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Chapitre I : Rivalités mimétiques et conflit israélo-arabe

III. La marche vers l’indépendance : la régularisation des forces armées sionistes

1. Baptême du feu

A la fin de la guerre, la situation devient rapidement intenable en Palestine. Les forces de la Haganah, du Lehi et de l’Irgoun attaquent les intérêts britanniques, civils et militaires. Les premiers affrontements avec les forces anglaises éclatent en octobre 1945. La couronne envoie 80 000 nouveaux soldats en renfort et un comité anglo- américain est mis en place pour étudier la situation. Les forces sionistes coalisées redoublent leurs actions, menant plusieurs raids contre les voies ferrées et attaquant des militaires britanniques. Les forces anglaises mènent en représailles une vaste campagne de répression contre la Haganah, arrêtant plus de 2500 personnes. En réaction, l’Irgoun fait exploser les bureaux de l’administration civile britannique installés dans l’Hôtel King. Le Haut-Comité arabe se reforme sous la direction du Parti arabe de Palestine et du mufti de Jérusalem, qui coordonne les actions à partir de l’Egypte. Du fait de son exil, il est devenu pour la paysannerie arabe un véritable symbole. Face à la situation qui dégénère, les Britanniques décident de remettre le sort du mandat entre les mains de l’ONU à partir de 1947. Le plan de partage, déséquilibré, est refusé par le camp arabe. Au contraire, pour les sionistes c’est une grande victoire; leur Etat obtient enfin une reconnaissance internationale.

Décidées à établir un Etat juif en Palestine en dépit de l’opposition du camp arabe, les forces armées liées à la Haganah sont désormais capables de livrer des

combats à grande échelle, avec des forces structurées en unités combattantes au sein du PALMACH. Elles sont appuyées par les CHISH, le corps de bataille et la défense territoriale (CHIM78), regroupant les combattants en unités locales, plus ou moins entraînées. A côté de ces forces régulières, on trouve les forces de l’Irgoun et du

Lehi, agissant sur des modes empruntant au terrorisme et à la guérilla. En face, on

trouve les forces arabes d’Abdel Qader al Husseini (al jihad al muqadas, « le saint jihad »), renforcées par des volontaires arabes (jaysh al inqadh al ‘arabi, «armée du salut arabe »), dont l’équipement est financé par la Ligue arabe79. Leur stratégie vise essentiellement à couper les lignes de communication entre les différentes implantations juives.

Les combattants arabes sont les premiers à faire le coup de feu. Ils attaquent des colonies juives et des convois. La Haganah reste au départ dans une position défensive, cherchant seulement à protéger les implantations juives et les voies de communication. De février à avril 194880, la Haganah reprend l’initiative. Au cours de cette période, les forces sionistes s’emparent de la majorité des zones urbaines du littoral, donnant lieu à une première vague de départ de la population arabe. A partir d’avril, la Haganah met en œuvre le plan Dalet, conçu par Yigal Yadin afin de créer une contiguïté territoriale entre la zone de l’Etat juif et les colonies restées en territoire « arabe ».

Comme le rappelle Henry Laurens, le plan Dalet avait avant tout pour but

« la pacification des régions d’implantation juive, ce qui signifie la reddition des villages arabes, l’expulsion des populations et la destruction des maisons. Le sens fondamental du plan est l’élimination des forces hostiles à l’intérieur du territoire du plan de partage et dans les régions que l’on peut annexer en plus ; il faut assurer une continuité à l’espace juif en constitution et permettre l’établissement de limites de sécurité pour le futur Etat. Toutes les populations arabes sont considérées comme hostiles. Les accords de non-belligérance sont annulés. Tout en affirmant

78 Les CHISH (Chel Sadeh ou « force de campagne »), remplacent les nodedot et les FOSH, et comptent 3300 combattants.

Le CHIM (Chel Mishmar ou « force territoriale ») compte un grand nombre de combattants, puisqu’il regroupe l’ensemble des milices chargées de la défense territoriale.

79 Sur les oppositions entre la Ligue des Etats arabes et le mufti de Jérusalem, voir Henry Laurens, La question de Palestine,

vertueusement leur attachement au plan de partage, les responsables sionistes préparent des annexions supplémentaires justifiées par des

raisons de sécurité.»81.

Les forces sionistes progressent rapidement. Dans les principales villes du pays, Haïfa, Tel Aviv et Jaffa, elles terrorisent les populations arabes pour les pousser à la fuite. Ne rencontrant pas de réelle résistance au cours de l’offensive (opération

Nashon), à la mi-mai, les forces sionistes contrôlent l’ensemble du territoire, sauf le

corridor de Jérusalem et la vieille ville, où sont présents les Jordaniens. Le 9 avril, les forces de l’Irgoun et du Lehi, avec l’appui de l’artillerie de la Haganah, entrent dans le village de village de Deir Yassin, un village situé sur la route menant à Jérusalem, où ils tuent plus d’une centaine de villageois. La rumeur du massacre se répand rapidement et encourage les populations arabes à fuir. Le 14 mai 1948, lorsque l’Etat d’Israël est proclamé, plus de 300 000 personnes ont déjà fui vers les zones frontalières.

