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B.   L’appréciation des critères légaux

1)   Intégration

La notion d’intégration peut être comprise comme un droit-devoir : l’art. 2 OIE souligne que l’intégration est une notion pluridisciplinaire que les autorités doivent s’efforcer de mettre en œuvre afin d’établir l’égalité des chances entre Suisses et étrangers. L’art. 3 OIE, de son côté, indique que l’intégration est un devoir de la personne migrante, qui sera prise en compte de manière déterminante par les autorités dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation42. La tendance actuelle semble aller dans le sens d’un clair renforcement de l’intégration comme devoir43.

En effet, le critère de l’intégration tend à prendre de l’importance dans le domaine du droit des étrangers et de la nationalité : il apparaît en effet de plus en plus comme une exigence centrale, codifiée formellement dans les textes de loi44.

Or le fait que l’évaluation du niveau d’intégration d’une personne migrante soit de la compétence d’une autorité fédérale, alors que l’intégration comme tâche de l’Etat relève

40 Art. 46 al. 3 Cst.

41 Entre le 1er janvier 2015 et mi-mai 2016, seuls trois recours ont été admis, sur les 22 ayant été portés devant le TAF (cf Annexe II).

42 Voir aussi l’art. 4 al. 3 LEtr.

43 Voir en ce sens la révision de la LEtr (Intégration 13.030) et la nouvelle teneur des art. 11 let. a et 12 LN (FF 2010 1234).

44 FACHINETTI,pp. 69 ss.

principalement de la compétence des cantons45, soulève des questions d’égalité des chances.

En effet, l’on peut se demander s’il est équitable d’exiger un niveau d’intégration équivalent de deux personnes auxquelles des possibilités d’intégration différentes sont offertes46.

De manière générale, l’intégration comme devoir se manifeste par le respect de l’ordre juridique suisse et des valeurs de la Constitution, l’apprentissage de la langue nationale parlée sur le lieu de domicile, la connaissance du mode de vie suisse, et la volonté de participer à la vie économique et d’acquérir une formation47. En d’autres termes, le critère d’intégration fait référence à l’ancrage socio-professionnel en Suisse48.

Les exigences relatives au degré d’intégration varient selon le type d’autorisation, dans une sorte de gradation proportionnelle entre le niveau d’intégration et la stabilité du statut de séjour : alors que l’intégration n’a aucune influence pour l’octroi d’une admission provisoire, un niveau d’intégration élevé sera attendu pour la délivrance d’une autorisation d’établissement49, et une intégration maximale sera requise d’un candidat à la naturalisation50. Dans le cas de l’octroi d’un permis de séjour pour cas individuel d’une extrême gravité, les exigences en matière d’intégration sont particulièrement élevées : l’intégration doit revêtir un caractère exceptionnel51.

Sous l’angle professionnel, le TAF exige que la personne ait « acquis en Suisse des connaissances ou des qualifications si spécifiques que seule la poursuite de son séjour en ce pays pourrait lui permettre de mettre en œuvre »52. Les exigences liées à ce critère sont si élevées que le caractère exceptionnel de l’intégration professionnelle a par exemple été nié, dans le cas d’une personne ayant obtenu un diplôme bilingue d’assistante de direction et travaillant auprès du CICR au bénéfice d’un contrat à durée indéterminée53.

PETRY relève que cette exigence ne tient pas compte des contraintes liées à un séjour en situation irrégulière, qui restreignent passablement les possibilités de formation et d’ascension professionnelle. En effet, la majorité des sans-papiers travaille dans l’économie domestique

50 HUDDLESTON/NIESSEN, p. 51 : selon une étude menée sur le plan européen, la loi sur la nationalité suisse est l’une des plus exigeantes d’Europe.

51 TAF C-6255/2013, consid. 5.2.4.

52 TAF C-516/2013, consid. 6.2.3.

53 TAF C-541/2015, consid. 7.2.

ou dans le domaine de la construction ou de la restauration54, domaines mal reconnus en termes d’ascension et de qualifications professionnelles.

A ce titre, la prise en compte des réalités et enjeux du marché parallèle du travail, ainsi que leurs conséquences sur la vie des travailleurs clandestins dans l’évaluation d’un cas individuel d’une extrême gravité ont été invoqués devant le TF. Ce dernier a rejeté ce grief, considérant que « [l]e marché illégal du travail, que l’intéressé compare à une forme « d’esclavage moderne », existe et subsiste uniquement parce qu’il permet la rencontre d’une certaine offre et d’une certaine demande, souvent du reste au détriment de la rationalisation de certains secteurs économiques » 55. Ainsi, le TF a clairement rappelé qu’il ne cautionnait pas le travail illégal, et n’entendait pas s’écarter d’une appréciation objective de l’intégration professionnelle exceptionnelle.

En sus de l’intégration professionnelle, l’intégration sociale doit également atteindre un niveau élevé: « […] les relations d’amitié ou de voisinage, de même que les relations de travail que l’étranger a nouées durant son séjour sur le territoire helvétique, si elles sont certes prises en considération, ne sauraient constituer des éléments déterminants pour la reconnaissance d’une situation d’extrême gravité »56.

L’investissement dans la vie associative et culturelle, notamment la fréquentation de sociétés locales, représente un indice permettant de considérer que l’intégration sociale de la personne est particulièrement poussée57. Dans un arrêt de 2015, le TAF a reconnu l’intégration sociale exceptionnelle d’une personne investie dans plusieurs associations en qualité de bénévole (chorale d’une église, préparation de repas pour des personnes défavorisées, etc.)58. Notons toutefois que la requérante avait vécu à Genève pendant 8 ans, dans un milieu international relativement aisé, lui laissant ainsi le loisir de participer à ce genre d’activités.

Toutefois, les contraintes liées au séjour irrégulier ne laissent souvent pas aux personnes le temps, l’énergie, ou les moyens financiers pour s’adonner à des activités de loisir : Ainsi, exiger d’elles qu’elles participent à des activités associatives ou bénévoles représente souvent un obstacle insurmontable. De plus, si les relations d’amitié, de voisinage et de travail ne permettent pas de retenir une intégration sociale élevée, on a du mal à imaginer quel type de relation amènerait le TAF à admettre l’existence d’une intégration sociale réussie.

54 MORLOCK /OSWALD /MEIER/EFIONAYI-MÄDER/RUEDIN/BADER /WANNER, p. 42.

55 ATF 130 II 39, consid. 5.1.

56 TAF C-516/2013, consid. 6.2.2.

57 TAF C-541/2015, consid. 7.3.

58 TAF C-541/2015, consid. 7.3.

Finalement, le niveau de langue est également un indice de bonne intégration. Les Directives LEtr indiquent que la personne doit pouvoir comprendre et utiliser des expressions familières et quotidiennes ainsi que des énoncés très simples qui visent à satisfaire des besoins concrets.

Elle doit pouvoir se présenter et communiquer de façon simple si son interlocuteur parle lentement, distinctement et se montre coopératif. Le niveau A1 du Cadre européen commun de référence pour les langues constitue le niveau minimal. Or, rien n’empêche les cantons de se montrer plus stricts. Les attentes relatives à ce critère sont variables, en fonction du type d’autorisation et des exigences cantonales : certains cantons vont même jusqu’à requérir un niveau B159.

L’exigence du niveau de langue, si elle est certes compréhensible d’un point de vue pratique, tend à pénaliser certaines catégories de personnes, qui ont été empêchées d’apprendre la langue locale précisément par la situation justifiant leur besoin de protection. L’on peut citer à ce titre les femmes victimes de violences et recluses au sein du domicile familial, privées de tout contact avec l’extérieur.

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