• Aucun résultat trouvé

Au-delà d'une analyse biophysique détaillée du canal, nous avons voulu intégrer son fonctionnement à la machinerie cellulaire, puis plus largement à la mécanotransduction à l'échelle de la racine. Nous avons donc étudié l'effet de possibles régulateurs du canal comme le calcium ou les microtubules. De plus, une étape cruciale pour ce changement d'échelle est de trouver le(s) gène(s) codant pour les protéines responsables du courant observé en patch clamp. Cette partie intègre des expériences en cours d'exploration, encore sujettes à amélioration, dont les résultats sont préliminaires et peuvent nécessiter un plus grand nombre de répétitions.

Régulation de l'activité de RMA par le calcium

On connaît des canaux calciques régulés par le calcium lui-même comme de TPK1, un canal calcium localisé au tonoplaste (Guo et al., 2016). Le calcium est en effet un second messager qui régule l'activité de nombreuses protéines par interaction directe. De plus, l'activité de RMA semble régulée par la protéine DEK1 (Tran et al., 2017). Le domaine C-terminal cytosolique de DEK1 est constitué d'un domaine CALPAIN qui a une activité protéase calcium-dépendante et exécute un auto-clivage catalytique qui la libère dans le cytosol (Johnson et al., 2008). Comme RMA transporte du calcium dans le cytosol, il pourrait y avoir une régulation de l'activité de RMA sur l'activité du domaine CALPAIN. Réciproquement, le domaine CALPAIN pourrait avoir une activité protéase sur le canal RMA en présence de calcium. Cette activité pourrait même être la cause de la perte d'activité de RMA à chaque activation. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons comparé l'activité du canal RMA en conditions standards (concentration de 10-6 M calcium dans la solution de pipette) avec celle mesurée en

supprimant le calcium dans la pipette. Pour ce faire, nous avons supprimé le calcium dans la solution de pipette et ajouté 10mM BAPTA, un chélateur de calcium (Figure 23). Les patchs ont été soumis à

93

des pulses de pression constante pour pouvoir quantifier l'adaptation du canal aux stimulations. Nous n'avons pas détecté de différences dans les constantes d'inactivation ou d'adaptation avec l'élimination du calcium. A ce stade nous n'avons pas identifié d'effets du calcium sur l'activité de RMA.

Régulation de l'activité de RMA par les microtubules

Un autre régulateur des canaux mécanosensibles et plus généralement de la mécanique cellulaire est les microtubules corticaux (voir Introduction). Chez les animaux, le cytosquelette corticale d'actine semble avoir un rôle inhibiteur sur la sensibilité des canaux mécanosensibles à la tension membranaire (Cox et al., 2016). Pour avoir un aperçu de l'effet des microtubules sur l'activité de RMA, nous avons ajouté de l'oryzaline, une drogue qui provoque la dépolymérisation des microtubules (Thion et al., 1998; Durand-Smet et al., 2014), dans la solution de pipette (Figure 24A-C). Comme il n'est pas possible de changer la solution de pipette pendant l'expérience, nous n'avons pas pu comparer sur le même patch les conditions avec ou sans oryzaline. Afin de pouvoir comparer la sensibilité de RMA à la tension dans des patchs différents, traités ou non à l'oryzaline, celle-ci a alors été estimée en normalisant la pression P par la pression au premier pic Ppic. On observe que le paramètre de sensibilité

Figure 23 – La suppression de calciumdans la pipette n'affecte pas l'inactivation ni l'adaptation de RMA. (A) La diminution de courant lors d'un pulse de pression a été fittée avec une fonction exponentielle et la constante d'inactivation (en échelle log10) est représentée pour les conditions avec (n=25) ou sans calcium (n=2) dans la solution de pipette. (B-C) Des patchs ont été soumis à des pulses de pression constante toutes les 5 s avec (n=13) ou sans calcium (n=2) dans la solution de pipette. (B) Pour chaque patch, la relation entre le courant au pic et le temps a été estimée par un fit exponentiel. La moyenne (±SE) des constantes de temps est présentée en fonction du temps entre stimulations. Les moyennes des constantes d'inactivation et d'adaptation ont été comparées entre condition avec un test de Wilcoxon et ne sont pas significativement différentes. (C) Moyenne (±SE) du courant au pic normalisé par le courant au pic au premier pulse (I/I0) en

94

Pmid de l'activation de RMA chez les patchs traités à l'oryzaline ont une valeur légèrement inférieure à

ceux non traités. Ceci signifierait que RMA est plus sensible à la tension membranaire lorsque les microtubules sont dépolymérisés, ce qui est cohérent avec ce qui est observé dans les systèmes animaux. Il faut néanmoins rester prudent car la normalisation par Ppic n'est qu'une estimation

imparfaite de la tension membranaire. De plus on ne connaît pas l'état des microtubules corticaux dans la configuration de patch excisé.