Le lendemain, les forces coalisées arabes envahissent la Palestine et enfoncent la ligne de défense des kibbutzim le long des frontières. Jusqu’au 11 juin, date du premier cessez-le-feu, les combattants du nouvel Etat tentent de contenir puis de repousser l’assaut des forces arabes. Le 6 juillet, les forces israéliennes lancent une contre-offensive et repoussent l’ensemble des forces armées arabes, à l’exception de la légion jordanienne qui se retire de la poche du Latrun vers la vieille ville de Jérusalem. Au cours de l’été82, les forces israéliennes achèvent la conquête de la Galilée. En octobre, elles s’emparent du Néguev et repoussent les forces égyptiennes et une partie de la population vers la bande de Gaza.

Les affrontements avec les forces armées arabes ont fait la preuve de la supériorité au combat des forces sionistes. Si elles paraissent au départ désavantagées

80 Sur les affrontements de 1947-48, voir Henry Laurens, idem, locations 1660-1940 ; sur la guerre avec les forces armées

arabes et le sort des réfugiés palestiniens, idem, locations 2238-3463 ; voir en annexe 10 la carte des offensives de 1947/48 et la situation d’Israël en 1949 ainsi que la carte des mouvements de population en annexe 11

81 Henry Laurens, Paix et Guerre au Moyen-Orient, 2e Ed., Armand Colin, Paris, 2005, p.85 ; voir également sur les

opérations et l’exode de la population palestinienne, Henry Laurens, La question de Palestine, T.3, Fayard, 2007, pp.99-252

82 Sur les opérations Yoav et Hiram, voir Henry Laurens, La question de Palestine, tome 3, éd. française, édition Kindle,

par leur infériorité numérique, leur ardeur au combat et leur intelligence tactique vont leur permettre de renverser le rapport de force. Si les armements (armes automatiques légères et mortiers artisanaux), en grande majorité hérités de la Première guerre mondiale, sont largement surannés, voire obsolètes, en comparaison de ceux des forces armées qui avaient pris part aux combats de la seconde guerre mondiale, ils n’en constituent pas moins une puissance de feu bien supérieure à celle des combattants arabes. Par ailleurs, leur degré d’organisation, bien que beaucoup plus faible que celui des forces armées étatiques de l’époque, est sans commune mesure avec celui de leurs adversaires arabes. Les forces arabes palestiniennes sont handicapées par les rivalités de pouvoir entre le mufti al Husseini et le leader de la force panarabe de volontaires, Fawzi al Qawuqji. Le premier n’a pas mesuré les profonds changements opérés par la Seconde Guerre mondiale dans la région. Il pense qu’il peut refuser le plan de partage et engager une nouvelle révolte sur le modèle de celle de 1936. Pour cette raison, il va concentrer les efforts de ses forces, conduites par son neveu, Abdel Qader al Husseini, sur les voies de communication reliant les différentes colonies. Ce faisant, il démontre qu’il n’a pas pris la mesure de la profonde transformation qu’ont subie les forces adverses.

Ses quelques 3000 combattants, auxquels sont venus portés renfort 5000 volontaires arabes, dont une grande majorité de Frères musulmans, vont être rapidement balayés par les forces de la Haganah, beaucoup plus nombreuses (30 000 hommes), mieux structurées et mieux équipées. Les forces armées de la Haganah, dont la formation la plus importante ne dépasse pas la taille de la brigade, possèdent déjà quelques chars et jeeps équipées de mitrailleuses lourdes, ainsi qu’un embryon de forces navales et aériennes. Mais, la formation des fantassins et des autres unités restent relativement sommaires et leur expérience du feu très réduites, voire pour certains inexistantes. La qualité des officiers est plutôt une affaire personnelle que le reflet d’un véritable savoir-faire en matière de commandement.

Au cours des affrontements de 1947-48, puis de l’affrontement avec les forces armées arabes coalisées83, l’arme blindée constitue un atout décisif pour les forces armées israéliennes. D’un rôle de protection et de soutien de l’infanterie lors de la

bataille des routes, pour parer aux embuscades, les chars évoluent au cours de la guerre d’indépendance vers un rôle beaucoup plus offensif. Vers la fin de la guerre, la 8e brigade de Sadeh commence à mener des raids dans la profondeur du territoire ennemi, en mettant l’accent sur la mobilité. Les forces arabes, au contraire, conservent l’emploi des blindés comme protection de l’infanterie.

