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4. Description et analyse du foyer témoin : Le Foyer

4.4 Analyse du Foyer

4.4.2 Institution totalitaire

Dans Asiles, Goffman développe le concept d’ « institutions totalitaires ». Il décrit de quelle manière ces institutions prennent le pas sur les individus et par quels processus ses usagers sont dépersonnalisés puis refaçonnés à l’image à laquelle on souhaite qu’ils se conforment. Par « on », il faut entendre, d’une part, l’institution elle-même et d’autre part, et à travers cette dernière, la société tout entières, selon les normes qu’elle érige comme étant celles auxquelles chaque citoyen devrait idéalement s’adapter.

Il expose, en exemple, deux types d’établissements bien distincts et aux buts, a priori, passablement antagonistes, qui pourtant, interpellent par la similarité de leurs fonctionnements. Il s’agit des prisons et des hôpitaux psychiatriques, qui, chacun à sa manière, aliène les personnes qu’il prend en charge.

Selon lui :

« Toute institution accapare une part du temps et des intérêts de ceux qui en font partie et leur procure une sorte d’univers spécifique qui tend à les envelopper. Mais parmi les différentes institutions de nos sociétés occidentales, certaines poussent cette tendance à un degré incomparablement plus contraignant que les autres ». (1998, p.45-46)

Bien qu’il précise, dans son ouvrage, que les foyers pour enfants sont exclus de ce qu’il définit comme institutions totalitaires (1998, p.55), force est de constater que ceux-ci, par bien des aspects, correspondent point par point à ces dernières.

Il les classe en cinq groupes différents qu’il catégorise de cette manière :

1. « organismes qui se proposent de prendre en charge les personnes à la fois jugées incapables de subvenir à leurs besoins et inoffensives : foyers pour aveugles, vieillards, orphelins et indigents »

2. « les établissements dont la fonction est de prendre en charge les personnes jugées à la fois incapables de s’occuper d’elles-mêmes et dangereuses pour la communauté même si cette nocivité est involontaire : sanatoriums, hôpitaux psychiatriques, léproseries »

3. « (…) destiné à protéger la communauté contre des menaces qualifiées d’intentionnelles, sans que l’intérêt des personnes séquestrées soit le premier but visé : prisons, établissements pénitentiaires, camp de prisonniers et camps de concentration »

4. « Les institutions qui répondent au dessein de créer les meilleures conditions pour la réalisation d’une tâche donnée et qui justifient leur existence par ces seules considérations utilitaires : casernes, navires, internats, camps de travail, forts coloniaux, et pour ceux qui en occupent les communs, grandes maisons »

5. « les établissements qui ont pour but d’assurer une retraite hors du monde, même si en fait, on les utilise fréquemment pour former des religieux : abbayes, monastères, couvents et autres communautés religieuses » (1998, p.46-47)

Si l’on se réfère à ce classement -dont Goffman dit que l’inventaire est imprécis et incomplet- le Foyer entre dans au moins deux des catégories proposées. En effet, le type de prise en charge tient aussi bien de ce qu’il décrit dans la première catégorie (destiné à ce que l’on pourrait appeler des faibles inoffensifs) que de la quatrième description (dont le but est de former, pour ne pas dire formater, ses usagers). On constate d’ailleurs que dans les exemples cités, figurent les internats. Il est probablement question ici d’internats scolaires et non de lieux de vie uniquement, néanmoins, la terminologie est identique à celle utilisée pour les foyers pour enfants. De plus, si l’on considère comme une tâche le fait de devenir un bon citoyen, le Foyer correspond tout à fait à cette description puisque le but du placement des enfants consiste à leur offrir les meilleures conditions possibles à leur bon développement afin de leur permettre de devenir des adultes responsables et autonomes. « Le praticien soutient les personnes accueillies dans la préparation de leur avenir et l’apprentissage à l’autonomie. Il favorise l’estime de soi, le développement des compétences et la capacité à intégrer droits et devoirs » (cf annexe : charte des bonnes pratiques)

Les différents processus de transformation et autres et rituels décrits dans cet ouvrage se retrouvent également dans de nombreux foyers en général, et au Foyer en particulier.

Les techniques de mortifications

Goffman développe le concept de mortification. Il s’agit de méthodes institutionnelles visant à modifier le fonctionnement et les valeurs de l’usager afin qu’il en intègre de nouvelles. Une façon de refaçonner sa personnalité, en quelque sorte, bien qu’elle soit, selon lui, le plus souvent inconsciente.

À ce titre, on peut aisément comparer certaines pratiques courantes du Foyer avec ceux qu’il décrit dans son ouvrage.

L’isolement : Parler d’isolement, dans ce contexte parait un peu excessif, néanmoins, ainsi que décrit précédemment, la première semaine passée au Foyer ressemble à une quarantaine. En effet, les familles se voient interdites de prendre contact avec leur enfant, et réciproquement. Toutes les informations doivent passer par les professionnels et sont ainsi filtrées. Par la suite, les visites sont autorisées -ou non- par les services sociaux, et leurs modalités imposées aux familles. Dès leur arrivée, les enfants sont inscrits à l’école du quartier, on ne peut alors réellement prétendre qu’ils sont isolés, cependant, ils sont tenus à distance de leur famille, de leur milieu social et de l’environnement qu’ils connaissent. Les sorties ne se font qu’en présence d’un éducateur, à quelques rares exceptions près. « Dans un premier temps, les parents sont encouragés à exercer leur droit de visite au foyer, selon des modalités définies avec l’assistant social et les éducateurs référents. Puis, si les conditions sont réunies, l’enfant pourra se rendre en WE chez ses parents » (cf annexes : Projet de service du Foyer). « Tes sorties, ton droit à utiliser téléphone portable, ton usage des espaces communs au sein du Foyer dépendent de ton comportement » (cf annexes : Le règlement du Foyer)

