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Intérêt et limites de l’utilisation d’insecticides

3 The source-sink model of non-domiciliated vectors of Chagas disease

6.1 Bilan des avancées en terme de contrôle de vecteurs non domiciliés de la maladie de Chagas

6.1.2 Intérêt et limites de l’utilisation d’insecticides

À partir de l’estimation des paramètres démographiques, il a été possible d’évaluer le potentiel de plusieurs moyens de contrôle. L’application d’insecticides joue naturel-lement le rôle de référence, parmi ces moyens de contrôle, en tant que méthode « clas-sique » et seul moyen de contrôle pour lequel des données de terrain étaient disponibles au début de ce travail. Dans le premier article nous avons mis en évidence l’impor-tance de la prise en compte de la dimension temporelle de l’infestation pour effectuer un contrôle efficace dans le cas des populations de T. dimidiata strictement non domici-liées du Yucatan.

Contraintes temporelles sur l’application

À partir des données disponibles pour l’insecticide nous avons pu mesurer de ma-nière indirecte la vie effective de l’insecticide en situation naturelle. Cette demi-vie est juste suffisante pour couvrir efficacement la courte période d’infestation. Cet ajustement rend l’aspect saisonnier capital pour la réussite d’un contrôle chimique an-nuel sur des vecteurs non-domiciliés.

De fait, la saisonnalité de l’infestation semble une caractéristique des populations strictement non domiciliées, que ce soit pour T. dimidiata dans le Yucatan (Guzman-Tapia et al., 2005 ; Dumonteil & Gourbière, 2004 ; Dumonteil et al., 2002), ou au

Gua-(Ceballos et al., 2005 ; Cortez et al., 2007 ; Vazquez-Prokopec et al., 2004, 2006). Cette saisonnalité de l’infestation est liée à la saisonnalité de la dispersion adulte des individus sylvestres, qui a pu être observée à différents degrés au Costa Rica, pour T. dimidiata, pour Panstrongylus geniculatus, (Latreille, 1811) et d’autres espèces sylvestres au Costa Rica (Zeledón et al., 2001b). La saisonnalité de la dispersion peut être lié à la saison-nalité du cycle de développement de ces vecteurs (Dias & Dias, 1968 ; Giojalas et al., 1990 ; Cecere et al., 2003 ; Cortez et al., 2007), voir à la saisonnalité du cycle de vie ou de la dispersion des hôtes (Ruiz-Pina & Cruz-Reyes, 2002 ; Botto-Mahan et al., 2005). Cette saisonnalité peut se traduire par une saisonnalité de l’infection des vecteurs par le parasite (Asin & Giojalas, 1995) et logiquement se traduit par une saisonnalité de la transmission (Benchimol-Barbosa, 2009), rendue manifeste par la saisonnalité des cas aigus en Amazonie par exemple (Aznar & Blanchet, 2008).

Le caractère très répandu de la saisonnalité suggère que l’utilisation d’insecticides soit efficace sur de nombreuses populations non-domiciliées. Cependant, nous avons montré que l’application doit être faite sur une courte période de temps pour être ef-ficace. Il est donc difficile sinon impossible d’assurer le traitement de l’ensemble des villages d’une région comme le Yucatan par des équipes spécialisées en 1 ou 2 mois (Barbu et al., 2009a). Cette difficulté peut être partiellement contournée par la forma-tion des populaforma-tions à la pulvérisaforma-tion, ce qui été testé avec efficacité dans le cadre du contrôle de T. infestans domicilié (Gürtler et al., 2007). Il sera néanmoins nécessaire de multiplier un matériel dont l’achat sera coûteux.

Pour gagner en souplesse d’application et éventuellement passer à une application bisannuelle il serait capital d’allonger la demi-vie des insecticides appliqués. Une pre-mière tentative a été faite dans ce sens, il y a une dizaine d’année, en utilisant des pyréthroïdes micro-encapsulés contre T. brasiliensis et Triatoma pseudomaculata (Cor-rêa & Espínola, 1964) dans le nord-est du Brésil, mais le succès en a été limité les demi-vie étant encore trop courtes1 (Oliveira Filho, 1995, 1997 ; Oliveira Filho et al., 2000). Une formulation plus récente de micro-capsules sous forme de peintures semble atteindre des demi-vies nettement supérieures dans des expérimentations sur T. infestans (Amelotti et al., 2009). Cette dernière formulation permettrait d’espacer les applications au-delà de 2 ans, mais elle représente toujours un coût important, d’autant que les pein-tures sont plus chères et plus longues à appliquer.

