intérieur Brut de 30% en 2012 (Food and Agriculture Organization of the United Nations,

2014). Aussi, le pays est un pays sahélien où la sécurité alimentaire est encore un défi majeur du fait de son climat aride. De ce fait, le boom minier qui modifie le monde agricole mérite d’être analysé afin non seulement de prévenir des effets néfastes sur cette activité importante pour les populations mais aussi de le réguler pour pouvoir en tirer des bénéfices pour le développement rural. Ainsi, l’étude de cette dynamique s’avère plus qu’importante si cette cohabitation doit être bénéfique (Pijpers,2014). Dans cette partie, nous cherchons donc à comprendre comment les ménages ruraux ont adapté la diversification de leurs moyens de subsistance à la suite de ce boom minier. L’étude consiste à déterminer dans quelles mesures les ménages ruraux associent l’agriculture à l’extraction artisanale. De manière spécifique nous désirons répondre aux questions suivantes:

• Quels sont les facteurs de vulnérabilités qui poussent les populations rurales en partic- ulier les agriculteurs à poursuivre une activité telle que l’orpaillage?

• Comment ces agriculteurs arrivent-ils à s’offrir les moyens nécessaires pour poursuivre cette activité?

• L’agriculture soutient-elle l’orpaillage ou vice-versa?

• L’orpaillage représente-il un risque pour la relève agricole? Peut-il aggraver les prob- lèmes d’insécurité alimentaire dans le pays?

• Quels sont les processus institutionnels qui encadrent la mise en place de ces stratégies d’existence?

Nos résultats pourront être comparés aux autres régions du monde ayant des caractéristiques semblables ou encore faisant face à la même problématique. Pour ce deuxième thème, nous adoptons le cadre des moyens d’existence durable apparu dans la littérature anglophone dans les années 1990.

0.3.3.1 Le cadre des moyens d’existence durable

Le cadre des moyens d’existence durable est influencé par trois principales approches: les approches systémiques, le développement rural intégré et la théorie économique du ménage (Scoones,2009;Morse and McNamara,2013).

L’approche systémique apparue dans les années 1960 repose sur l’idée que les problèmes liés à l’agriculture ne sont pas indépendants les uns des autres mais plutôt inter liés de telle sorte que la performance globale du système en dépend (Conway,1985). Il est également influencé par le développement rural intégré développé dans les années 1970 à la suite de contradictions telles que l’incapacité de la croissance de revenus à assurer un accès aux services sociaux en zone rurale, l’apparition de l’approche systémique et l’incapacité des approches bureaucratiques à assurer le développement rural (Ruttan,1984) afin d’améliorer les conditions de vie des populations malgré les nombreux projets.

La théorie économique du ménage quant à elle considère que le ménage est l’unité économique la plus importante de consommation et de production de biens à partir desquels il faut maximiser l’utilité des ménages (Barnum et al.,1980;Evans,1991). Face aux résultats mitigés des approches citées ci-dessus, une nouvelle approche apparaît en 1987 lors de la conférence de la Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (Krantz,2001;

Solesbury,2003).

Cette approche connue sous le nom du cadre des moyens d’existence durable s’est dès lors imposée comme une approche focalisée sur le bien être des individus en zones rurales plutôt que sur la croissance économique. En 1992 lors du sommet mondial relatif à la terre qui s’est tenu à Rio, les conférenciers divulguent l’idée selon laquelle chaque être humain doit avoir un moyen d’existence durable. Très rapidement après l’introduction du concept parChambers and Conway(1992), le département de développement international du Royaume Uni se fixe - en 1997 - comme objectif de l’utiliser afin de déterminer ses priorités de développement dans les pays les moins avancés. C’est ainsi que ce dernier a mis en œuvre la nouvelle approche de développement dans les zones rurales les plus pauvres situés dans des pays tels que le Bangladesh, le Mali, l’Éthiopie (Scoones, 2009). Il devient dès lors répandu et sera par la

suite utilisé par la plupart des agences de développement comme les Nations Unies et par de grandes organisations non gouvernementales comme Oxfam (Solesbury,2003;Scoones,

2009).

Définition

Le cadre des moyens d’existence durables a été introduit afin de diagnostiquer les prob- lèmes de développement rencontrés dans les zones rurales. Ce cadre consiste à analyser les différentes stratégies utilisées par les ménages ruraux les plus pauvres afin de s’adapter aux stress et/ou chocs comme un changement climatique ou dans notre cas le boom minier (Chambers and Conway,1992). Plus précisément, on détermine les combinaisons possibles des ressources humaines, naturelles, sociales et économiques que les ménages ruraux com- binent afin de se procurer des moyens de subsistance viables, ce qui est atteint lorsque le ménage ou ses membres sont capables de soutenir ou d’accroître leur accès à différentes ressources telles que le crédit, la terre, les compétences (Bebbington,1999).

