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Chapitre I : Rivalités mimétiques et conflit israélo-arabe

IV. Une décennie de modernisation : 1956 –

2. La FDI à l’épreuve de la guerre

2.1. Les infiltrations

Ainsi au tournant des années 1940 et 1950, même s’il n’existe pas de véritable danger pour la survie de l’Etat autre que celui posé par les armées arabes, les forces armées israéliennes doivent, toutefois, faire face à de nombreuses infiltrations à partir des territoires frontaliers. Ces infiltrations vont mener au développement à la fois de nouvelles unités105, comme les gardes-frontières, et à la pérennisation du rôle des colonies frontalières dans la défense du territoire.

Ces infiltrations sont surtout le fait de réfugiés106, qui tentent de rejoindre leurs anciens foyers afin de récupérer quelques biens ou de retrouver des proches restés sur place. En effet, les nouvelles frontières issues des lignes d’armistice ne renvoyaient à aucune réalité géographique naturelle ou même culturelle. De fait, pour les populations de la région elles ne représentaient rien, ce qui favorisait leur franchissement, d’autant plus que les populations palestiniennes réfugiées dans des camps de fortune dans les pays voisins espéraient toujours rejoindre leurs foyers le plus tôt possible ; les conditions socio-économiques désastreuses dans lesquelles elles

105 Sur le développement de capacités israéliennes pour répondre à la menace des infiltrations, voir Martin Van Creveld, op.

cité, pp.206-210 et Pierre Razoux, op. cité, pp.134-140

106 Pour de plus amples détails sur ces infiltrations, voir Henry Laurens, La question de Palestine, tome 3, éd. française,

se trouvaient, poussaient certains à franchir les lignes d’armistice pour tenter de récupérer quelques affaires ; mais c’est aussi, parce que ces populations avaient du mal à se résigner à la spoliation des leurs terres qui avaient été réattribuées à des communautés agricoles ou des familles israéliennes.

Si la majorité de ces infiltrations sont donc le fait d’individus miséreux et désespérés, certaines donnent lieu à des exactions violentes, motivées par la vengeance. Par ailleurs, certaines denrées alimentaires étant subventionnées en Israël, la contrebande se développe dans les zones frontalières. Au début des années 1950, on dénombre entre 10 000 et 15 000 infiltrations par an. Entre 2700 et 5000 « infiltrés » sont tués par les forces israéliennes entre 1949 et 1956 et entre 200 à 300 Israéliens sont tués au cours de ces infiltrations, en particulier des habitants des colonies frontalières; auxquels on doit ajouter entre 500 et 1000 blessés, sans parler des dommages matériels très importants.

Les nouvelles forces de défense israéliennes adoptent trois types de réaction pour faire face aux infiltrations : l’établissement de nouvelles colonies sur la frontière afin de créer une sorte de cordon de « containment » :

« la plupart de ces colonies étaient peuplées de nouveaux immigrants, mais quelques-unes avaient été fondées par des garinim (noyaux) de jeunes conscrits de la FDI ; ceux-ci avaient constitués un corps spécial connu sous le nom de NACHAL (Noar chalutsi Lochem) ou « Jeunes pionniers combattants ». Après leur formation commune de base, ils avaient accompli leur service militaire au sein de ces colonies et étaient généralement demeurés sur place une fois libérés de leurs obligations. »107.

Comme avant 1948, ces colonies étaient équipées de dispositifs de défense (barbelés, mines, pièges et armes, gardes). Or, ces nouveaux dispositifs ne font que renforcer la détermination des infiltrés en incitant ces derniers à recourir à des modes opératoires plus sophistiqués : explosions des installations agricoles, sabotage,

embuscades le long des routes utilisées par les secours. La défense des colonies devient rapidement un fardeau pour leurs habitants, qui travaillent la terre le jour et défendent les colonies la nuit.

Elles avaient joué pendant la guerre d’indépendance un rôle de barrière contre les forces d’invasion, devant retarder la percée ennemie jusqu’à l’arrivée des forces régulières. Dans la pratique, elles avaient dû être rapidement évacuées, car il n’était pas acceptable de laisser des civils, même armés, affronter la menace de l’artillerie et des blindés ennemis. L’enjeu du maintien du système de défense des colonies relève donc à cette époque en grande partie de motivations idéologiques comme le rappelle Martin Van Creveld :

« la question des colonies et de leur défense fut, au cours de la période considérée, lourde de sous-entendus politiques et idéologiques. Aux yeux des partis socialistes au pouvoir, les colonies tout autant que la FDI, représentaient l’essentiel de la richesse de Erets Yisrael ; l’armée pouvait conquérir des territoires, mais seuls les kibbutsim et les moshavim pouvaient les faire vivre, les « libérer » de leur misère et en faire des terres juives. Ainsi, la gauche du gouvernement israélien, comme les partis qu’elle représentait, étaient enclins à exagérer le rôle joué par la Hagana merchavit (la défense territoriale) tant avant l’indépendance que durant la guerre de 1947-1949 et insistaient pour que ses unités

demeurent un élément important de la défense du pays. »108

En effet, à cette époque, un débat agitait les milieux politiques et de défense du jeune Etat autour du modèle de forces à adopter : certains penchants pour un modèle de type helvétique, accordant une place prépondérante aux forces miliciennes chargées de la défense des frontières, alors que les autres prônaient la constitution d’une force armée régulière. Ce débat ne fut réellement tranché en faveur des seconds qu’au milieu des années 1950, lorsque les infiltrations tendirent à décliner.

