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Intégrer la narration transfictionnelle

CHAPITRE V Discussion

5.3 La transfictionnalité au service de la co-création

5.3.1 Intégrer la narration transfictionnelle

Les univers transmédiatiques doivent créer un ensemble cohérent pour que le public soit en mesure d’identifier les liens entre leurs productions. L’idée de cohérence est au cœur de la narration transfictionnelle. Après avoir rappelé la définition de Saint-Gelais (2011), nous verrons quelle est la place des fan fictions étudiées face à cette narration transfictionnelle. La transfictionnalité s’inspire de la notion de transtextualité de Gennette (1992). Il s’agit de « tout ce qui met le texte en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes » (ibid, p. 7). La transfictionnalité reprend cette idée que les textes entretiennent des relations entre eux. Cependant, Saint-Gelais (2011) se concentre plus sur la continuité narrative présente entre deux ou plusieurs textes. En effet, selon lui, la transfictionnalité se définit de la manière suivante :

[Un] phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d' une intrigue préalable ou partage d'univers fictionnel (ibid, p. 7).

On peut voir ici les premières caractéristiques de cette pratique narrative. Selon lui la transfictionnalité se base non pas sur l’imitation d’éléments d’une production dans une autre comme dans certaines formes de transtextualités, mais sur le partage d’éléments fictifs entre plusieurs textes.

L’auteur précise deux critères dans le but de reconnaître et de délimiter les contours de cette pratique. Le premier repose sur la notion d’identité ou plus précisément la prétention à l’identité (ibid, p. 22). La transfictionnalité se met en place lorsque des éléments fictifs sont repris dans un ou plusieurs textes. Il ne s’agit pas seulement de la mention d’un lieu, d’un univers ou d’un personnage, mais de la reprise de ces éléments. Il illustre clairement son propos avec l’exemple de Sherlock Holmes. Un texte dans

lequel « Holmes figure et agit comme personnage » (Saint-Gelais, 2002) participe à l’ensemble transfictionnel du détective privé britannique. Ainsi, le personnage est l’élément fictif qui crée le lien transfictionnel. Dans ce cas, le personnage reprend ses caractéristiques tant physiques que psychologiques et prend vie dans l’histoire. Le deuxième est celui de la traversée (ibid, p. 24). Ce terme représente les limites que des textes doivent traverser pour venir se greffer à l’ensemble transfictionnel. Un texte par essence est composé de frontières telles que celles du texte lui-même, de son récit ou de son auteur. En reprenant le cas de Sherlock Holmes, pour faire partie de son ensemble transfictionnel, un texte va devoir franchir une ou plusieurs de ces frontières dans le but de créer un lien.

Comme nous pouvons le voir, l’auteur ne définit pas clairement une typologie des textes qui font partie d’ensemble transfictionnel. Il cherche à instaurer les bases de cette pratique tout en laissant place à la discussion et à l’ouverture face à un contexte médiatique en perpétuelle évolution. Toutefois, on reconnaît dans cette définition certaines caractéristiques des univers transmédiatiques. Les productions qui les composent de partagent des lieux, des personnages ou des entités. Ainsi, on retrouve ici une des composantes principales de la définition du transmedia storytelling selon Evans (2011) : la notion de monde ou d’univers sur lequel l’ensemble des productions doivent s’attacher.

En se basant sur cette définition et nos résultats, on peut voir qu’Harry Potter utilise la transfictionnalité pour joindre ses différentes productions entre elles. Le monde magique est l’élément narratif qui relie les productions et dans lequel les histoires prennent vie. Il y a également d’autres éléments fictifs qui jouent ce rôle. Par exemple, le personnage d’Harry Potter relie la saga de romans dans lequel il est le personnage principal à la pièce de théâtre Harry Potter et l’enfant maudit (2016) dans laquelle il a vieilli et où on suit les aventures de son fils. De plus, Les animaux fantastiques se connectent à la série de romans par le biais du personnage d’Albus Dumbledore. On le

voit à l’écran comme professeur avant qu’il devienne directeur de Poudlard à l’écrit. De fait, on peut dire que cet univers répond aux critères de la transfictionnalité.

Cependant, les fan fictions peuvent elles être considérées comme des textes appartenant à cet univers transfictionnel ? Comme énoncé par Saint-Gelais dans son ouvrage (2011), les fan fictions soulèvent des questions quant à leur place au sein des ensembles transfictionnels. Ces productions de fans remettent en question l’autorité de l’autrice ou de l’auteur, voire même la notion de canon. Selon le chercheur, le canon serait même une création des fans puisque « ce sont eux, bien davantage que les producteurs aux yeux de qui ce canon n’est en somme qu’un outil de travail, qui se préoccupent vraiment de ce qu’il inclut ou non » (ibid, p. 424). Le canon s’articule donc avec le fanon et les fan fictions. Tout en acceptant les fan fictions dans les pratiques transfictionnelles, Saint-Gelais précise les « responsables du canon » ne réagissent pas toutes et tous de la même manière face aux pratiques des fans.

Par conséquent, nous considérons que les fan fictions qui font partie de notre corpus participent ou souhaitent participer à la transfictionnalité de l’univers d’Harry Potter. Elles répondent aux critères d’une production appartenant à un ensemble transfictionnel. Elles ont déployé les efforts pour créer des histoires cohérentes et les ancrer dans l’univers. En effet, ce sont deux courts-métrages qui utilisent la recontextualisation en évoquant le passé d’un personnage et en remplissant les espaces blancs laissés sur sa jeunesse. De fait, Jedusor est l’élément fictif qui vient lier les deux fan fictions à l’univers, en le faisant vivre et agir dans leurs courts-métrages. Selon la définition de Saint-Gelais, elles se qualifient donc comme des productions participant à l’ensemble transfictionnel. Pour autant, participent-elles réellement à la co-création de l’univers ?