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Individualisation et désynchronisation des temps sociaux

Chapitre 1 – De la désynchronisation à la resynchronisation des temps sociaux

3. Individualisation et désynchronisation des temps sociaux

Penser le rapport entre l’individu et le collectif est très stimulant d’un point de vue sociologique, car il fait référence au débat fondateur entre holisme et individualisme méthodologique. Ce second point théorique va nous permettre d’identifier les liens, supposés antagonistes, entre phénomène collectif et action individuelle. Après avoir décrit le temps comme un construit social, il convient maintenant de retourner l’angle d’approche et de s’interroger sur l’appropriation de ce phénomène par les individus. Cette démarche nous permettra d’une part de prendre la mesure du phénomène d’individualisation censé caractériser la modernité et, d’autre part, de mettre à jour le processus central à ce travail de thèse : « la désynchronisation des temps professionnels ».

3.1. De l’individu à l’individualisation au travail

Nous nous attacherons premièrement à déconstruire l’opposition entre l’individu et le collectif, en présentant une sociogenèse de l’individu, puis nous présenterons quelques travaux sociologiques majeurs dans ce sous-champ en pleine structuration. Enfin, nous présenterons des travaux relatifs aux effets de l’individualisation dans le monde du travail.

3.1.1. Sociogenèse de l’individu

Sans entrer dans le débat sur les origines des civilisations et tout en excluant une approche biologiste32, il est nécessaire de considérer l’holisme fondateur (Berger et Luckmann, 1986 [1966] ; Lévi-Strauss, 1983) comme le point de départ du fait social. Ce présupposé étant nécessaire à la compréhension du phénomène d’individualisation des sociétés occidentales et ce, même si le « holisme » est davantage un modèle qu’une réalité. « La vie collective n'est pas née de la vie individuelle, mais c'est, au contraire, la seconde qui est née de la première », nous rappelle Durkheim (2013b [1893], p. 332).

32 Selon l’approche biologiste, la civilisation humaine a pu émerger suite à l’augmentation du volume crânien auquel aurait succédé une augmentation de l’intelligence elle-même nécessaire au développement du langage(Kaufmann, 2001).

56 Considérant que l’individualité n’est pas une caractéristique innée de l’être humain, mais qu’elle s’est socialement construite, il est possible de remonter à ses origines, d’en faire la sociogenèse. Comme le rappelle à juste titre de Singly (1996), les individus ont toujours existé, ce qui est « nouveau » c’est le fait de se revendiquer comme un individu. À l’individu produit de « l’Amour » (Singly, 1996) ou de l’originalité (Simmel, 2013 [1903]) Kaufman préfère l’individu produit de la « Science » (Kaufmann, 2001). Il distingue à ce titre deux grands moments de l’individualisme. Les Lumières33 et la fin du XXe siècle. Au cours des Lumières, l’individu, calculateur, car doué de raison, ne va cesser de s’imposer dans toutes les sphères de la société et particulièrement dans la sphère économique. Ce mouvement puisera également sa légitimité dans le concept de droit qui ne peut s’établir sans définir des individus responsables de leurs actions et donc autonomes. L’individu devient dès lors « l’unique catégorie qui ne doive pas être interrogée » (Wagner, 1996, cité par Kaufman, 2001).

Hier, la socialisation, « opérateur magique », permettait de savoir comment la vie sociale était possible. Elle permettait d’expliquer comment les individus s’adaptaient à une société et comment la société se dotait en retour d’un certain type d’individus (Ibid.). Or, les sociologues ont vite appris des anthropologues que la socialisation est différenciée, qu’elle varie selon les cultures et selon les groupes sociaux. La distinction entre socialisation primaire (durant la prime enfance) et secondaire (tout au long de la vie) introduite par Berger et Luckmann (1966) met un terme à une conception unique et finie de la socialisation qui devient dès lors une réalité ouverte et multiple. Le désajustement des individus à certaines situations, « dans la mesure où les principaux traits de l’acteur ne peuvent plus être ramenés entièrement à une position sociale conçue d’une manière unitaire et homogène », explique en quoi les sociologues vont s’intéresser davantage à l’individu lui-même (Martuccelli, 2005).

