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5. Analyse du travail de terrain

5.4 Analyse approfondie des entretiens selon les grands thèmes dégagés

5.4.3 La carrière institutionnelle

Dans tous les récits, à l’exception de celui de la famille F, les parents font état d’une carrière institutionnelle précédant le placement au Foyer. Certains des parcours sont jalonnés de tant d’interventions sociales que les parents s’y perdent.

Selon Voegtli, « la carrière renvoie à la succession des positions occupées par l’acteur au cours de sa vie» (2004, p.145). La carrière institutionnelle représente donc tous les statuts successifs que les usagers et familles ont endossés depuis leur première prise en charge sociale. L’auteur met l’accent sur les « ruptures biographiques » sortes de bifurcations qui s’opèrent dans la vie des individus et qui leur offre une possibilité de modifier leur identité sociale. Il attire l’attention sur le fait que ces modifications ne sont pas toujours choisies mais qu’elles peuvent être subies. Il précise que le caractère volontaire ou non définit alors le travail de mise en cohérence de la personne concernée (2004). Ces ruptures biographiques peuvent permettre des modifications en profondeur des individus, et une redéfinition de leur identité sociale, pour autant qu’ils puissent les intégrer et leur donner un sens.

La famille C donne un exemple représentatif d’une carrière institutionnelle et des différentes étapes qui la constituent. Les parents d’Esther décrivent assez précisément les nombreuses interventions sociales dont ils ont été les bénéficiaires et paraissent avoir du mal à lui redonner sa chronologie tant les intervenants sont nombreux :

Mais en fait vous en avez parlé entre vous avant d’en parler avec l’assistante sociale ou bien ça a été en discussion comme ça plusieurs fois avant de…?

Mère :Parce que la psychologue qui suivait Esther ainsi que… Il y avait aussi l’AEMO qui venait un moment donné à la maison puis ils se sont rendus compte que… il y a des moments où ça devenait invivable à la maison aussi.

Mais la période quand Esther est allée en foyer, c’était la même période que l’AEMO ou l’AEMO venait de se finir ?

Mère :Il me semble que ça venait de finir.

Père :Ca venait…ça venait de finir.

Pis donc c’était…c’était l’assistante sociale, vous et les éducateurs du AEMO qui pensiez que c’était une bonne chose le placement ?

Père : Et ben l’AEMO c’était déjà fini. puis c’est l’assistante sociale qui vous a proposé ou suggéré ?

Mère : Non, il me semble pas c’était…

Père : L’AEMO. C’est l’AEMO.

Mère : Euh…c’est l’AEMO qu’a fait venir le…. Non, c’est le SPJ qu’a fait venir l’AEMO, non ? Père : C’est l’AEMO qu’est…

Mère :Qu’a fait rentrer le SPJ en route, non …, attends…euh Père : La Passerelle, l’AEMO, le SPJ. C’est pas dur.

Mais qui l’a envoyée à la Passerelle alors?

Mère : Puis c’étaient eux qui nous avaient conseillés, c’était les écoles qui nous avaient conseillé ce truc là-bas…

D’aller à la Passerelle ?

Mère : Le Service psychologique scolaire quoi… nous avait conseillé là-bas.

Et eux, ils vous ont proposé le SPJ ou ils vous ont imposé le SPJ ? Père : Non, ah non.

Mére : Non, ça c’est l’AEMO.

Ah oui, alors à la Passerelle, ils vous ont proposé l’AEMO, ou ils vous imposé l’AEMO ?

Mère : Non proposé, puis sinon…puis c’est vrai qu’au début moi je savais pas trop. Puis là, quand on a discuté avec la psychologue, j’ai accepté qu’ils viennent voir à la maison comment ça se passait.

Puis l’AEMO, ils vous ont proposé le SPJ ou imposé le SPJ ? Mère : Bah ils sont … ils ont appelé le SPJ….

Père : Imposé, imposé.

Cet extrait d’entretien met en lumière le chemin tumultueux de certaines familles prises en charge par le système social.

Les familles A. B, D et E ont-elles aussi un parcours institutionnel plutôt chargé.

La famille A, a été suivie par l’AEMO, la CIMI et l’hôpital de l’enfance ainsi que par le SPJ depuis de nombreuses années, sans compter les passages par les voies juridiques (tribunal).

La famille B évoque plusieurs AS du SPJ, le BRAPA, un autre foyer d’urgence, l’hôpital de Prangin pour la mère, l’ORP, l’AI, le CHUV, une psychologue, un juge et la police.

Bien que son discours soit un peu confus et qu’il soit difficile de déterminer le rôle de chacun à travers le récit de la maman de Kevin, il semblerait que les différentes prises en charge soient nombreuses et diverses.

La famille D, quant à elle est suivie par le SPJ et a été prise en charge par l’AEMO avant que Caroline ne soit placée au Foyer. De plus, d’autres demandes avortées avaient déjà été déposées pour un placement au sein du Foyer, précédemment.

La famille E est suivie par le SPJ depuis plusieurs années. Sonia en est à son 5ème placement au Foyer depuis 2 ans. Pendant ses deux ans, elle a été suivie par des psys, a été placée en internat et s’est fait hospitaliser.

Les carrières institutionnelles présentées ici révèlent que le placement en institution constitue souvent une étape de plus dans un parcours déjà long, de prises en charge sociales. Ce constat interroge sur l’efficacité des différentes interventions proposées par le système social et le bienfondé de celles-ci. Il questionne aussi l’effet escompté des ces interventions.

Deux hypothèses se dégagent alors. L’une remet en question tout le système social et consiste à suggérer qu’il est totalement inefficace et inutile, ou qu’il n’est qu’un outil de contrôle pour l’état et non une solution potentielle de soutien, offerte aux familles qui en

auraient besoin. Cette hypothèse me parait assez simpliste et elle ne prend en considération qu’une partie de la problématique.

La seconde, qui me parait plus pertinente est que les familles concernées par le placement d’un enfant ne sont que celles sur lesquelles les autres prises en charge se sont montrées inefficaces.

Quoi qu’il en soit, la question demeure. Les effets positifs potentiels des différentes prises en charge existantes, justifient-ils les effets négatifs d’une carrière institutionnelle qui tend à stigmatiser ceux qui les trainent ?