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Le concept d’Innovation aurait pris une grande ampleur dans le “monde de l’Education National” ces dernières années, de part son inscription dans les diverses lois d’orientation et de programmation pour l’avenir de l’école (du 23/04/2005), circulaire de rentrée 2010, Programme ECLAIR (BO n°27 du 07/07/11 et circulaire n° 2011-071 du 02/05/11), sans parler du référentiel des compétences de l’enseignant (arrêté du 12/05/10).

Concrètement, dans le Vade-Mecum “Innover pour une école des réussites” 131 l’innovation en éducation “ désigne une initiative locale impulsée par des équipes pédagogiques ou éducatives”.

A l’apogée de cette aspiration à Innover en éducation, est créé par le ministère de l’EN, en 2012, le réseau social des professionnels de l'éducation consacré à l'innovation,

Respire132, visant la mutualisation des pratiques de veille (personnelle et partagée), des travaux collaboratifs et la création de communautés de pratiques.

Il s’agirait donc, du point de vue institutionnel, de développer et de promouvoir une culture commune de l’Innovation, à grand renfort de promotion.

Pourtant, d’après E. Bruillard133 (2008) :

S’il faut certainement prendre garde à des discours d’innovateurs et de « technologues » soucieux de « prouver » l’intérêt des technologies dont ils font la promotion, il faut également se méfier de la mode actuelle des recherches autour des usages. En effet, le discours prescriptif des autorités éducatives françaises tourne autour de la nécessaire « généralisation des usages ». Or, « usage » (pour le sociologue) implique une certaine stabilisation, mais sous-tend (pour le prescripteur) une vision holistique pas toujours bien explicitée et assumée. Si on s’accorde sur l’absence de déterminisme technologique, s’affiche un volontarisme pour transformer la situation courante en une nouvelle situation censée être meilleure, associant les technologies, sans que l’on sache toujours en quoi elle serait meilleure [Baron & Bruillard 2004].

Il rejoint ainsi Schumpter (in Alter N.134, 2000), pour qui, l’invention technologique qui n’aurait pas d’incidence systématique sur les usages, ne suffirait donc pas à induire une innovation, mais aussi N. Alter, lui-même, lorsqu’il évoque les innovations dogmatiques, ou transformations sociales d’un usage, qui ne peuvent que difficilement être imposées. En lien avec ces propos rapportés, l’innovation résiderait, selon Alter, dans l’adoption par un groupe étendu d’une invention, d’un fonctionnement différent de ceux en usage.

131 M.E.N.E.S.R. (2011). Innover pour une école des réussites : un vade-mecum pour accompagner l’innovation . Repéré à

http://eduscol.education.fr/cid58593/innover-pour-une-ecole-des-reussites-vade-mecum.html

132 M.E.N.E.S.R. (2012). Respire. Repéré à http://respire.eduscol.education.fr/

133 BRUILLARD, E., 2008, Travail et apprentissage collaboratifs dans des formations universitaires de type

hybride. Éléments de réflexion, Education et Formation, n°288, pp. 55-64

Le fonctionnement d’un groupe social serait donc perturbé par une déviance de comportement de quelques-uns de ses membres. On ne parlera alors d’innovation que lorsque les pratiques des « déviants » seront intégrées par la majorité des membres du groupe, au point de devenir banales et d’induire une nouvelle norme de rapport entre les membres.

Il est à noter que le groupe social initial peut être largement bouleversé par l’adoption d’une innovation : son effectif et sa composition peuvent changer ainsi que sa localisation. Il convient donc mieux de considérer l’innovation comme l’intégration d’une invention au sein d’une « forme sociale »

Les formes sociales

A la différence d’un groupe, la forme sociale ne définit pas un ensemble selon une frontière, mais selon les forces en jeu dans la cohésion entre les individus qu’elle agrège. C’est alors le partage d’idées et de pratiques qui lient les éléments de la forme. Un individu peut ainsi adhérer à plusieurs formes et se détacher de certaines, s’il adopte une posture de déviance inhérente à une innovation. L’adoption d’une innovation opérerait ainsi un changement sur la forme sociale la plus présente dans un groupe (ou en créerait une nouvelle), en mettant en place de nouvelles forces de cohésion autour de l’adoption d’une nouvelle pratique.

Les connections interpersonnelles induites par les caractéristiques individuelles et contextuelles constituent ainsi un maillage de forces entre les individus, qui selon l’intensité de ses liens et sa plasticité vis-à-vis des perturbations extérieures, rendrait la forme sociale plus ou moins réfractaire aux changements (G. Simmel135 parle de “cristallisation des formes sociales”, 1896).

Un exemple de force particulièrement cristallisante pour une forme sociale serait celui du paradigme. Une forme sociale construite autour d’un paradigme semble particulièrement réfractaire à la déviance des individus qu’elle agrège. En effet, sans perturbation extérieure ou évolution notable du contexte, les principes de fonctionnement induits par le paradigme partagé ne semblent pas pouvoir évoluer. En cas de perturbation extérieure, la déviance individuelle remettant en cause le paradigme sera ressentie comme une menace pour l’existence même du groupe social, soudé autour de cette forme. Les réactions iront alors dans le sens de la consolidation du paradigme, soudant ainsi la forme, ou vers l’éviction du déviant.

Les forces d’évolutions - Extérieures :

Il s’agit de perturbations contextuelles auxquelles les formes sociales adaptent leurs forces de cohésion, par confort ou par nécessité de survie. Selon le degré de cristallisation et l’importance de la forme dans l’espace social en jeu, l’influence de ses perturbations se fera plus ou moins ressentir. Un autre facteur à prendre en compte est la structuration interne de la forme. Une forme fondée sur une organisation « officielle » aura une forte inertie d’évolution du fait de sa structuration « légiférant » les liens internes entre individus (structure pyramidale). Une forme fondée sur des liens informels (structure rhizomatique) sera susceptible de s’adapter naturellement, en relayant la perturbation suivant des forces intérieures (propagation d’ordre « viral »).

135 SIMMEL, G. (1896-1897). Comment les formes sociales se maintiennent. Repéré à

- Intérieures :

En considérant la forme comme un organisme, la déviance de l’un de ses éléments peut se propager de proche en proche, suivant les « liens faibles » entre les individus, selon que chacun trouve ou non, un confort ou un intérêt personnel dans l’adoption du nouveau comportement. Toutefois, des liens forts tels que ceux générés par les hiérarchies, les lois, ou les paradigmes peuvent s’opposer à la propagation du changement si celui-ci est perçu comme une menace pour le système social institué.