• Aucun résultat trouvé

3. Méthodologie

3.2 La réalisation de la collecte de données de terrain:

3.2.2 Les entretiens d’admission

Lors de ces entretiens, j’ai pratiqué ce que Goffman appelle l’ « observation participante » qu’il définit de cette manière

« (…) elle consiste à recueillir des données en vous assujettissant physiquement, moralement et socialement, à l’ensemble des contingences qui jouent sur un groupe d’individus ; elle vise à pénétrer physiquement et écologiquement, dans le périmètre d’interactions (circle of response), propre à une situation sociale, professionnelle, ethnique ou autre. On se trouve ainsi aux côtés des individus, au moment où ils réagissent à ce que la vie leur réserve. Il ne suffit pas pour cela d’écouter ce dont ils parlent, bien sûr : il faut être à l’affût des moindres gémissements et grognements qu’ils émettent en réagissant à une situation » (1991, p.111)

J’ai donc non seulement noté le contenu des informations dispensées par les différents acteurs présents, mais également mes impressions concernant la charge émotionnelle

dégagée par chacun d’eux. Je me suis fortement imprégnée des différentes énergies perçues, au travers du ton utilisé, de la gestuelle ou des regards lancés.

Pour mener à bien cette recherche, ma plus grande difficulté a été la définition de mon propre rôle.

Au départ, il me paraissait important d’entamer ce travail de mémoire comme le ferait une étudiante, abordant un sujet, qui certes, l’intéresse mais auquel elle ne s’identifie pas. Au contraire, j’ai rapidement constaté que je me trouvais dans une forme de « conflit de loyauté » entre mes connaissances professionnelles qui influençaient immanquablement mon jugement, et mon statut de chercheuse, qui justement, se doit d’être attentive à ne pas se laisser influencer par des idées préconçues. Dans un souci éthique de transmettre les évènements de la manière la plus juste qui soit mais aussi pour ne pas avoir le sentiment de me trahir, je me suis retrouvée dans l’obligation de trouver un consensus qui puisse concilier mes deux statuts. J’ai ainsi négocié avec moi-même les moments où il était indispensable que je me conduise en chercheuse et les moments où je m’autoriserais à intervenir en tant que professionnelle.

Lors de la récolte de donnée de terrain mais aussi pour fournir une description précise du Foyer ou dans les différentes analyses que j’ai proposées, j’ai dû enfiler le costume de chercheuse et tenter d’observer, d’écouter et d’analyser ce qui se présentait à moi, de manière neutre et objective. Notons tout de même que la neutralité et l’objectivité sont des notions tout à fait utopiques puisque chacun ne peut analyser et percevoir qu’à travers ses propres représentations. (Tersigni, 2010, p.73)

Il était donc absolument impensable pour moi d’endosser le rôle d’éducatrice dans cette phase de récolte de données, cependant, il m’a été extrêmement difficile de m’extraire de mon statut de professionnelle pour endosser celui d’étudiante chercheuse. Le conflit intérieur que j’ai vécu durant les investigations de terrain a été constant et la lutte contre moi-même récurrente. En effet, j’ai dû, à de maintes reprises, réfréner mes reflexes de professionnelle et rester la plus discrète possible en induisant le minimum d’attitudes ou de discours chez mes interlocuteurs et ainsi, garder mon statut de chercheuse et ma relative neutralité.

La simple présentation de mon travail auprès des familles m’a posé problème. En effet, je ne savais pas s’il fallait que je me présente uniquement en tant qu’étudiante ou s’il fallait que je mentionne le fait que j’avais travaillé au Foyer en tant qu’éducatrice, de nombreuses années. Après réflexion, il m’a paru plus judicieux de me présenter en tant

sans mentionner mon lien avec le Foyer. Mon identification en tant que travailleuse sociale risquait, à mon sens de biaiser la relation que je pouvais établir avec les familles, de par l’image souvent négative que les usagers des différents services sociaux peuvent avoir du « social » en général.

Ces entretiens d’admission ont donc été pour moi, un concentré de frustrations professionnelles. En effet, bien que mon rôle fût celui d’observatrice, il m’a été très douloureux de ne pas intervenir dans certaines situations. Mais comme l’exprime Goffman, : « Il ne faudra pas vouloir à tout prix vous mettre en valeur et faire le malin par de bons mots. C’est très difficile, pour de jeunes chercheurs. (…) Il faut au contraire vous montrer niais» (1991, p.112)

Cette citation qui peut paraître très infantilisante ou faire passer les jeunes chercheurs pour des écervelés prétentieux décrit pourtant très bien le piège que j’espère avoir évité en en prenant conscience rapidement. Il ne s’agit bien entendu pas de « faire le malin » ou de

« se mettre en valeur » dans le sens péjoratif du terme mais bien de risquer, par excès de zèle, de passer complètement à côté de ce que l’on souhaite observer, et de générer des

Sur les douze enfants placés pendant la durée de la recherche de terrain, cinq familles ont accepté assez facilement ma demande.

Premièrement, toutes les familles n’étaient pas « abordables ». En effet, bien que potentiellement d’accord avec la démarche, des difficultés telles que la langue ou la situation familiale (parents hospitalisés, absents, …) m’ont obligée à renoncer à prendre contact avec certains parents.

Afin de récolter suffisamment de données J’ai donc dû procéder différemment de ce que j’avais prévu. Sur les cinq familles choisies, à la base, puis la 6ème, un peu plus tard, je n’ai pu assister à l’entretien d’admission que de trois d’entre elles, pour des raisons de temporalité et de disponibilité, principalement.

Lors de la prise de contact, certains des parents m’ont demandé quel était le but de cette recherche. Question tout à fait compréhensible de la part de personne à qui l’on demande

de révéler une partie de leur vie, et sans doute pas celle dont ils sont le plus fiers, à une inconnue. Généralement mes explications sur mon cursus universitaire ainsi que « l’aveu » de ma profession finissait de satisfaire la curiosité ou de calmer les angoisses des interviewés potentiels. Exception faite de la mère d’un enfant qui m’a alors interpelée sur le sens de ma démarche et son aboutissement. Quelles étaient mes intentions ? Sa question, en réalité, était teintée d’un léger reproche et bien que je sois incapable de la citer précisément, la teneur du propos était la suivante : Cherchais-je par cette étude à faire changer les choses et à améliorer le traitement réservé aux usagers et familles ou était-ce une démarche égoïste dans le seul but d’avancer dans mes études ? La question est légitime, pertinente, intelligente, même, et plutôt embarrassante, il est vrai. Ma réponse a d’ailleurs été assez vague et je me suis retrouvée dans la position que Goffman décrit de cette manière : « (…) la peur d’être démasquée et humiliée » Il dit à ce sujet que le risque est minime, cependant il ajoute : « Il vous faut donc imaginer une histoire. Au cas où l’on découvre la réalité sur vos activités, il faudra que votre histoire ne soit pas tout à fait un mensonge ». (1991, p.113) Mes activités n’étant pas inavouables, je n’ai pas ressenti la crainte d’être démasquée ou humiliée, néanmoins, je me suis sentie embarrassée pas la justesse de ce que sous-entendait cette question.

Ce que soulève cette interrogation révèle le souci de légitimité du chercheur.

J’ai également perçu, dans cette remise en question, une intention de sa part, de tirer quelque bénéfice de la situation, Une forme de « donnant-donnant ». Quelque chose du type : « Je vous offre mon témoignage en échange de quoi vous faites savoir au monde comme je suis traitée ». Une forme de marché s’est alors conclu entre nous.