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Ralph Waldo Emerson

II. LES PESTICIDES DANS L’ATMOSPHERE

II.3. Les phases atmosphériques

II.3.2. Intégration dans la phase liquide atmosphérique

Les pesticides entrent dans la phase aqueuse atmosphérique au moment de l’épandage par la mise en suspension des gouttelettes de pulvérisation et leur entraînement par le vent. Un processus nommé « rain-out » fait intervenir deux autres mécanismes dans une période post-application [Sauret, 2002] :

 l’échange de composés entre la phase gazeuse et les gouttelettes d’eau en suspension (nuages, brouillards…) ;

 la condensation de vapeur d’eau autour de particules présentant des pesticides à leur surface.

L’équilibre entre les phases liquide et gazeuse atmosphériques est régi par la loi de Henry, mais la présence de particules en suspension peut perturber cet équilibre. Des pesticides particulaires associés à la fraction insoluble des aérosols peuvent être présents dans les gouttes et donc modifier l’équilibre gaz/liquide [Sauret, 2002]. Ainsi, la concentration de pesticides dans la phase aqueuse peut parfois être plus élevée que ce que prévoit la loi de Henry.

II.4. Transport

Le potentiel de transport atmosphérique des pesticides prend en compte [Van Pul et al., 1999 ; Aubertot et al., 2005] :

 Les facteurs météorologiques : des modèles météorologiques de transport à diverses échelles peuvent être établis pour tout composé chimique, mais ils requièrent une bonne connaissance des émissions ;

 les processus (physiques et chimiques) d’élimination de l’atmosphère : ceux-ci sont en général spécifiques du composé considéré et leur importance relative dépend majoritairement de la distribution entre phases.

En considérant ces deux facteurs, les temps de séjour des pesticides dans l’air peuvent être déterminés, ils vont ainsi conduire à des transports sur des distances plus ou moins longues. Deux échelles de dispersion peuvent être considérées : à courte distance (échelle locale, < 1 km) et à moyenne et longue distances car les processus mis en jeu sont différents [Van Jaarsveld and Van Pul, 1999]. A courte distance, l’échelle de temps est de l’ordre de quelques minutes à quelques dizaines de minutes. A cette échelle, la dégradation atmosphérique peut être négligée. A longue distance (> 1000 km), l’échelle de temps est alors plutôt de l’ordre de quelques jours ou plus, nécessitant alors de prendre en compte la réactivité du composé dans l’atmosphère. A titre d’exemple, un composé gazeux ayant un temps de séjour dans l’air de 24h avec une vitesse de vent moyenne de 5 m.s-1 peut être transporté sur environ 400 km [Van Pul et al., 1998]. Notons, enfin, qu’en plus du transport horizontal, les polluants subissent des mouvements verticaux largement contrôlés par la stratification thermique de la troposphère.

L’atmosphère est le principal vecteur de dissémination de produits organiques semi-volatils comme les pesticides [Bidleman, 1988 ; Guicherit et al,1999]. Des concentrations élevées en pesticides ont été mesurées dans l’air et les eaux de surface de certaines régions reculées [Donald et al, 1998]. A titre d'exemple, de l’endosulfan a été retrouvé dans une région montagneuse de Crête où, pourtant, il n’a jamais été employé. Associé à des particules minérales, il a été transporté via l’atmosphère suite à des épisodes de tempête de poussières en Afrique [Balayiannis et al., 2008]. Effectivement, l’endosulfan peut fortement se lier aux particules de sol et de poussière [Kumar and Ligy, 2006]. D’autre part, Asman et al. (2005) ont pu récemment observer dans les eaux de pluie au Danemark un certain nombre de composés interdits dans ce pays mais autorisés dans d’autres pays européens, indiquant ainsi une contribution significative du transport atmosphérique dans la contamination locale.

De manière générale, les pesticides entrent dans l’atmosphère dans les régions chaudes ou tempérées, sont transportés dans l’atmosphère et se condensent dans les régions froides [Larsson et al., 1990 ; Guicherit et al, 1999 ; Van Pul et al., 1999] polaires [Beyer et al., 2003 ; Wania, 2003] et de hautes montagnes [Blais et al., 1998 ; Carrera et al., 2002 ; Li et al, 2006 ; Wang et al., 2008]. Des mesures ont mis en évidence la présence de pesticides chlorés dans les régions polaires Arctique (HCH, HCB, DDT, chlordane, dieldrine…) [Hung et al.,

2005 ; Su et al., 2008] et Antarctique (DDT, HCH, HCB) [Kallenborn et al., 1998 ; Dickhut et al, 2005] à des milliers de kilomètres de leur lieu d’émission.

