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Harry Potter : un univers co-créé ?

CHAPITRE V Discussion

5.3 La transfictionnalité au service de la co-création

5.3.2 Harry Potter : un univers co-créé ?

La co-creation est le concept central autour duquel s’articule la question de recherche de ce mémoire. Pour rappel, notre question est la suivante : en quoi les fan fiction participent-elles à la co-création des univers transmédiatiques ? L’analyse et les concepts mobilisés jusqu’à présent ont pour objectif de nous amener à répondre à cette question. Dans les deux prochaines sous-sections, nous allons nous pencher davantage sur la notion de co-création et sur la manière dont elle se présente pour notre étude de cas.

Comme nous l’avons vu dans le Chapitre 2, cette notion issue du marketing pour s’étendre vers d’autres champs de recherche. Ici, nous nous concentrons sur la dimension plus sociale et significative de la notion. Pour cela, nous mobilisons la co- création telle que définie par Lanier et Jensen Schau dans un ouvrage intitulé Consumer Culture Theory (2007). Pour mieux comprendre ce concept, il faut revenir sur le terme dont il tire son origine : la co-production. Ce dernier correspond à un processus utilisé lors de la conception d’un produit. Lorsqu’une personne ou une entreprise a recours à la co-production, elle fait intervenir les potentiels consommatrices et consommateurs à lors de l’étape de conception. Ces derniers participent à la création de la valeur du produit, mais l’entreprise productrice détient toujours le « contrôle de la forme et de la signification du produit » (ibid, p. 326 [Notre traduction]). Il s’agit plus d’une personnalisation des produits dans le but de mieux répondre aux besoins de ses consommatrices et consommateurs. Parmi des exemples de co-production, on peut citer la personnalisation d’ordinateurs ou la construction sur mesure de certaines automobiles (Oracle, 2004 cité dans Etgar, 2008).

La co-création se démarque de la co-production sur le contrôle des productrices et producteurs sur la signification de leur produit. En effet, Lanier et Jensen Schau (2007) définissent la co-création de la manière suivante :

[It] is the process in which consumer take a product that has been produced by others and extend, modify, and/or alter its form, meaning, and/or uses in ways not forseen or prescribed by its producers (ibid, p. 327)

Pour que ce processus ait lieu, les productions et les personnes qui les créent doivent respecter trois critères. Premièrement, le ou les textes doivent posséder une richesse symbolique grâce aux personnages, lieux et éléments qui permettent de développer une narration complexe. Ensuite, un texte ne peut pas aborder l’ensemble des éléments narratifs qui participent à sa richesse symbolique. Le deuxième critère réside alors dans les limitations du texte canon. Enfin, le dernier et le plus important aspect d’entre tous : la possibilité de s’approprier et de modifier le sens du texte. En effet, cette possibilité réside à la fois dans les limitations du texte, mais aussi dans le degré de contrôle que les productrices et producteurs détiennent sur le texte et son appropriation. C’est sur ce dernier critère principal que repose le potentiel co-créatif d’un texte.

Lanier et Jensen Schau accordent une importance de taille aux fans dans le processus de co-création. Ils utilisent les fan fictions pour démontrer que l’engagement est un élément clé de ce processus. Dans le cas de la co-création, les fans et leurs diverses pratiques sont des signes éloquents qu’il existe une réappropriation et donc a priori une co-création de la production en question.

Pour souligner leur définition de la co-création, Lanier et Jensen Schau utilisent Harry Potter et ses fans. En effet, cet univers regroupe les critères qui permettent le développement du processus de co-création. Tout d’abord, grâce aux différentes productions qui composent, le monde magique se caractérise par sa richesse symbolique. En effet, les histoires qui sont proposées au public permettent de découvrir plusieurs périodes historiques (des années 1920 aux années 2010), des personnages, des lieux ou encore des créatures magiques. Des histoires complétées par des nouvelles de l’autrice publiées sur le site Pottermore.com qui viennent décrire et expliquer des éléments fictifs qui font partie de l’univers afin de mieux comprendre la monde des

sorcières et sorciers. Une richesse narrative qui vient créer un univers vivant et complexe que le public peut explorer au fil des productions. Cependant, malgré le nombre de productions canon, il est difficile d’en explorer les moindres détails de l’univers. Comme nous l’avons vu avec les concepts d’Eco, l’autrice a dû faire des choix narratifs ou omettre certains détails qui laissent des espaces blancs que le public doit remplir. Ainsi, on peut dire qu’Harry Potter comprend des limitations favorisant le processus de co-création. Enfin, pour remplir tous les critères de la co-création, l’univers doit aussi être propice à la réappropriation. Considérant la communauté de fans et le nombre important de fan fictions qui entourent l’univers, on peut en déduire que le public détient ou s’est offert des possibilités de réappropriation de l’univers.

Les fan fictions représentent donc la capacité des fans à se réapproprier et à modifier les significations d’un univers. La définition de la co-création inclut tous les styles narratifs de la fan fiction, y compris celles qui transforment et modifient le canon. Il est donc facile d’imaginer que les fan fictions de notre corpus participent à un certain processus de co-création. En effet, elles abordent un thème qui vient complémenter et apporter de nouveaux éléments fictifs par rapport au passé de Voldemort. De fait, elles se réapproprient le contenu narratif présent dans la saga de romans et ses adaptations cinématographiques et produisent du sens. De plus dans le contenu paratextuel, nous avons pu voir que les équipes de création présentaient des intentions claires. Elles souhaitaient explorer des morceaux du canon laissés de côté dans les films ou explorer des éléments narratifs mentionnés dans l’univers. Le tout dans le but d’apporter des informations complémentaires à l’arc narratif de Voldemort. Selon ces facteurs, on peut ainsi dire que les fan fictions de notre corpus participent a priori à la co-création de l’univers. Cependant, comme nous allons le voir ce concept présente également des limites.

5.3.3 Le paradoxe de la co-création : entre possibilités et limites