Afin d’exploiter une situation dans laquelle les microtubules sont encore structurés, d'autres expériences ont été réalisées en configuration whole-cell. Cette disposition permet aussi de transfuser l'oryzaline dans le bain et ainsi pouvoir comparer sur un même protoplaste l'activité avant et après

Figure 24 – L'ajout d'oryzaline dans la pipette augmente la sensibilité de RMA à la pression.

(A-C) 50 µM oryzaline ont été ajoutés à la solution de pipette pour induire la dépolymérisation des microtubules. Des patchs ont été soumis à des pulses de pression croissante pour déterminer leur sensibilité à la pression. Les paramètres Imax et Pmid ont été estimés pour chaque patch par un fit de la courbe I-P avec

une fonction Boltzmann. (B) Les moyennes (±SE) des Pmid normalisés par la pression au premier pic Ppic sont

présentés pour les conditions avec (n=3) ou sans oryzaline (n=28). (C) Courbe de sensibilité de RMA normalisée avec (orange) ou sans oryzaline (gris). Le courant au pic est normalisé par le courant maximal Imax

et la pression est normalisée par la pression au premier pic Ppic. La moyenne (±SE) des I/Imax pour chaque

P/Ppic est fittée par une fonction Boltzmann et les paramètres Imax et Pmid sont indiqués. (D-E) Enregistrement

en configuration whole-cell de l'activité de canaux ioniques de type MSL lors de l'ajout d'oryzaline par perfusion. Le lavage de l'oryzaline s’accompagne d’une diminution du courant.

95

ajout d'oryzaline. La solution de pipette contenait du chlorure à la place du sulfate, permettant d'enregistrer l'activité à la fois des canaux mécanosensibles anioniques (MSL) et cationiques (RMA). L'ajout d'oryzaline dans le bain a provoqué l'ouverture spontanée de canaux (Figure 24). Ces canaux avaient des ouvertures unitaires de l'ordre de 20 pA, ce qui correspond à celles observées pour les canaux MSL (Haswell et al., 2008). Le lavage de l'oryzaline a fait diminuer l'activité spontanée jusqu'à un retour à l'activité de base, cette réversibilité montrant l'effet spécifique de l'oryzaline. Le même protocole a été exécuté en remplaçant le chlorure dans la pipette par du sulfate pour ne plus enregistrer l'activité des MSL. On n'a pas observé d'activité spontanée après ajout d'oryzaline dans ces conditions. L'ajout d'oryzaline dans le bain provoque donc l'activation spontanée de canaux anioniques qui semblent être des MSL, mais pas celle de canaux cationiques comme RMA.

Ainsi on a détecté une légère augmentation de sensibilité de RMA avec l'ajout d'oryzaline dans la pipette de patch, même si la comparaison entre patch différent reste difficile à interpréter. La recherche de l'effet de l'oryzaline en configuration whole-cell nous a permis de détecter l'activité spontanée de canaux similaires aux MSL après traitement à l'oryzaline, mais pas celle de canaux cationiques comme RMA.

Recherche de l'identité moléculaire de RMA

La connaissance de l'identité moléculaire de RMA est essentielle pour transposer son étude à d'autres échelles, afin d'en étudier son rôle au niveau des cellules, des tissus et de la plante entière. On sait déjà que l'activité du canal est perturbée dans les mutants dek1 (Tran et al., 2017). La protéine DEK1 est composée d'une longue partie transmembranaire et d'un domaine cytosolique CALPAIN (voir Introduction). Les mutants dek1-2 et dek1-3 sont des mutants d'insertion de T-DNA dans la partie codant pour la partie transmembranaire, qui sont complémentés par l'expression de la partie CALPAIN indépendante. Dans le fond mutant dek1-3 CALPAIN, le courant RMA avait une inactivation 10 fois plus rapide que chez le sauvage alors que dans le fond mutant dek1-2 CALPAIN, le courant RMA était très

96

réduit. Toutefois, il est à noter que dans ces fonds mutants, on pouvait toujours observer dans un certain nombre de cas un courant RMA similaire au sauvage. Ainsi DEK1 est considéré comme un régulateur du canal RMA, qui pourrait participer au transport des ions ou à la régulation de son ouverture.

Pour trouver l'identité moléculaire de RMA, nous avons choisi de procéder par une approche de génétique inverse. La première famille de gènes candidats que nous avons sélectionnée est Piezo (voir Introduction). Ces canaux mécanosensibles ont d'abord été découverts chez les Vertébrés qui possèdent deux gènes homologues (Coste et al., 2010). Une seule copie du gène Piezo est présente dans les génomes végétaux (Zhang et al., 2019). Les canaux Piezo chez les animaux présentent des caractéristiques électrophysiologiques similaires au canal RMA : ils laissent passer les cations sans présenter de sélectivité entre ions mono- et divalents, ont une faible conductance et présentent une inactivation rapide. Deux lignées de mutants contenant des délétions dans le gène Piezo, générés par

Figure 25 – Le courant RMA n'est pas perturbé dans les mutants piezo.

