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Discussion et perspectives

Pathogénie

La première étude met en évidence un lien entre l’atteinte musculaire des veaux infectés in

utero et la micromyélie, cette dernière étant liée à une diminution du nombre de neurones moteurs. Ce

lien peut être envisagé dans deux directions suivant que l’on place la lésion primaire au niveau des muscles ou au niveau de la moelle épinière.

Les éléments qui pourraient plaider pour une atteinte primaire des muscles sont essentiellement : (i) le SBV se multiplie dans les muscles des fœtus (Laloy et al., 2017) et (ii) la myosite observée suite au passage transplacentaire du AKAV a été proposée comme l’un des facteurs d’explication de l’arthrogrypose chez les fœtus atteints (Konno et Nakagawa, 1982).

Cependant, l’étude de ces cas naturels de l’infection in utero a convaincu les auteurs de cet article que l’élément déterminant était l’atteinte neuronale. Voici les éléments de discussion qui permettent d’étayer cette hypothèse :

- Les muscles sont un lieu de multiplication massive du virus. Cet élément ne permet cependant pas d’en déduire que cette multiplication virale soit à l’origine de lésions massives. En effet, d’autres organes, tels que le foie et les reins, supportent l’amplification du virus sans présenter de lésions (Laloy et al., 2017). D’ailleurs, Laloy et al., qui investiguent la question de l’atteinte musculaire dans leur infection expérimentale transplacentaire ne mettent en évidence qu’une augmentation du Ki67, ce qui suggère que, si la multiplication du virus n’est pas sans effet sur les cellules musculaires, ses conséquences restent limitées.

- La nature des lésions musculaires, atrophie musculaire avec disparition d’une partie des fibres remplacées par du tissu fibreux et adipeux, est typiquement ce qui s’observe dans les cas d’atrophie de dénervation chronique (Cooper et Valentine, 2016). Cependant, il convient de noter que, à l’instar des autres lésions type « end-stage », il est très difficile, face à une telle atteinte terminale des muscles, de déterminer, sur base des lésions, la cause primaire.

- Les causes pouvant conduire à de l’arthrogrypose peuvent être très nombreuses. Tout ce qui limite le mouvement du fœtus peut induire cette malformation. Six grandes conditions d’apparition peuvent être identifiées : atteinte nerveuse (du cerveau aux nerfs périphériques), atteinte musculaire, atteinte des tissus conjonctifs, manque d’espace dans la matrice, atteinte vasculaire intra-utérine et maladie de la mère (Hall, 1997). On peut noter, que dans les cas très nombreux d’akinésie fœtale rapportés en médecine humaine, l’arthrogrypose est sévère mais aucune atteinte du système nerveux central n’est rapportée

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(Hall, 2009). Il est donc vraisemblable qu’une atteinte primaire des muscles n’aurait pas entraîné une corrélation aussi évidente entre la sévérité de l’atteinte musculaire et la sévérité de l’atteinte de la moelle épinière.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans certains cas, le virus Zika peut engendrer chez le fœtus humain des lésions similaires d’arthrogrypose consécutives à une destruction des motoneurones (Ramalho et al., 2017).

L’atteinte de la moelle épinière est donc un élément central de la pathogénie de l’infection in

utero. Elle est d’ailleurs l’atteinte la plus fréquente dans l’étude de Peperkamp et al., en 2015, portant

sur plus de 300 fœtus de ruminants. Comme souligné dans l’introduction, il est donc étonnant que l’infection expérimentale réalisée en modèle caprin par Laloy et al. ne mette en évidence aucune lésion de la moelle épinière. Pourtant, cette étude est basée sur l’un des protocoles d’infections expérimentales ayant le plus fidèlement reproduit la maladie naturelle chez le fœtus infecté. Il consistait en une infection de chèvres gestantes à 28 et 42 jours de gestation et une euthanasie au 55ème jour. L’une des hypothèses serait donc que l’atteinte de la moelle épinière, ou sa sensibilité à l’infection, serait plus tardive que l’atteinte de l’encéphale. Ce phénomène est décrit de manière assez nette pour le virus Akabane dans l’espèce bovine. La lésion d’arthrogrypose, liée à l’atteinte de la moelle épinière, n’apparaît que pour les infections prenant place après le 105èmejour de gestation. Les lésions induites par des infections qui ont lieu avant cette date se limitent à l’encéphale (Kirkland, 2015).

La formulation d’hypothèses pouvant expliquer ce décalage est limitée par la connaissance assez partielle de plusieurs points clefs. Notamment, le fait que la fenêtre d’infection in utero chez les ruminants coïncide avec la fin de la période embryonnaire (~30 jours chez le mouton, ~60 jours chez les bovins (McGeady, 2017)) est une limite. En effet, si la période embryonnaire est assez bien décrite chez les ruminants, la littérature concernant la période fœtale est beaucoup plus limitée.

Une infection différée de la moelle épinière pourrait s’expliquer par un passage différent du virus à travers la barrière hémato-méningée au niveau de l’encéphale et de la moelle épinière. Or, la barrière hémato-spinale (blood-spinal cord barrier), bien que très proche de la barrière hémato- encéphalique, présente des différences de composition, notamment dans la nature des jonctions serrées (Bartanusz et al., 2011). Ces modifications s’accompagneraient d’un passage plus aisé de plusieurs traceurs utilisés pour étudier l’effet restrictif de la barrière. Le passage de petites molécules n’est cependant que difficilement comparable au passage de virions. Il est donc difficile de déduire de ces rares informations l’effet de cette barrière sur le passage du SBV dans la moelle épinière.

La colonisation de la moelle épinière à partir de l’encéphale par le virus de la Dengue a été étudié en modèle murin (An et al., 2003). Il en ressort que deux voies permettent cette colonisation :

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neurone à neurone par les synapses. Or, les cellules de l’épendyme présentent des caractéristiques de cellules du système phagocytaire et offrent une ligne de défense face aux infections virales (Bleier et

al., 1975). La capacité du SBV à franchir cette barrière reste donc à déterminer. De même, l’hypothèse

d’un passage de neurones à neurones à travers les synapses reste à démontrer dans le cas du SBV. Cependant, cette hypothèse pourrait expliquer un ralentissement de la diffusion du virus dans la moelle. En effet, la synaptogenèse ne débute qu’à la fin du 3ème trimestre chez le fœtus humain pour

atteindre un pic après la naissance (Huttenlocher and Dabholkar, 1997). En transposant ces données chez le veau (avec la limite que le développement du cerveau humain est probablement moins rapide que celui des ruminants qui naissent avec des capacités motrices bien plus importantes (Garwicz et al., 2009)), l’un des éléments qui pourrait expliquer l’atteinte retardée de la moelle pourrait être une densité en synapses trop faible pour permettre une diffusion significative du virus.