• Aucun résultat trouvé

Ralph Waldo Emerson

II. LES PESTICIDES DANS L’ATMOSPHERE

II.2. Emissions atmosphériques

Les pesticides entrent dans l’atmosphère directement au moment du traitement (dérive) et après application (volatilisation à partir du sol et des plantes, érosion éolienne). La manière d’épandre les pesticides et leur formulation vont influencer le mode de contamination atmosphérique de ces produits : pulvérisation (liquides, poudres…), fumigation (gaz ou liquide), incorporation dans le sol, déposition sur le sol, présence du produit actif dans les semences [Millet, 1999 ; Marlière, 2001 ; Gil and Sinfort, 2005].

II.2.1. Contamination au moment des traitements

Les opérations d'épandages peuvent engendrer des émissions dans l’air très élevées pouvant atteindre 90% dans les cas les plus critiques tels que la fumigation [Aubertot et al., 2005]. Ainsi, au moment de l’application, une fraction des pesticides n’atteint jamais la surface cible (sol, culture) : il s’agit de la dérive des gouttelettes (ou de poudres). Par ce processus, les composés sont immédiatement mis en suspension dans l'atmosphère par le vent [Briand et al., 2002]. On considère généralement que 30 à 50% de composés sont directement perdus dans l’air sous forme de gouttelettes ou de gaz (volatilisation immédiate) [Van Den Berg et al, 1999].

L’importance de la dérive dépend principalement de la méthode d’application (équipement et technique) et des propriétés de la formulation (granulés, suspensions concentrées, poudres mouillables…) [Van Den Berg et al, 1999 ; Gil and Sinfort, 2005]. Toutefois, ce phénomène concerne essentiellement les traitements par pulvérisation dont l’objectif est d’atteindre une distribution uniforme des pesticides sur les cibles. D'une façon générale la dérive est d’autant plus importante que la hauteur de pulvérisation est élevée [Pimentel, 1995 ; Millet, 1999, Van Den Berg et al, 1999]. Ainsi, les traitements aériens (par avions ou hélicoptères) induiraient des transferts dans l’air de 25 à 75% des quantités appliquées [Pimentel, 1995] du fait des turbulences produites par les avions entraînant les aérosols fins hors de la surface cible. Comparativement, les pulvérisations classiques sur un sol nu (avec un flux dirigé vers le bas et à environ 10 cm au dessus du sol) aboutissent à une dérive de l’ordre de 1 à 10% [Van Den Berg et al, 1999]. Parallèlement, il existe des applications multidirectionnelles destinées à traiter les feuilles (cela concerne principalement les vergers et la vigne). Dans ce cas, on constate une dérive six fois plus étendue que pour les traitements aériens [Marlière, 2001].

D’autre part, les gouttelettes, poussières ou poudres pulvérisées contenant les pesticides sont d'autant plus facilement mises en suspension dans l’atmosphère et sédimentent d'autant plus lentement qu'elles sont fines. De plus, leur taille peut décroître, durant le transport aérien (surtout par temps chaud et sec), par volatilisation du diluant (généralement de l’eau), des adjuvants et/ou de la substance active, ce qui augmente le potentiel de transport sur de longues distances de l’aérosol [Marlière, 2001 ; Van Den Berg et al, 1999 ; Briand et al., 2002 ; Sauret, 2002]. Pourtant, les particules ou gouttelettes de petite taille garantissent une meilleure uniformisation du traitement. Il s’agit donc de trouver un compromis entre ces phénomènes antagonistes. L’association de certains adjuvants aux pesticides a des effets

significatifs sur les propriétés physiques des préparations et par voie de conséquence sur le comportement atmosphérique des gouttes émises [Miller and Butler-Ellis, 2000]. Ils peuvent permettre d’augmenter la densité des gouttelettes et donc leur vitesse de dépôt ou encore de stabiliser leur taille en augmentant leur tension superficielle. Avec certaines solutions diluées de polymères, il est possible d’améliorer simultanément les caractéristiques du jet, le dépôt des gouttes et la rétention du produit sur la surface de la plante cible [Mun et al., 1999]. Ces adjuvants prennent finalement une part importante dans la formulation du produit, fraction qui peut atteindre 50% [Krogh et al., 2003].

