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Intérêt du ciblage des lysosomes en thérapie anti-cancéreuse

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B. La séquestration lysosomale et la LMP dans la thérapie anti-cancéreuse

3. Intérêt du ciblage des lysosomes en thérapie anti-cancéreuse

a. Altération des lysosomes pendant la progression tumorale

Du fait du rôle des lysosomes dans la séquestration des agents-anti-cancéreux et dans la résistance à ces agents, les lysosomes constituent des cibles d’intérêt pour la thérapie anti- cancéreuse. En particulier, l’idée est de pouvoir empêcher la séquestration lysosomale de ces agents anti-cancéreux.

Mais ce n’est pas le seul aspect des lysosomes qui peut être une cible de la thérapie anti- cancéreuse. En effet, de plus en plus d’études suggèrent que les lysosomes subissent de nombreuses altérations au cours du processus de transformation tumoral (altération de volume, de composition, de distribution des lysosomes). Ces changements semblent être importants pour la progression tumorale (en particulier pour l’invasion, l’angiogenèse, ou la résistance aux drogues) (Kallunki et al., 2013). Mais paradoxalement, ces modifications

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semblent sensibiliser les cellules cancéreuses à la perméabilisation de leur membrane (LMP pour Lysosomal Membrane Permeabilization) (Fehrenbacher et al., 2004; Petersen et al., 2013).

b. La LMP et la mort cellulaire lysosomale comme stratégie anti-cancéreuse

i. Induction de la LMP par des agents anti-cancéreux

Dans de nombreuses études, la LMP a été associée à des processus de mort cellulaire (Aits and Jäättelä, 2013; Boya and Kroemer, 2008; Repnik et al., 2014; Wang et al., 2018). Ainsi, du fait de la sensibilité plus grande des cellules transformées à la LMP et du potentiel de la LMP à moduler la mort cellulaire, de nombreuses stratégies thérapeutiques anti-cancéreuses cherchent à sensibiliser les lysosomes à la LMP et à la mort dépendante des lysosomes (LDCD pour Lysosomal Dependent Cell Death) (Appelqvist et al., 2013; Dielschneider et al., 2017; Groth-Pedersen and Jäättelä, 2013; Kirkegaard and Jäättelä, 2009; Piao and Amaravadi, 2016).

Beaucoup d’agents utilisés en chimiothérapie ont été décrits pour induire la mort par LDCD (Groth-Pedersen and Jäättelä, 2013). En particulier, il a été montré que les cellules transformées sont plus sensibles que les cellules non transformées à la mort cellulaire par LDCD (Fehrenbacher et al., 2004, 2008). Parmi ces agents, on peut citer en particulier certains agents inducteurs de dommages à l’ADN tels que le cisplatine, l’étoposide, la doxorubicine ou la camptothécine (Emert-Sedlak et al., 2005; Fehrenbacher et al., 2008; Paquet et al., 2005).

De plus, il a été décrit qu’une association des agents anti-cancéreux avec d’autres inducteurs de LMP (comme par exemple le di-2-pyridylketone thiosemicarbazone, ou l'agent antipaludéen chloroquine) sensibilise des cellules cancéreuses, et en particulier des cellules résistantes à la mort induite par le traitement (Circu et al., 2017; Li et al., 2017a; Seebacher et al., 2016).

La LMP peut également être impliquée dans la mort spécifique des cellules souches cancéreuses qui sont connues pour être résistantes aux traitements anti-cancéreux et être la source des rechutes chez les patients (Mai et al., 2017).

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L’induction de la mort par LMP semble aussi être un moyen efficace pour cibler des cellules déficientes pour p53. En effet, un criblage de molécules anti-cancéreuses a montré que la majorité des composés qui sont capables d’induire une mort indépendante de p53 conduisent à la mort par LDCD (Erdal et al., 2005).

ii. Intérêt de la composition en lipide de la membrane lysosomale

Au vu des propriétés intéressantes de la mort cellulaire par LDCD pour le ciblage de cancer résistants aux chimiothérapies et de façon indépendante de p53, la recherche des mécanismes responsables de la LMP et de leur application dans la thérapie anti-cancéreuse se multiplie de façon considérable.

La LMP est caractérisée par n’importe quel dommage de la membrane lysosomale qui conduit au relargage du contenu lysosomal dans le cytoplasme. Elle peut avoir de nombreuses origines telles qu’une production importante de ROS qui déstabilisent la membrane lysosomale, une modification de la composition de la membrane lysosomale en lipides, la déstabilisation de la structure de la membrane lysosomale par l’action de détergents lysomotropiques, et bien d’autres (Figure 13A) (Aits and Jäättelä, 2013).

Parmi ces différentes causes de la LMP, la composition en lipides de la membrane lysosomale semble jouer un rôle important. En effet, un niveau élevé de lipides de type acide arachidonique (Windelborn and Lipton, 2008; Zhang et al., 2006), sphingomyéline (Heinrich et al., 2004; Ullio et al., 2012), ou encore l’absence de cholestérol (Appelqvist et al., 2011; Hao et al., 2008) peuvent contribuer à une déstabilisation de la membrane lysosomale, induisant ainsi la mort cellulaire à la suite de la LMP.