L’enthousiasme de ces formes armées de la première heure et la perspective de la réalisation des aspirations nationales attendues depuis près d’un demi-siècle, permit à ces forces de remporter de réels succès face aux irréguliers arabes et aux armées arabes, à l’exception de la Légion jordanienne. Si le rapport de forces paraissait relativement peu favorable aux forces du jeune Etat hébreu lorsque les armées arabes entrèrent en Palestine, leur inexpérience du combat de haute intensité joua en leur défaveur84; ces Etats sortaient, eux aussi, tout juste de l’indépendance. Par ailleurs, ces forces armées se sont révélées incapables de se coordonner. Enfin, les forces arabes qui ont pris part aux combats étaient, en réalité, inférieures en nombre (24 000 hommes).

La défaite des forces armées arabes85 est militaire mais surtout politique. Seule la Légion jordanienne a réussi à conserver sa position dans la partie orientale de Jérusalem. Entre 400 et 450 000 Palestiniens ont fui ou ont été expulsés de leurs foyers. Sur les 860 000 Palestiniens que comptaient la communauté arabe de Palestine, seuls restent 133 000 à l’intérieur du nouvel Etat israélien. 470 000 ont rejoint les camps installés dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Plus de 250 000 ont trouvé refuge dans les pays voisins.

De leur côté, les Israéliens refusent de considérer la question comme le montre la réponse israélienne au gouvernement américain du 27 juillet 1948 :

83 Pour une analyse des opérations de la guerre d’indépendance (1ère et 2e phases), voir Martin Van Creveld, op. cité, pp.129-

153 et Pierre Razoux, op.cité, pp.63-99, voir également l’annexe 10

84 Sur les faiblesses des armées et des commandements arabes, voir Henry Laurens, La question de Palestine, tome 3, éd.

française, édition Kindle, Fayard, 2007, locations 560-594

85 Sur le bilan de la guerre, voir Henry Laurens, La question de Palestine, tome 3, éd. française, édition Kindle, Fayard,

« Le gouvernement israélien décline toute responsabilité pour la création de ce problème. L’accusation que ces Arabes ont été expulsés de force par les autorités israéliennes est totalement fausse ; au contraire, tout a été fait pour empêcher un exode qui est le résultat direct de la déraison des Etats arabes qui ont organisé et lancé une guerre d’agression contre Israël. Le mouvement de départ des populations arabes civiles hors des zones de guerres, afin d’éviter d’être impliquées dans les hostilités, a été délibérément conçu par les chefs arabes pour des raisons politiques. Ils ne souhaitent pas que la population arabe continue de mener une existence pacifique dans les régions juives et ils souhaitaient exploiter l’exode comme une arme de propagande dans les pays arabes voisins et le monde extérieur. Cette politique inhumaine a maintenant placé les gouvernements concernés avec les problèmes pratiques dont ils doivent accepter la pleine responsabilité.

La question du retour des réfugiés arabes ne peut être séparée de son contexte militaire. [...] La question générale pourra seulement être considérée comme un élément du règlement global de paix avec les Etats

arabes. »86

Avec la fin des combats se mettent donc en place les ressorts des conflits postérieurs qui opposeront Israël aux Etats arabes mais aussi un des mythes fondamentaux de l’histoire officielle israélienne. Au cours de ces épisodes du conflit israélo-arabe, les Palestiniens, pourtant principales victimes, continueront d’être absents des négociations. La quête d’une reconnaissance officielle du mouvement national palestinien et de sa légitimité à parler en son nom dans les négociations de paix avec Israël va devenir le fil rouge de la lutte palestinienne pendant plus d’un demi-siècle. A partir des années 1980, le courant des « nouveaux historiens » israéliens87 remettra en cause la thèse du départ volontaire des réfugiés et mettra au

86 Le texte de cette correspondance diplomatique est issu des archives du Foreign Relations of United States, 1948, T. V/2,

p.1248-1249, Washington, 1976, cité par Henry Laurens, Paix et guerre au Moyen-Orient. L’Orient arabe et le monde de

1945 à nos jours, 2 éd., Fonds classiques Armand Colin Sedes, Armand Colin, Paris, 2005 p. 94 ;

87 Sur le traitement de la question palestinienne par les nouveaux historiens israéliens, on pourra se reporter à l’excellent

ouvrage d’Ilan Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, trad. française, Fayard, Paris, 2008. Voir également l’article d’Avner Ben Amos, « La mémoire nationale », dans Alain Dieckhoff (dir.), L’Etat d’Israël. Les grandes études

jour un certain nombre de violences commises pendant ce que les Israéliens appellent « la guerre d’indépendance ».