La sociologie dispose de trois grandes stratégies intellectuelles pour étudier l’individu, chacune associée à une problématique spécifique et à un questionnement différent (Martuccelli, 2005).

La première approche est celle de la subjectivation. Il s’agit d’une structure analytique directement associée à la question de l’émancipation humaine, avec l’existence d’un sujet collectif capable d’incarner le sujet personnel dans une lutte contre l’assujettissement. La

33 Bien que les Lumières entretiennent, selon lui, un rapport ambigu avec l’individualisme, remplaçant la religion par la raison sans pour autant remettre en cause l’intégration holistique, c’est bien cette poussée de la raison qui va entraîner l’accélération du développement de l’individualisme.

57 lecture classique est celle du prolétariat, acteur collectif, sujet de l’histoire et qui se dote de sa propre conscience dans sa lutte contre le capitalisme. Les dimensions proprement individuelles sont quasiment « sans valeur » pour l’analyse marxiste, tant il s’agit d’une représentation collective. « Le rapport à soi est toujours étudié comme le résultat d’une opposition entre les logiques du pouvoir et leur contestation sociale » (Ibid.).

La deuxième approche est celle de l’individuation, qui s’attache à étudier les conséquences individuelles de la modernité. Il s’agit de s’attacher aux conséquences individuelles des changements sociaux et donc de décrire les processus historiques et sociaux qui sont à l’œuvre.

L’individuation doit alors être associée à la complexité d’une société. Les individus appartiennent à une diversité de cercles sociaux (Simmel, 1999 [1908]), ils interagissent avec un nombre toujours plus important d’autres individus, ils sont soumis à des environnements sans cesse renouvelés et accomplissent des tâches sociales chaque fois différentes. À une société différenciée vont donc correspondre des individus fortement singularisés (Ibid.). Les premières recherches portent sur les facteurs d’individuation et sur les représentations historiques de l’individu (Mauss, 1938) avant de se porter progressivement sur les expériences proprement individuelles.

La troisième approche, qui connaît un véritable renouveau depuis une vingtaine d’années en Allemagne comme en France (Bauman, 2001 ; Beck, 2003 [1986] ; Dubet, 1994 ; Ehrenberg, 1995 ; Giddens, 1994 ; Kaufmann, 2001 ; Lahire, 1998 ; Martuccelli, 2002 ; Singly, 1996) correspond à l’étude du phénomène « d’individualisation ». Cette notion sous-entend que dans la mesure ou les institutions ne transmettent plus des normes d’action, il revient à l’individu de donner du sens à sa vie. Les individus sont directement sollicités par les institutions sociales pour prendre le contrôle de leurs trajectoires biographiques.

Si les idéologies collectives ont marqué la première moitié du XXe siècle, les années 1960-1970 semblent au contraire avoir été le théâtre d’une nouvelle grande accélération de l’individualisme, ce que Beck (2003 [1986]) a appelé la seconde modernité. L’émancipation féminine et l’affirmation de la jeunesse paraissent ainsi liées à cette dynamique d’autonomisation de l’individu (Kaufmann, 2001). « L’accomplissement personnel » devient la nouvelle valeur (Bobineau, 2011). Il est question de reconnaître l’originalité, l’authenticité et

58 l’indépendance des individus (Ibid.). Dans le cadre de l’entreprise, le développement du

« temps choisi » peut également être rattaché à cette dynamique d’individualisation (cf. infra).