Parmi ces lipides, la sphingomyéline a été beaucoup étudiée dans le contexte de la recherche de la thérapie anti-cancéreuse. En effet, il a été montré que l’utilisation d’agents cationiques amphiphiles (tel que la simarésine), grâce à leur propriété inhibitrice de l’enzyme ASM (acid sphingomyelinase) qui catalyse la dégradation de la sphingomyéline, favorise la mort cellulaire par LDCD des cellules transformées (Petersen et al., 2013). Dans cette étude, ils ont également montré qu’une surexpression de la protéine Hsp70 protège de la LMP et de la mort induite par ces agents. En effet, il avait déjà été décrit que la protéine

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Hsp70 est responsable du recrutement de l’enzyme ASM au niveau de la membrane lysosomale, favorise son activité et favorise ainsi la stabilité de la membrane lysosomale (Kirkegaard et al., 2010).

iii. Un rôle de BAX dans la LMP

Dans certains contextes, il a été montré que la translocation de BAX et BAK au niveau des lysosomes peut conduire à la LMP et la mort cellulaire (Bové et al., 2014; Kågedal et al., 2005). Cependant, cet évènement ne semble pas être universel puisque la translocation de BAX au niveau des lysosomes n’est pas observée dans d’autres contextes d’induction de la LMP (Oberle et al., 2010).

Cette translocation serait dépendante du recrutement de BAX par DRAM1 sur la membrane lysosomale (DRAM1 étant une protéine dont l’expression est induite par p53 et qui est intégrée dans la membrane lysosomale) (Guan et al., 2015). Ces résultats suggèrent donc que comme au niveau de la mitochondrie, BAX pourrait jouer un rôle dans la perméabilisation de la membrane des lysosomes.

c. Implication de la LMP dans les mécanismes de la mort régulée

i. Les cathepsines au service de la mort par LMP

Parmi les nombreuses enzymes de dégradation lysosomale, il semblerait que les effecteurs principaux de la mort par LDCD soient les protéases lysosomales, en particulier la cathepsine D (protéase aspartique) et les cathepsines B ou L (protéases à cystéine). En effet, il a été décrit qu’une microinjection de cathepsine B ou D est capable d’induire la mort cellulaire par apoptose (Bivik et al., 2006; Roberg et al., 2002). De plus l’inhibition de ces cathepsines (D, B ou L) a également été décrite pour inhiber la mort cellulaire par LDCD (Caruso et al., 2006; Droga-Mazovec et al., 2008; Oberle et al., 2010).

Selon le contexte, les cathepsines libérées par LMP peuvent induire différents types de mort cellulaires régulées.

ii. La LMP dans l’apoptose

La LMP a été décrite pour être induite en réponse à de nombreux stimuli apoptotiques. Dans de nombreux contextes, la LMP serait plutôt en amont de l’induction de la MOMP, du

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relargage du cytochrome C et de l’activation des caspases. En particulier, il a été décrit que les cathepsines peuvent contribuer au clivage de BID, à l’activation directe de BAX et BAK, ou à l’inactivation de BCL-2 et de l’inhibiteur d’apoptose XIAP (Boya et al., 2003; Droga- Mazovec et al., 2008; Heinrich et al., 2004; Taniguchi et al., 2015).

Mais dans de nombreux autres contextes, la LMP serait plutôt une conséquence de la MOMP et de l’activation des caspases (Huai et al., 2013; Oberle et al., 2010; Paquet et al., 2005). Dans les deux cas, la LMP induite agit de concert avec les mécanismes de l’apoptose pour accélérer la mort cellulaire.

iii. La LMP dans d’autres types de mort cellulaire régulée

Des études ont également mis en évidence que l’induction de la LMP peut conduire à la mort cellulaire indépendante de l’activation des caspases.

D’une part, il a été mis en évidence que la cathepsine B est capable d’induire la condensation de la chromatine, l’externalisation de la phosphatidylsérine, ainsi que la fragmentation cytoplasmique (Foghsgaard et al., 2001). Ces propriétés de la cathepsine B conduisent à une mort cellulaire par LMP qui est indépendante des caspases, mais tout de même avec un phénotype apoptotique (Bröker et al., 2004; Michallet et al., 2004; Nylandsted et al., 2004).

D’autre part, il a également été mis en évidence que la localisation de BAX et BAK au niveau du lysosome contribue à l’induction de la LMP, et que cette LMP constitue une étape importante dans la mort cellulaire autophagique (Karch et al., 2017).

La LMP peut aussi être impliquée dans un processus de mort par ferroptose. La ferroptose est un processus de mort régulé, de type nécrotique, lié à une accumulation de fer et une production de ROS dans les cellules, qui conduit à une importante peroxydation des lipides (Dixon et al., 2012). La production de ROS en présence de l’ion ferreux (Fe2+) résulte de la réaction de Fenton. Cette réaction catalyse la production d’un radical hydroxyle (HO•, une espèce de ROS très réactive et causant de nombreux dommages), à partir de peroxyde

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d’hydrogène (H2O2, une espèce réactive mais moins dangereuse) en présence de de l’ion

Ferreux selon la réaction : Fe2+(aq) + H2O2 → Fe3+(aq) + OH−(aq) + HO• .