Le phénomène de volatilisation immédiate est en grande partie contrôlé par les conditions météorologiques régnant lors du traitement. Une température élevée augmente le pourcentage de substances volatilisées. Par ailleurs, le vent, à l’inverse de la pluie, favorise la dérive en quantité, en durée et en distance. [Grass et al., 1994]. Ainsi, le vent est le principal facteur de dérive si bien qu’au Canada, si la vitesse du vent excède 15 km.h-1, l’épandage de pesticides par pulvérisation est interdit [Règlement canadien 04-041, 2004]. La dispersion des produits est également influencée par l’humidité relative, les radiations solaires ainsi que d’autres paramètres micro-météorologiques en relation avec la stabilité atmosphérique tel que le degré de turbulence [Van Den Berg et al, 1999 ; Gil et Sinfort, 2005]. Afin de limiter les pertes par dérive et volatilisation immédiate, il est recommandé d'effectuer les traitements lorsque les températures ambiantes sont fraîches (en début et en fin de journée) [Sauret, 2002].

II.2.2. Contamination après épandage

Une fois les pesticides épandus sur les surfaces à traiter, ils peuvent subir une nouvelle volatilisation ou une érosion éolienne [Glotfelty et al., 1989] qui aboutissent à leur transfert vers l’atmosphère. Ces deux voies de contamination sont d’ampleur variable. Parmi ces deux phénomènes, la volatilisation post-application domine, elle est donc la plus étudiée.

II.2.2.a. Volatilisation post-application

La volatilisation post-application regroupe tous les processus (évaporation, sublimation et désorption) qui mènent au transfert des pesticides de la surface traitée (sols, couvert végétal ou surface aquatique dans le cas d’application en riziculture notamment) vers la phase gazeuse de l’atmosphère après application [Bedos et al. 2002a ; Bedos et al. 2002b].

Cette seconde phase a lieu sur de longues périodes généralement comprises entre plusieurs jours et plusieurs mois. Elle explique en partie la présence de pesticides dans l'atmosphère en dehors des périodes d’épandage. Pour certains produits phytosanitaires, elle est responsable de pertes pouvant atteindre 80 à 90% des pesticides déposés sur les végétaux et le sol [Glotfelty et al., 1984 ; Majewski et al., 1993 ; Marlière, 2001, Bedos et al., 2002b]. Globalement, ces transferts sont très variables en intensité et dépendent de plusieurs paramètres. Quantitativement, les flux de volatilisation se situent entre quelques g.ha-1 et 2000 g.ha-1 selon la dose et le pesticide appliqués [Bedos et al., 2002b]. La vitesse de volatilisation à partir du sol ou des feuilles est en partie contrôlée par la pression de vapeur saturante des pesticides, et dans une moindre mesure par leur solubilité (et donc leur constante de Henry) ainsi que leur coefficient d’absorption (partition eau/sol). Elle est également liée aux conditions de l’environnement [Glotfelty et al., 1984 ; Cherif and Wortham, 1997 ; Guicherit et al., 1999 ; Van Den Berg et al., 1999 ; Bedos et al. 2002a ; Bedos et al. 2002b ; Bedos et al., 2006] : les conditions météorologiques au niveau du sol (ensoleillement, température, humidité relative) et la nature de la surface d’absorption du pesticide (humidité et température du sol, contenu en carbone organique du sol et en lipides des feuilles…).

La volatilisation augmente avec le vent et la température ambiante [Bedos et al., 2002b]. Par exemple, Waymann and Rüdel (1995) ont montré qu’avec une vitesse du vent qui augmente de 0,4 à 1,7 m.s-1, la volatilisation du lindane à partir du sol passe de 12 à 31%. Le flux de volatilisation montre, pour certains composés, un cycle diurne qui est essentiellement gouverné par le rayonnement solaire, la stabilité atmosphérique et l’humidité du sol [Bedos et al., 2002b]. Généralement, les composés les plus volatils, présentent un pic de volatilisation depuis le sol juste après leur application, puis le flux de volatilisation décroît dans le temps ; d’autres, moins volatils que les précédents, présentent un flux moins élevé au départ mais plus stable dans le temps [Aubertot et al., 2005].