Un cas concret de transport atmosphérique longue distance de pesticides est présenté par Genualdi et al. (2009). Ces auteurs ont mis en évidence un transport trans-pacifique de la dieldrine et du α-HCH (interdits d’utilisation aux Etats-Unis depuis 1987 et 1974 respectivement) (Cf. Fig. II.2). Ils ont démontré que ces insecticides se sont volatilisés (à partir du sol et de la végétation) en Sibérie pendant d’importants événements de feux de biomasse durant l’été 2003 et ont été transportés par la masse d’air concernée jusqu’au nord-ouest des Etats-Unis où ils été détectés (prélèvements au niveau de deux sites isolés : MPO (Mary’sPeak Observatory) et CPO (Cheeka Peak Observatory) , Cf. Fig. II.2).

Figure II.2 : En haut : Images de foyers de feux pris par MODIS (Moderate Resolution

Imaging Spectroradiometer) avec superposition des rétro-trajectoires de masse d’air. En bas : Concentrations en pesticides (pg.m-3) échantillonnés sur deux sites reculés d’Amérique du Nord-Ouest (MPO et CPO) a) le 2 juin 2003 et b) le 4 août 2003 [Genualdi et al. (2009)].

D’après ces travaux, la dieldrine a parcouru plus de 6000 km entre sa source d’émission dans l’atmosphère et le lieu de détection. Néanmoins, cela parait incompatible avec son temps de vie estimé d’environ 2 jours (Cf. Fig. II.3). Cette substance active est également souvent retrouvée en Arctique, de même que le α-HCH (27 j), le DDT (5 j), l’endosulfane I (2 j), le HCB (2,5 ans) ou encore le chlordane (3 j) [Hung et al., 2005 ; Su et al., 2008 ]. Pourtant, en ce basant sur la réactivité homogène gazeuse par rapport aux radicaux hydroxyles (Cf. section II.5.3), tous (excepté le HCB) devraient être dégradés rapidement dans l’atmosphère (Cf. Fig. II.3). Finalement, la figure II.3 permet d’illustrer de façon schématique l’incohérence parfois observée entre les estimations de temps vie (en rouge) et les mesures de terrain (en vert). Cette même constatation a été faite par Scheringer et al. (2004) dans leurs travaux de modélisation. En effet, ces auteurs ont tenté de simuler le transport atmosphérique sur de longue distance de ces pesticides en se basant sur les données obtenues par les relations de structure-réactivité (SAR) (Cf. section II.5.2.b), sans parvenir à une adéquation avec les observations de terrain.

Par ailleurs, la figure II.3 présente quelques pesticides dont les durées de vie sont estimées longues : le chlordécone, le HCB et le CH3Br. Les trois pesticides étudiés présentent des durées de vie atmosphériques faibles : alachlore 4 h, terbuthylazine 1,6 j et trifluraline 8 h. Selon certaines études de terrains, des transports locaux et/ou régionaux ont été mis en évidence [Foreman et al., 2000 ; Sanusi et al., 2000 ; Asman et al., 2005 ; Peck and Hornbuckle, 2005, Primbs et al., 2008]. Cependant, ces substances actives sont rarement recherchées dans les zones de prélèvement isolées, il est donc difficile d’estimer leur potentiel de transport longue distance, excepté pour la trifluraline. En effet, des traces de ce composé ont déjà été observées en Arctique (concentrations proche de la limite de détection) [Hung et al., 2005 ; Su et al., 2008], un transport sur de grandes distances peut donc être envisagé.

En rouge : estimations des temps de vie de quelques pesticides d’après les données de AOPwin v.1.92 (basé sur la SAR), effectuées pour : [OH] = 1,5.106 molec.cm-3 avec 12h d’ensoleillement (Cf. section II.5.2.b et II.5.3). En vert : estimations des distances parcourues par quelques pesticides selon des études de terrain [Hung et al., 2005 ; Su et al., 2008, Genualdi et al. (2009), Kallenborn et al., 1998 ; Dickhut et al, 2005].

1 bromure de méthyle : sources naturelles et anthropiques (pesticide)

2

pesticides faisant l’objet de travaux dans cette étude

Figure II.3 : Comparaison des temps de vie et des échelles spatiales pour quelques espèces

(adapté de Delmas et al., 2005).

Globalement, l’analyse du transport atmosphérique des pesticides reste encore relativement incertaine, notamment compte tenu du manque de connaissances concernant leur potentiel de dégradation et leur répartition entre les différentes phases de l’atmosphère.