Or, en participant à la dégradation de nombreuses macro-molécules contenant du Fer, les lysosomes se retrouvent enrichis en Fer. De plus, les lysosomes ne sont pas dotés d’enzymes antioxydantes et sont donc très sensibles au stress oxydant (Kurz et al., 2008). C’est ainsi que la salinomycine, en induisant une accumulation de fer dans les lysosomes des cellules souches cancéreuses, conduit à une production de ROS importante dans ces lysosomes. La production des ROS lysosomaux conduit ensuite à la LMP et participe au processus de mort cellulaire sélectif des cellules souches cancéreuses (Mai et al., 2017).

d. Choix de la survie ou de la mort en réponse à la LMP

La mort cellulaire par LDCD est la conséquence du déversement des enzymes lysosomales dans le cytoplasme suite à la LMP. Le choix de la survie ou de la mort à la suite de la LMP dépend des capacités de protection vis-à-vis de l’induction de la LMP, du niveau de dommages de la membrane lysosomale, et de l’état des interactions avec les voies de la mort cellulaire (Wang et al., 2018).

Les mécanismes de protection vis-à-vis de la LMP incluent d’une part la composition lipidique de la membrane lysosomale comme nous l’avons présenté précédemment, et d’autre part la capacité à réparer ou éliminer les lysosomes endommagés.

La réparation des lysosomes endommagés fait intervenir la machinerie ESCRT, et se déroule uniquement lorsque de petites perforations de la membrane lysosomale sont détectées. La réparation permet alors la réacidification des lysosomes et le maintien de lysosomes fonctionnels (Figure 13B) (Skowyra et al., 2018).

En revanche, lorsque les perforations des lysosomes atteignent une plus grande ampleur, c’est le système d’élimination des lysosomes qui est privilégié (Figure 13C). Le système senseur de la rupture de la membrane lysosomale est constitué par les Galectines 1 et 3 (Aits et al., 2015). Ces protéines appartiennent à un groupe de protéines qui présentent une affinité de liaison pour les β-galactosides. Or, la membrane des lysosomes contient des lipides ou protéines glycoconjugés à des β-galactosides qui sont exposés du coté luminal des

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lysosomes, et qui deviennent alors accessibles aux galectines à la suite d’une LMP plus importante (de façon dépendante de la taille du pore à la membrane lysosomale). A ce titre, la formation de puncta de Galectines 1 ou 3 au niveau de la membrane lysosomale sert d’indicateur de la LMP.

Ce système senseur des dommages de la membrane lysosomale est ensuite capable d’activer un des processus d’élimination des lysosomes endommagés. En effet, la Galectine 3 servirait à recruter la machinerie autophagique au niveau des lysosomes endommagés afin de faciliter leur dégradation (connu sous le terme de lysophagie) (Chauhan et al., 2016; Maejima et al., 2013).

Au sein d’une même cellule, les lysosomes répondent de façon plutôt hétérogène aux stress lysosomaux. Ainsi, la réponse cellulaire aux agents inducteurs de la LMP peut varier selon l’ampleur de la LMP, à savoir le nombre de lysosomes touchés et le nombre de pores formés dans chaque lysosome. Il est alors admis que les dommages de quelques lysosomes peut facilement être contenue par les mécanismes de réparation et favoriser la survie cellulaire (Wang et al., 2018).

En revanche, un niveau de LMP plus important peut conduire à deux types de mort cellulaires (Figure 13D). Une rupture massive de la membrane lysosomale est associée au relargage du contenu total des lysosomes qui conduit à une cascade d’hydrolyse des constituants cytoplasmiques, à une acidification généralisée du cytoplasme entraînant une mort incontrôlée de type nécrotique. En revanche, une LMP partielle peut conduire à une mort cellulaire régulée médiée par le relargage d’enzymes lysosomales spécifiques dans le cytoplasme (Bidère et al., 2003; Boya et al., 2003; Bröker et al., 2004). Ces enzymes pourront alors interagir avec les différents systèmes de mort cellulaire afin d’orienter la cellule vers un certain type de mort cellulaire.

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Figure 13: Causes et conséquences de la perméabilisation de la membrane lysosomale

Plusieurs évènements peuvent causer des dommages à la membrane lysosomale (A). Selon l’ampleur de la rupture, la réponse est différente : il y aura réparation de petites ruptures par la machinerie ESCRT (B) ; élimination des lysosomes endommagés par lysophagie et leur renouvellement via l’activation de TFEB lorsque la rupture est de taille intermédiaire (C) ; ou alors induction de la mort cellulaire par apoptose, nécrose ou d’autres types de mort cellulaire programmée indépendante des caspases lorsque la rupture est importante (D) (adapté de Aits and Jäättelä, 2013 ; Skowyra et al., 2018 ; Wang et al., 2018).

C. L’autophagie en réponse à des dommages à l’ADN

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