Des patchs issus de protoplastes sauvages (Col-0) ou mutants piezo ont été soumis au même protocole de pulses de pression d'intensité croissante jusqu'à la rupture du patch. (A) La diminution de courant lors de pulses à différentes pressions a été fittée avec une fonction exponentielle et la constante d'inactivation est représentée (en échelle log10) pour les génotypes sauvage (n=45 patchs) ou mutants piezo (n=7 patchs chacun). (B-C) La courbe de sensibilité à la pression a été fittée pour chaque patch avec une fonction Boltzmann. La moyenne ainsi que chaque mesure d'Imax (B) et la moyenne (±SE) de Pmid normalisé par la

pression au premier pic Ppic (C) sont représentées pour les génotypes sauvage (n=28 patchs) ou mutants piezo

97

CRISPR, ont été analysées en patch-clamp. Ces mutants présentaient des courants similaires à ce qu'on enregistre dans les protoplastes sauvages (Figure 25). On n'a pas observé de diminution de courant

Figure 26 – Le courant RMA n'est pas perturbé dans différents mutants osca.

Des patchs issus de protoplastes de différents mutants osca ont été soumis au même protocole de pulses de pression d'intensité croissante jusqu'à la rupture du patch. (A) Arbre phylogénétique de la famille OSCA chez Arabidopsis (adapté de Murthy et al., 2018). Les gènes qui ont été clonés et montrés comme codant des canaux mécanosensibles en cellules HEK (Murthy et al., 2018) sont soulignés. Les gènes que nous avons étudiés sont en couleur. Il s'agit des simples mutants osca1.1, osca1.2 et osca3.1 ; des doubles mutants osca1.1 osca1.2 (en bleu) et osca1.3 osca1.7 (en jaune) ; et le quintuple mutant osca1.1 osca3.1 osca1.3 osca2.2 osca2.3 (noté oscaΔ5, en vert). (B) La diminution de courant lors de pulses à différentes pressions a été fittée avec une fonction exponentielle et la constante d'inactivation est représentée (en échelle log10) pour les génotypes sauvage (n=25 patchs) ou mutants osca (de gauche à droite n=3 ; 4 ; 2 ; 4 ; 1 ; 3 patchs). (C-D) La courbe de sensibilité à la pression a été fittée pour chaque patch avec une fonction Boltzmann. La moyenne ainsi que chaque mesure d'Imax (C) et la moyenne (±SE) de Pmid normalisé par la pression au premier

pic Ppic (D) sont représentées pour les génotypes sauvage (n=28 patchs) ou mutants osca (de gauche à droite

98

(estimé par Imax), on a mesuré la même constante d'inactivation et leur sensibilité à la tension n'est pas

altérée. Il semble donc que le gène Piezo n'est pas impliqué dans la formation du canal RMA chez Arabidopsis.

Une autre famille candidate a alors été considérée : la famille des OSCA (voir Introduction). Cette famille se compose de 15 membres chez Arabidopsis, divisée en 4 clades (Figure 26A). Six membres de la famille (OSCA1.1, OSCA1.2, OSCA1.8, OSCA2.3, OSCA3.1, OSCA4.1) ont été clonés et exprimés en cellules HEK (Murthy et al., 2018). Ces six gènes codent pour des canaux mécanosensibles cationiques avec inactivation dont la conductance, la constante d'inactivation et la sensibilité à la tension varie selon le canal. Le canal formé par OSCA3.1 semble le plus similaire à RMA : il a une faible conductance, une inactivation rapide et une faible sensibilité à la tension. Dans cette étude, nous avons sélectionné les gènes OSCA1.1, OSCA1.2 et OSCA3.1 dans un premier temps. Nous avons ensuite étudié les doubles mutants osca1.1 osca1.2 et osca1.3 osca1.7, ainsi que le quintuple mutant osca1.1 osca3.1 osca1.3 osca2.2 osca2.3 (noté oscaΔ5). L'activité du canal RMA a été retrouvée dans tous les mutants osca étudiés. Aucune différence de constante d'inactivation ou de sensibilité à la tension n’a été identifiée (Figure 26).

Ainsi la recherche du ou des gène(s) codant pour le canal RMA a été infructueuse. On peut affirmer qu'il ne s'agit pas de Piezo. La famille OSCA n'a pas été entièrement parcourue et RMA pourrait être constitué d'un ou plusieurs membres de cette famille.

Chapitre 3 : Recherche de l'activité RMA in planta : Contribution aux signaux

Documents relatifs