La cérémonie d’admission : Ce que Goffman identifie comme cérémonie d’admission comprend toutes les formalités d’entrée en institutions tels que transmission du règlement, enregistrement des données personnelles, affectation des locaux, etc… ayant cour dans toutes les institutions sociales et notamment au Foyer. Il rebaptise ce passage obligé

« mise en condition » ou « programmation » puisqu’il vise, selon lui à « homogénéiser et transformer un objet que l’on peut livrer à la machine de l’établissement de telle façon que rien ne vienne entraver la machine routinière des opérations administratives » (1998, p.58)

Le dépouillement : Il s’agit de remplacer les objets personnels des individus par des objets de série, communs à tous les usagers. C’est ce qui se produit partiellement quand les jeunes arrivent au Foyer. D’une part, les téléphone portables, consoles de jeux et autres multimédias leur sont « confisqués » pour que les éducateurs puissent en contrôler leur utilisation. « Tes appareils électroniques et autres objets de valeur doivent être rangés dans le tiroir à ton nom, dans le bureau des éducateurs. Tu peux avoir accès à ces objets en faisant la demande à tes éducateurs. Dans tous les cas, les appareil électroniques sont rendus aux éducateurs au retour au Foyer ainsi qu’au moment du coucher. Ils ne sont pas utilisés dans les lieux de vie en commun »

« Tu peux disposer de ton lecteur de musique (MP3, ipod, …) si tu en fais la demande à un

Tu peux avoir un téléphone portable au Foyer dès 12 ans. Tu transmets alors ton numéro de téléphone. Tu bénéficies de ton téléphone lors de sorties et lorsque tu en fais la demande à un éducateur » (cf annexes : Le règlement du Foyer) D’autre part, certains objets usuels sont mis à disposition par l’institution, en remplacement de ceux amenés par les usagers. Il s’agit entre autre de tout ce qui concerne les soins du corps (draps, serviette de bain, brosses à dents, shampooings, …). De plus, la lessive est prise en charge par l’institution et les parents qui souhaitent eux-mêmes laver le linge de leur enfant lorsqu’il rentre le week-end, sont plutôt mal vus et découragés par les professionnels.

Dégradation de l’image de soi : Ce que Goffman appelle la dégradation de l’image de soi est une pratique exercée au Foyer de manière plutôt légère. Il s’agit entre autre, pour les enfants et adolescents, de tenir compte aux encadrants de tous leurs déplacements lorsqu’ils changent de pièce, de demander la permission pour chaque nouvelle activité qu’ils souhaitent mener ou encore de demander la permission pour accéder au téléphone.

En parlant de différents pièces de la maison : « Tu t’y rends en accord avec un promiscuité avec les autres résidants, l’appartenance à l’institution dévoilée lors de sorties en groupe sont autant d’humiliations qu’il subit quotidiennement.

La contamination morale : Je ne citerai, pour exemple de contamination morale que la mixité de la population accueillie. Mixité d’ethnies, de religions, de milieux socio-économiques, de cultures ou d’idées politiques. Il n’est pas rare, en institution, de voir certains parents s’offusquer de la promiscuité de leur enfant avec d’autres jeunes qu’ils n’estiment pas être fréquentables. De même, un certain nombre de familles craint et refuse d’être associé à un type de public qu’il définit lui-même comme étant celui des mauvais parents, ceux dont les enfants doivent être placés pour des raisons honteuses, et auquel elle ne s’identifie en aucun cas.

L’embrigadement : L’embrigadement consiste à surveiller tous les faits et gestes d’un usager et à le contraindre à se soumettre au règlement jusque dans les moindres détails. Ce contrôle permanent empêche l’usager « (…) d’ajuster ses besoins à ses objectifs de la manière qui lui parait la plus efficace (…) » (1998, p.82) Cela peut se traduire par des horaires fixes et non négociables pour toutes les tâches et obligations de la journée (repas,

douche, devoirs, …), par exemple ou les exemples précités où chaque déplacement est soumis à autorisation.

La déculturation

Le principe de « déculturation » tel qu’il est proposé par Goffman, ne trouve, en revanche, pas le temps nécessaire à aboutir, dans des placements à courts terme, bien que le processus se mette en marche dès l’arrivée de l’enfant.

Cette comparaison systématique entre le fonctionnement du Foyer et les méthodes appliquées en hôpital psychiatrique ou en prison démontre que les institutions prenant en charge des enfants, officiellement et idéologiquement pour leur propre bien, appliquent les mêmes procédés que les institutions totalitaires que décrit Goffman.

Il est probable que les techniques de mortifications soient moins conscientes et moins systématiques -du moins, est-il permis de le souhaiter- dans des foyers pour enfants que dans des milieux carcéraux, pourtant les processus y sont sensiblement identiques.

Que penser alors de la prise en charge institutionnelle des enfants et familles concernées ? Quelle est leur finalité ? A-t-elle réellement un impact positif sur la suite de leur parcours ? Quelles en sont les conséquences psychologiques et sociales pour les usagers et leurs parents ?

Nous verrons que malgré ces similitudes, d’autres alternatives sont proposées en foyer, venant compenser une forme de maltraitance institutionnelle ainsi révélée.