La température du sol et des feuilles influence la volatilisation des pesticides puisque leurs propriétés physico-chimiques sont fonction de la température. Cette dernière favorise la migration des substances actives vers la surface du sol par augmentation de la vitesse de diffusion. De même, le flux de volatilisation tend à croître avec la teneur en eau du sol [Lembrich et al., 1999 ; Bedos et al., 2002b]. Des études menées en chambre de volatilisation ont révélé qu’après 26 jours, 11% du lindane sur sol humide s’est volatilisé contre 0,8% sur sol sec [Cherif and Wortham, 1997]. L’humidité du sol influence l’adsorption des pesticides : effets de compétition entre les molécules d’eau et la matière active pour les sites d’adsorption des colloïdes du sol. Plus la teneur en eau est élevée, plus la proportion de pesticides non

adsorbés est importante et donc plus les transferts du sol vers l’atmosphère sont conséquents [Bedos et al, 2002b]. De plus, les sites d’adsorption peuvent aussi être inaccessibles pour les composés peu solubles à cause de la présence possible d’un film d’eau autour des particules du sol. Toutefois, tous les pesticides ne réagissent pas de la même façon à ce facteur en raison de la variabilité de leurs propriétés physico-chimiques.

La présence de matière organique ou d'argile dans le sol permet de piéger les molécules actives peu polaires ou non-ioniques ce qui limite leur volatilisation [Lembrich et al., 1999 ; Spark and Swift, 2002]. D’autres facteurs comme le pH du sol ou sa composition ionique peuvent intervenir sur l’adsorption [Scheyer, 2004]. En fait, selon la nature de leurs liaisons plus ou moins irréversibles avec certains éléments du sol (matières organiques, argiles, oxydes…), les matières actives peuvent être particulièrement persistantes. Ces fortes interactions peuvent les protéger d’actions telles que la dégradation, la volatilisation, le ruissellement et même de l’extraction par les plantes [Barriuso et al., 2008].

La volatilisation depuis une surface aqueuse est un cas particulier qui concerne surtout les rizières et les fossés contaminés. Elle constitue une voie de dissipation majeure des pesticides peu solubles appliqués en surface [Maguire, 1991]. Par ailleurs, des études ont montré que la volatilisation à partir des feuilles était plus intense et rapide qu’à partir du sol [Rüdel, 1997 ; Van Den Berg et al., 1999 ; Bedos et al., 2002b]. Ce phénomène peut s’expliquer par la meilleure circulation de l’air entre les feuilles favorisant l’entraînement des produits, mais aussi par l’adsorption moins forte sur les feuilles que sur un sol [Rüdel, 1997 ; Bedos et al, 2002b].

Certaines pratiques agricoles permettent de limiter le processus de volatilisation : l’amendement de substances humique (piégeage des matières actives) [Guicherit et al., 1999], le labourage [Wienhold and Gish, 1994] ou encore l’incorporation en profondeur des pesticides au moment ou immédiatement après application (Cf. Tab. II.1).

Composé Type d’application Perte par volatilisation Références (%) (jours)

Alachlore En surface 19 21 Glotfelty et al., 1989

Triallate Surface 74 5 Majewski et al, 1993

Incorporé 15 30 Grover et al., 1988

Trifluraline En surface 90 54 2,5-7 5 Glotfelty et al., 1984 Majewski et al, 1993

Incorporé 20 30 Grover et al., 1988

Tableau II.1 : Pertes par volatilisation de différents produits phytosanitaires après application

II.2.2.b. Erosion éolienne

L’érosion éolienne est la mise en suspension dans l’air par le vent des particules fines du sol traité sur lesquels sont adsorbés des pesticides ou encore de granulés et de poudres appliqués à sec. Cependant, ni son importance, ni les facteurs le gouvernant ne sont connus avec précision [Van Den Berg et al., 1999]. D’après certains auteurs, ce mécanisme aurait une importance modérée par rapport au phénomène de volatilisation (<1% pour l’atrazine et la simazine) [Glotfelty et al., 1989].

L'entraînement par le vent dépend de l’humidité contenue dans le sol mais aussi de différents facteurs climatiques (vitesse horizontale du vent), géographiques (nature du sol, localisation), agricoles (nature du couvert végétal, matériel et méthode utilisés) [Loki et al., 2005]. Elle est ainsi favorisée par des vents forts, une pauvre couverture végétale ou encore un sol fragilisé suite à l’utilisation d’engins lourds. Il existe trois modes différents d'entraînement des particules (Cf. Annexe II).