Principes du cadre des moyens d’existence durables

Le cadre des moyens d’existence durables se construit sur l’hypothèse que les individus com- binent plusieurs ressources disponibles dans le but de poursuivre une stratégie d’existence permettant de leur assurer un objectif final tel que la réduction de leur vulnérabilité et une meilleure santé (Farrington et al.,1999). Le cadre des moyens d’existence durable comporte cinq différentes parties qui doivent s’articuler pour déterminer les résultats des stratégies des moyens d’existence (Chambers and Conway,1992;Serrat,2008;Scoones,2009). Ce sont le con- texte de la communauté étudiée, les ressources disponibles, les institutions et organisations, les stratégies de subsistance, les résultats sur le plan de subsistance (voir figure0.2).

Figure0.2ici

• Le contexte: Ce volet permet d’explorer les caractéristiques de vulnérabilité et le con- texte institutionnel de la population (Morse and McNamara, 2013). Le contexte de vulnérabilité des ressources est mesuré par le biais des chocs, des stress et des variations saisonnières (Farrington et al.,1999). Le stress étant un événement prévisible tel que les pénuries saisonnières alors que le choc est un événement imprévisible et soudain tel qu’une inondation, une sécheresse, un incendie. Le contexte institutionnel comprend les aspects socio-économiques, politiques, historiques et démographiques qui impactent sur les stratégies de subsistance d’une population particulière à l’étude (Morse and McNamara,2013).

• Les ressources disponibles: Les ressources sont les principales dotations qu’une popula- tion donnée utilise pour assurer sa subsistance (Morse and McNamara,2013). En plus de représenter les dotations, ces ressources doivent être également vues comme des moyens pour les populations de se réaliser c’est-à-dire d’exister et d’agir pour leur intérêt (Beb- bington,1999). Ces ressources sont classées généralement suivant cinq catégories en termes de ressources financières, physiques, sociales, humaines et naturelles (Morse and McNamara,2013). Les ressources sociales sont caractérisées par les relations sociales qui existent entre les individus d’une population donnée. Les ressources humaines représentent la main d’œuvre nécessaires pour l’agriculture ou les entreprises au niveau du ménages (Morse and McNamara,2013). Les ressources physiques représentent les actifs tangibles que le ménage s’approprie telle qu’une voiture, maison, investissement dans l’éducation des enfants. Les ressources financières regroupent les actifs financiers que possède le ménage à l’instar de l’épargne ou d’un crédit contracté. Les ressources naturelles quant à elles représentent celles à l’instar de la terre, de l’eau. En dehors de ces catégories classiques, la ressource culturelle est souvent citée comme une ressource disponible (Bebbington,1999). Les six types de ressources forment un hexagone dont la forme dépend de l’importance d’une catégorie de ressource donnée.

Figure0.3ici

• Les institutions et organisations: Les institutions et organisations déterminent le cadre dans lequel s’inscrivent les stratégies de subsistance. Elles peuvent être formelles comme informelles (Krantz,2001). Elles conditionnent non seulement l’accès aux ressources mais également les choix et les stratégies des populations locales (Krantz,2001;Morse and McNamara,2013). En d’autres termes, elles comprennent les institutions publiques, privées et locales qui régissent l’environnement pour échanger les biens et les services qui sont nécessaires pour soutenir les moyens de subsistance au travers des lois, des politiques, des règlements, des accord ou des normes sociales (Serrat,2008).

• Les stratégies de subsistance: Les stratégies de subsistance regroupent les différentes stratégies utilisées par une population donnée pour assurer sa survie dans la commu- nauté. Celles-ci comprennent la migration, l’intensification agricole et la diversification des moyens de subsistance. La migration a été un élément central des stratégies de subsistance rurale en réponse aux crises économiques, sociales et démographiques. Dès lors il est important de l’intégrer dans l’analyse de développement agricole et rural (Haan,1998). Habituellement elle est associée à d’autres stratégies de subsistance telles que l’intensification agricole ou la diversification des moyens d’existence ruraux. La deuxième stratégie de subsistance, l’intensification agricole se réalise lorsqu’il y’a l’augmentation de la main d’œuvre ou du capital (Carswell,1997). Cela se produit dans deux différents cas : expansion des intrants, augmentation de la productivité par le biais de l’évolution technique. La troisième stratégie de subsistance, la diversification des

moyens de subsistance se réfère à une combinaison de plus de deux activités afin de lutter contre les chocs (Hussein and Nelson 1998). Tout d’abord, elle peut être atteinte lorsque les agriculteurs diversifient les types de cultures. Elle est également atteinte lorsque les ménages ruraux pratiquent des activités hors agriculture allant du commerce à la pratique des activités minières.

