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Les fan fictions : productions remplissant des espaces blancs

CHAPITRE V Discussion

5.1 Le canon et ses espaces blancs

5.1.3 Les fan fictions : productions remplissant des espaces blancs

La théorie de la lectrice ou du lecteur modèle nous a permis de discuter des mécanismes derrière la conception d’une séquence commune aux deux productions de notre corpus. Cette théorie explique que leurs similitudes résultent de la construction de l’œuvre originale, et par extension de sa réception par les créatrices et créateurs. À l’instar de l’étude de cette séquence, ce mécanisme se retrouve dans la construction narrative globale des deux courts-métrages.

Le concept d’espace blanc permet de comprendre le choix du sujet des fan fictions étudiées. En effet, le corpus se compose de deux productions dont le thème principal se concentre sur le passé de Tom Jedusor. Dans les deux cas, les fans souhaitaient explorer cette partie de la vie du personnage qu’elles ou ils considéraient inexpliquée ou inexploitée. D’une part, l’équipe du Maitre de la Mort se questionnait sur le processus de création des sept Horcruxes. De l’autre, avec Voldemort : Origins of the Heir, l’équipe voulait traiter de la transformation de Jedusor en Voldemort. Malgré une approche différente, les intentions des deux groupes de fans se rapprochent. Une frustration les a poussés à produire ce contenu dans le but de combler le vide narratif de la jeunesse du vilain dans le canon.

Ainsi, il est intéressant de prendre du recul et de considérer le personnage de Jedusor et sa présence dans l’ensemble de la saga Harry Potter. Tom Jedusor est le personnage antagoniste de la série. Son combat face à Harry Potter correspond à l’arc narratif principal des 7 romans et 8 films qui composent l’œuvre principale de l’univers. Tout au long des productions on peut suivre ses actions et son cheminement jusqu’à la bataille de Poudlard35. Néanmoins, les informations concernant son passé sont clairsemées et dispersées dans les différents tomes. Elles relatent des moments ou événements qui ont pu marquer son ascension en tant que Voldemort et qui permettent de préparer les protagonistes à leur affrontement final. Cependant, comme l’histoire ne se focalise pas sur ce personnage, le récit de ses origines ressemble à un puzzle dont il manque des pièces.

La construction du personnage de Jedusor reprend ainsi les principes du concept d’espace blanc. Le public, comme Harry Potter, recueille au fur et à mesure des informations (ou des pièces) sur son passé. Hormis ces moments que le public découvre, le reste de la vie de Jedusor est une suite d’espaces blancs. On peut expliquer la présence de ces espaces blancs de plusieurs manières. D’une part, ces vides permettent de ne pas surcharger le texte de passages qui ne concernent pas le protagoniste principal, ce qui répond au principe dialectique du concept. De l’autre, ces interstices laissent le public s’imaginer les événements ou actions qui ont pu mener le personnage de Jedusor à devenir Voldemort. Enfin, ces espaces blancs peuvent également être non intentionnels, tels des angles morts du récit que l’autrice n’aurait pas vus. Quelles que soient les raisons de la présence de ces espaces blancs, il s’agit de

35 Bataille finale entre les forces de Voldemort et Harry Potter et ses alliés dans la nuit de 1er au 2 mai 1998 à Poudlard. Il s’agit de la résolution d’Harry Potter et les Reliques de la mort (2007), et par extension de la saga Harry Potter.

béances narratives dans lesquels les lectrices et lecteurs viennent se plonger et qui peuvent susciter leur créativité.

Toutefois, dès lors qu’une fan fiction entreprend explorer les origines de l’antagoniste de la saga, elle s’apprête à jouer avec ce puzzle incomplet qu’est la vie de ce personnage. Comme nous l’avons montré précédemment, il s’agissait de l’objectif des deux productions étudiées. Par le choix du sujet de leur court-métrage, les équipes de création laissent donc place à leur interprétation du passé de Jedusor, plus au moins inspirées du canon. En effet, certaines scènes sont basées sur des événements mentionnés dans le canon (notamment les scènes de type 3 et 4) tandis que d’autres remplissent les espaces blancs en inventant des moments de la vie de Jedusor (présent pour les scènes de type 2, et particulièrement du type 1). Quel que soit le degré d’invention, le thème des productions nous indique que les fans ont voulu s’emparer de ces espaces blancs et les remplir à leur manière.

En apportant ces nouveaux éléments narratifs, on peut considérer que les fan fictions créent du sens aux espaces blancs et contribuent à l’univers. Néanmoins comme nous l’avons vu dans le cas de la scène « Meurtre d’Hepzibah Smith », ces interprétations peuvent être guidées par la manière dont l’autrice a créé les espaces blancs. Dans le cas du passé de Jedusor, nous avons vu que des bribes de son passé sont dispersées tout au long de la saga Harry Potter. Le reste de sa vie est une suite d’espaces blancs que le lectorat tente de combler grâce aux souvenirs récoltés par Dumbledore et Potter. Pour créer la narration des deux productions, on peut donc en déduire que les fans se sont fortement basés sur les informations récoltées dans le canon. Ces informations jointes à leurs connaissances de l’univers en général rendent donc le nombre d’interprétations possibles limitées, expliquant ainsi que l’on retrouve des séquences semblables dans les deux productions.

L’espace blanc s’est immiscé au cœur du processus créatif des productions de notre corpus. On le remarque dans le choix du style narratif des fan fictions. En effet, selon la catégorisation présentée par Jenkins (1992), le style principal des courts-métrages correspond à la recontextualisation. Il s’agit d’« histoires courtes qui remplissent les blancs ou béances sémantiques entre les productions ou apportent des explications sur des détails ». On remarque qu’on peut associer les productions à des styles complémentaires : l’extension de la chronologie qui explore « le passé et le futur des personnages » ou la refocalisation qui se concentre « sur des personnages non principaux ». Par définition ces styles permettent d’ajouter du sens au canon en remplissant des espaces blancs.