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Les paragraphes qui vont suivre présentent donc des pistes de réponse à cette question. Et s’il n’est pas possible d’y apporter une réponse définitive, les éléments de réponse permettent néanmoins d’éclairer une partie de la biologie du virus qui n’a pas été abordée dans cette thèse et justifie donc qu’on s’y arrête, d’autant que cette question du « sens », énoncée spontanément à la vue des éléments de base qui constituent le cycle du virus, se renforce encore quand on observe avec plus d’acuité le SBV. Pourquoi cet arbovirus a-t-il conservé la capacité de provoquer ces lésions nerveuses in utero alors que cela semble inutile à son cycle ? Il possède, en effet, un génome réduit au minimum (11kb qui encodent six protéines ; en comparaison, un virus influenza A possède un génome de 14kb encodant 12 protéines (Biquand et Demeret, 2018) et le BTV un génome de 19kb pour 11 protéines (Liao et al., 2018)) ; ce génome subit à chaque passage d’hôte un effet de sélection très important (Forrester et al., 2014) qui limite fortement sa dérive génétique. De plus, le faible nombre de ses protéines (cf. infra) empêche le déploiement d’un jeu de protéines dédié à chacun de ses hôtes. Il apparaît donc très peu probable que ce virus, à la fois sobrement construit et coincé dans le carcan de son cycle à deux hôtes, ait conservé des comportements biologiques aussi marqués que l’atteinte in

utero en dehors de tout avantage sélectif, d’autant que cette atteinte du fœtus est une caractéristique

partagée par un grand nombre de virus proches : les virus Akabane, Aino, Peaton, … Il est donc intéressant, pour qui cherche à comprendre finement la biologie ce virus, de s’interroger sur l’avantage sélectif qui préside à l’apparition de de cette maladie.

Hypothèses

L’avantage sélectif le plus direct auquel on pense suite à une transmission verticale est la capacité du nouveau-né à servir de réservoir pour le virus. Cette hypothèse a été envisagée par Nick

Discussion et perspectives

De Regge, 2017, dans sa réflexion sur le passage de l’hiver des Orthobunyavirus. D’une part, les veaux vivants infectés in utero pourraient présenter des virémies transitoires ou permanentes qui permettraient l’infection de nouvelles générations de culicoïdes. D’autre part, les veaux mort-nés pourraient servir de réservoir pour l’infection des larves de culicoïdes qui se développent dans les tas de fumiers sur lesquels les avortons et veaux mort-nés pourraient échouer. Si cette stratégie était le but principal du passage transplacentaire, on peut se demander l’intérêt d’une concentration du virus au niveau du SNC dont l’accessibilité est considérablement réduite en comparaison des autres organes. De plus, dans le cadre de cette thèse, l’un des objectifs poursuivis était de caractériser la diversité génétique des virus présents dans l’encéphale des veaux atteints. Cette étude a été menée en collaboration avec ma collègue Anne-Sophie Van Laere. Le projet n’a pas encore atteint son terme, raison pour laquelle il ne fait pas partie des études présentées dans cette thèse. Il s’est en effet heurté aux difficultés techniques liées à l’état de conservation des échantillons et à la faible quantité de virus présente chez les veaux en comparaison des agneaux. Des séquences partielles du segment M ont cependant été retrouvées pour sept veaux. Ces séquences révélaient une grande diversité génétique au- delà de la région hypervariable déjà décrite (Coupeau et al., 2013a; Fischer et al., 2013). Ce résultat contraste avec la stabilité du génome du SBV dans le temps (Hofmann et al., 2015; Wernike and Beer, 2017). Il semble donc que, dans le SNC des fœtus de ruminants, le virus libéré de sa contrainte de passage chez l’arthropode vecteur présente une dérive génétique importante. Cette observation a été confirmée par d’autres études (Hulst et al., 2013; Izzo et al., 2016; Wernike et Beer, 2019). Ces mutations n’étant pas observées dans les souches de virus circulantes, il semble donc peu probable que les mutations accumulées pendant les mois de gestation qui suivent l’infection du fœtus soient favorables à la dissémination du virus chez les culicoïdes. Ainsi, les veaux et agneaux nés après une infection in utero seraient porteurs d’un virus mal adapté au passage chez l’arthropode. Ce constat oblige donc à envisager d’autres hypothèses que celle du veau nouveau-né « réservoir » pour répondre à cette question du « sens ».

Quand Gubbins et collègues comparent, en 2014, la dynamique de dispersion du BTV-8 et du SBV, il ressort de manière évidente que la stratégie du SBV consiste en une adaptation très poussée pour son vecteur au détriment (relatif) de son hôte mammifère. Ainsi, mon hypothèse est que le comportement du virus chez les ruminants est la résultante de protéines sélectionnées pour offrir un avantage sélectif important chez le culicoïde, tout en conservant une adaptation aux deux organismes.

On observe chez le mammifère que SBV cible particulièrement le système reproducteur avec une persistance rapportée au niveau des ovaires et du tractus reproducteur de la femelle (Laloy et al., 2015, 2017; Martinelle et al., 2015; Poskin et al., 2014b; Wernike et al., 2013b), et chez le mâle, au niveau des testicules et du sperme (Schulz et al., 2014; Van Der Poel et al., 2014). Le système digestif est également ciblé avec, pendant la phase aiguë de la maladie, de la diarrhée et une excrétion de

Discussion et perspectives

persistance de l’ARN viral dans les ganglions mésentériques. Chez la femelle, ce ciblage du système reproducteur s’accompagne d’un passage transplacentaire avec invasion du SNC du fœtus. Il faut noter que le virus Akabane possède la capacité d’envahir le SNC des adultes (Oem et al., 2014), ce qui tend à montrer que cet organe n’est pas atteint simplement par opportunisme chez les fœtus mais est une cible spécifique de ces virus. Mon hypothèse est donc que l’atteinte du système reproducteur (avec passage transplacentaire), du SNC et de la sphère intestinale s’opère également chez les culicoïdes où elle offre un avantage sélectif et qu’il faut chercher chez le vecteur l’origine des lésions et symptômes observés chez l’hôte.

Bien qu’il n’existe pas dans la littérature la preuve complète pouvant soutenir cette hypothèse, les paragraphes suivants apporteront les éléments permettant de justifier que le virus utilise le même jeu de protéines chez le vertébré et l’invertébré et que l’infection de ces différents systèmes lui apporte des avantages biologiques considérables.