• Moyens d’existence durables: Les moyens d’existence résultent de la combinaison des ressources disponibles (physiques, financières, humaines, naturelles, culturelles et sociales) que les populations utilisent pour assurer leur survie. Les moyens d’existence sont considérés durables lorsque deux objectifs sont atteints. Le premier objectif est l’amélioration de ces derniers d’un point de vue de l’augmentation du nombre de jours de travail, de la réduction de la pauvreté et de l’amélioration du bien-être. Le second objectif visé est la résilience accrue des populations ainsi qu’une diminution drastique de la vulnérabilité auxquelles elles font face (voir Figure0.2).

0.3.3.2 Forces et faiblesses du cadre

Bien que le cadre ait été développé il y a plusieurs décennies, il reste toujours d’actualité pour traiter les questions relatives au monde rural dans les pays pauvres. En effet, ce cadre se révèle toujours pertinent pour les raisons suivantes. Tout d’abord il s’agit de l’un des seuls cadres appliqué au monde rural des pays en développement. Ensuite, il représente un outil qui permet de mieux comprendre les enjeux de la pauvreté en zones rurales afin de diriger les interventions gouvernementales ou non dans les secteurs clés (Farrington et al.,

1999). En dépit de ses avantages, le cadre des moyens d’existence durables a fait l’objet de plusieurs critiques. La première concerne la substitution possible des ressources (Morse and McNamara,2013). En effet, le cadre suppose que les ressources naturelles comme la terre peuvent être remplacées par une ressource financière comme l’épargne dans le sens ou celui qui possède de l’épargne peut acheter une terre et donc substituer la terre par de l’épargne. Ce serait admettre qu’il est possible de combler indéfiniment l’absence de ressource naturelle en se l’appropriant au moyen de capital financier. Or, il se pourrait que même en présence de ressources financières, on ne puisse plus acquérir certaines ressources naturelles non renouvelables si leur stock est complétement épuisé. Une deuxième critique repose sur le fait que les questions concernant les relations de pouvoir telles que les relations politiques ou celle du genre ne sont pas prises en compte dans le cadre(Krantz,2001;Serrat,2008;Scoones,2009;

Morse and McNamara,2013;Gasselin et al.,2014). Dans le but de traiter ces insuffisances, les relations de pouvoir ont été traitées dans l’article 2 qui porte sur l’interaction entre agriculture et orpaillage.

0.3.3.3 Justification de l’utilisation du cadre des moyens d’existence durables

Le cadre conceptuel des moyens d’existence a une utilisation flexible adaptée à deux cas de figure distincts. Il peut être utilisé comme outil d’analyse, ou encore comme une approche (Ashley 2000). En tant qu’outil d’analyse, ce cadre permet d’examiner les principaux moyens d’existence au sein des communautés rurales et l’effet potentiel d’une intervention gouverne- mentale ou non-gouvernementale. Dans le deuxième cas de figure, en tant qu’approche, le cadre des moyens d’existence des populations rurales est utilisé comme un pilier dans les démarches de recommandations de politiques des gouvernements et organisations non gouvernementales.

Les pages précédentes indiquent que les ménages ruraux agricoles tentent de s’adapter au récent boom minier en tirant notamment des revenus supplémentaires de l’orpaillage pour financer leurs activités agricoles ou améliorer leur niveau de vie. Ce qui constitue clairement une nouvelle stratégie d’adaptation face aux conditions climatiques extrêmes et à la montée de l’orpaillage. De là, il nous paraît intéressant d’utiliser le cadre des moyens d’existence durable qui est un outil de diagnostic des différentes stratégies utilisées par les ménages pour absorber les chocs ou les stress. Aussi, ce cadre permettra de comprendre les conditions dans lesquelles ces combinaisons de stratégies peuvent conduire à une durabilité du secteur. Par ailleurs, les constats mentionnés dans les pages précédentes indiquent également que l’activité de l’orpaillage et l’agriculture (voire d’autres activités) constituent des activités inter- dépendantes les unes des autres permettant d’assurer une existence viable aux agriculteurs à savoir la consommation, la transformation de leurs produits ainsi qu’un environnement social favorable à leur réalisation.