Le risque de résistances

Si l’on considère la possibilité d’utiliser un insecticide à long terme, il faut envisa-ger le risque d’apparition de résistances. Des résistances sont déjà apparues chez T. in-festans dans la région du Gran Chaco (1.3.2 p.32) et l’adaptation à l’insecticide peut paraître inéluctable d’un point de vue évolutionniste (Hoy, 1998), je pense cependant

1. Bien que les demi-vies ne soient pas indiquées dans ces articles, il ne semble pas qu’elles excèdent quelques mois au vue des résultats présentés.

tions au moins partiellement domiciliées que les résistances actuelles sont apparues : les T. infestansdu Chaco (voir 1.3.2 p.32), or ces populations, bien que partiellement non domiciliés, sont intimement liées à l’espace domestique. Les populations « sauvages » ne sont probablement que des populations puits et de taille réduite (1.4.2 p.41). Dans un tel cas, l’utilisation d’insecticide, en éliminant les colonies domestiques, exerce une pression de sélection extrêmement forte, sur l’ensemble de la population tout en ména-geant des « refuges » dans l’espace péri-domestique. Cette configuration est donc idéale pour l’apparition de résistances à l’insecticide.

Au contraire, dans le cas de vecteurs strictement non domiciliés, comme dans le Yu-catan, les populations domestiques sont des populations puits. La fertilité dans les mai-sons est même quasiment nulle. L’insecticide à l’intérieur des maimai-sons n’exerce donc presque aucune pression de sélection sur l’ensemble de la population. De plus, en l’ab-sence d’insecticide, l’acquisition de la résistance est généralement coûteuse en terme de fitness1. Dans cette perspective, l’apparition de résistances est très peu probable pour peu que l’application d’insecticide soit strictement domestique.

Les zones péridomestiques étant plus importantes et mieux connectées à l’espace sylvestre elles sont beaucoup plus favorable à l’apparition de résistances et ne devraient par conséquent pas être traitées par l’insecticide lorsqu’elles sont colonisée par des vec-teurs. Cette recommandation, largement contraire à la pratique actuelle s’applique non seulement pour les cas de non-domiciliation stricte mais aussi à l’ensemble des zones où les vecteurs sont à la fois sylvestres et péri-domestiques.

Si l’on s’en tient à ces recommandations, l’argument du risque d’apparition de résis-tances ne peut être retenu pour rejeter l’utilisation d’insecticides en Amérique centrale et du Nord (zone 5), car la colonisation domestique y reste peu fréquente, et donc peu susceptible de former des populations susceptibles d’être sélectionnées pour une résis-tance à l’insecticide (voir 1.4.2 p.42).

Autres coûts dérivés

Au-delà des coûts de traitement et du risque de résistances, il est évident que l’aspect sanitaire et le coût environnemental d’une application massive d’insecticide doivent être étudiés de près : si des insecticides à très longue durée de vie sont appliqués de manière continue dans l’ensemble d’une habitation, l’insecticide pourrait se révéler toxique pour les habitants d’une part et d’autre part être source de pollution pour l’environnement, cette pollution pouvant à son tour être un danger pour les populations humaines.

Du point de vue de l’impact direct de l’insecticide sur la santé des habitants, il y a en-core un manque d’études évaluant la toxicité sur le long terme d’une exposition répétée aux pyréthroïdes. Citons toutefois Ortiz-Pérez et al. (2005) qui ont vérifié qu’il n’y avait pas de génotoxicité sur des enfants exposés de manière répétitive à la deltamethrine.

1. Lire Chevillon et al. (1997) pour une revue du coût de la résistance chez Culex pipiens, l’un des systèmes les mieux étudiés d’apparition de résistances aux insecticides.

l’impact des insecticides serait à priori assez limité si l’on s’en tient à la recommanda-tion donnée plus haut de ne pulvériser que l’intérieur des maisons. D’une part les quan-tité impliquée sont plus faibles que si l’on pulvérise aussi les zones péridomestiques et d’autre part l’entrainement de l’insecticide dans les sols depuis l’intérieur des maisons devrait rester faible faute d’entrainement par les eaux de ruissellement.

Il est encore important de prendre en compte un aspect tout à fait pratique de l’ap-plication d’insecticides : pour traiter efficacement une habitation actuellement, il est in-dispensable de la vider entièrement. C’est une opération lourde pour les familles, qui est sans doute acceptable sur une base exceptionnelle, mais beaucoup moins envisageable sur une base régulière, fût-elle pluriannuelle. Or, la régularité des applications est une condition majeure si l’objectif est l’élimination complète de la population domestique.

Les limitations avérées des insecticides sont donc d’ordre opérationnel. Cela im-plique a minima une refonte importante des stratégies de déploiement qui imim-plique le développement de modes d’application à la fois efficaces et moins contraignants. En tout état de cause et malgré leur efficacité potentielle, les pulvérisations classiques d’in-secticide ne sont pas, aujourd’hui, une méthode soutenable de lutte contre les vecteurs non-domiciliés.