Face à la faiblesse des colonies pour assurer leur propre sécurité, la FDI créa une unité spéciale, les gardes-frontières pour assurer leur sécurité.

« Cette unité incorpora des volontaires dégagés de leurs obligations militaires; beaucoup d’entre eux appartenaient à des minorités – Bédouins, Druzes, Circassiens – et s’avérèrent particulièrement bien adaptés à ce genre de travail, maniant parfaitement des armes légères, bons pisteurs, maîtres dans l’art d’exploiter le terrain, connaissant bien la langue arabe et surtout peu délicats quant aux moyens utilisés. Administrativement, cette unité dépendait – et dépend toujours – de la police qui, théoriquement, était responsable des opérations de routine telles que patrouilles (siyurim) et embuscades (maaravim), tandis que la FDI se tenait en réserve opérationnelle. En pratique toutefois, ces organisations étaient interchangeables du fait qu’elles portaient toutes deux des uniformes, accomplissaient toutes missions (sauf que les gardes étaient censés ne pas franchir la frontière et poursuivre l’ennemi) et

qu’elles étaient employées selon leurs disponibilités. »109

Enfin, les forces de la FDI mènent des raids punitifs contre les villages arabes censés abriter les infiltrés. Ces raids doivent exercer une « dissuasion directe », sur les gouvernements autant que les populations arabes, accusés d’encourager ces infiltrations. Ces raids suivent à peu près toujours le même opératoire : une attaque du village ciblé à l’artillerie et à l’arme aérienne pour préparer l’assaut des troupes au sol qui ont, précédemment, encerclé la zone afin d’empêcher la fuite des habitants. Ce mode opératoire sera repris en de nombreuses occasions par l’armée israélienne au cours de ces campagnes de pacification dans les zones rurales du Sud Liban ou de Cisjordanie. Souvent, au cours de ces raids, les forces jordaniennes et égyptiennes tentent de s’interposer pour protéger les habitants et tombent dans des embuscades tendues autour de la zone par les soldats israéliens. Au cours de ces raids, les soldats de la FDI se laissent aller à des pratiques brutales qui nuisent à l’image du nouvel Etat110.

109Voir Martin Van Creveld, op. cité, p.202

110 Martin Van Creveld décrit ainsi la violence des méthodes employées : « la FDI vengeait les massacres de civils en

abattant indistinctement les infiltrés, dont certains étaient parfois sans armes ou s’étaient déjà rendus, torturaient les prisonniers et mutilait les cadavres. Comme si elle voulait prouver qu’une guerre qui se prolonge tend à uniformiser les

L’effet des raids est ambivalent : la réaction des forces jordaniennes et égyptiennes oscillant entre répression des infiltrés et raids de représailles contre les forces israéliennes et les colonies établies dans les zones frontalières. Les opérations, menées contre des civils, ont un effet néfaste sur le moral des troupes israéliennes. L’échec de certains raids (Wadi Fukin, Beit Sira, Beit Awa, Idna, Rantis, Beit Jalla et

Falameh) décrédibilisent, par ailleurs, les forces israéliennes aux yeux de leurs

ennemis. Devant ce désaveu, aussi bien politique que militaire, l’Etat-major décide en 1953 de mettre sur pied l’ « unité 101 », commandée par Ariel Sharon, pour mener des opérations commandos contre les villages abritant les auteurs d’infiltrations (Bureij). Cette unité est par la suite intégrée à un bataillon de parachutistes. Ensemble, ces forces constituent l’« unité 202 », dont un des premiers faits d’armes est un raid particulièrement meurtrier contre le village jordanien de Kibiya. Les exactions de l’unité 202 ne tardent pas se retourner contre le gouvernement qui doit faire face aux critiques internationales.

En décembre 1953, Ben Gourion abandonne ses fonctions de Premier Ministre et de Ministre de la Défense. Moshe Dayan, sur ses recommandations insistantes est nommé chef d’Etat-major et Moshe Sharett devient, quant à lui, Premier Ministre. L’année 1954 est témoin d’une dangereuse escalade sur la frontière jordanienne : les patrouilles israéliennes y sont attaquées de plus en plus fréquemment; les infiltrés s’en prennent également à des cibles civiles (transports de voyageurs, paysans enlevés ou tués), sans compter les nombreux dommages matériels. En dépit des représailles systématiques, les gardes-frontières et l’unité 202 n’arrivent pas à enrayer la menace des infiltrations.

Moshe Sharett décide alors de tenter de briser le cycle de la violence en interdisant les raids punitifs contre les populations civiles. Les affrontements qui opposent désormais les forces israéliennes à des forces armées régulières, la Garde nationale jordanienne, redonnent du moral aux troupes. Les parachutistes acquièrent rapidement un grand prestige au sein de l’institution militaire et de la société

comportements des adversaires, la FDI avait aussi tendance à s’en prendre aux biens, à voler les troupeaux, arracher les poteaux électriques, etc. », voir op. cité, p.202

israélienne. Ceux-ci sont équipés du nouveau pistolet-mitrailleur Uzi et leurs effectifs triplent en quelques années, atteignant la taille d’une brigade.