Dans la littérature, la montée de l’individualisme est raccrochée, depuis une trentaine d’années, à une nouvelle phase de modernité. Cette nouvelle séquence se retrouve sous diverses dénominations : la troisième modernité (Bobineau, 2011), l’ultra-modernité (Willaime, 1999), l’hypermodernité (Aubert, 2010 [2004]), la modernité tardive (Giddens, 1994) ou la postmodernité (Maffesoli, 1988). Ce phénomène, qui peut s’expliquer par un transfert des contraintes sociales de la collectivité vers l’individu, est perçu comme le mal de nos sociétés (Beck, 2003 [1986]). Certains, à l’image de Roussel (1989), voient dans la montée de l’individualisme la cause du délitement de la société et de la fin des institutions34.

Les approches historiques, consistant à penser l’individu dans son opposition à la société, à l’image de Georges Palante (Beau, 2006) ou par emboîtement successifs entre l’individu et cette dernière (Durkheim, 1898 ; Bourdieu, 1979, 2015 [1972]) où l’individu croit être libre de décider alors qu’il ne fait qu’appliquer ce pourquoi il a été programmé, laissent place, dans la littérature sociologique contemporaine, à des visions plurielles, ne traçant point de limite franche entre l’individu et la société. Au contraire, nombre d’auteurs tentent de marcher sur les traces du concept « d’interdépendance » forgé par Norbert Elias dans la société des individus (Elias, 2012 [1939]) et refusent de réduire l’acteur à sa socialisation.

Dans ces conceptions, l’opposition entre holisme et individualisme méthodologique, à l’origine de la sociologie, n’a pas de réalité d’un point de vue empirique (Dubet, 2005). L’individu est le produit de la société, qu’il détermine à son tour par l’action dans un phénomène de « feed-back » (Giddens, 1987). Nous nous rangeons du côté de ceux qui pensent que l’individualisme est une notion tout ce qu’il y a de plus social (Ehrenberg, 2010, 2014, Kaufmann, 2001, 2004 ; Martucelli et Singly, 2010 ; Singly, 1996).

L’individu semble être une construction sociale complexe que l’on peut difficilement enfermer dans des catégories de pensée, comme le montre l’ensemble de ces travaux. Cette pluralité des approches se traduit également de manière géographique, comme le montrent les travaux

34 Stéphane Beau souligne ironiquement que : « même le réchauffement de la planète qui ne serait pas ce qu'il est si nous autres, individus égoïstes, nous pensions à éteindre un peu plus systématiquement la veilleuse de notre poste de télévision » (Beau, 2006).

59 comparatifs De Singly et Martucelli qui différencient les cultures américaines, allemandes, britanniques et françaises dans la relation entre l’individu et la société (Martucelli et Singly, 2010), ou ceux d’Alain Ehrenberg35 sur le mal-être en France et aux États-Unis (Ehrenberg, 2014).

3.1.2. L’individualisation au travail

L’individualisation des conditions de travail aurait pu paraître paradoxale au temps de l’industrie et de la synchronisation des travailleurs. La lutte pour le temps libre s’est en effet organisée contre ce temps enfermant et enfermé (Grossin, 1996) ou tous les ouvriers, masse laborieuse, maillon d’une même chaîne, devaient se trouver au même lieu au même moment pour effectuer une tâche commune comme le montre Thompson (1967). Or, depuis les années 1970, on assiste à l’émergence de l’individualisation des conditions de travail : le salaire, la progression de carrière ou les temps de travail se détachent du cadre collectif pour s’attacher à la personne des salariés.

Selon la littérature, en France, la source de l’individualisation des temps professionnels remonte au début des années 1970. Pour faire face à la crise que traverse le capitalisme, les entreprises opèrent une série de transformations profondes visant à répondre aux aspirations en termes de conditions de travail des salariés (Ehrenberg, 1991), à limiter l’influence des syndicats (Linhart, 2009, 2011) et à prévenir les révoltes à venir (Durand et Dubois, 1975).

Dès novembre 1971, le CNPF (conseil national du patronat français) fait état de la crainte d’une pénurie de main-d’œuvre. L’analyse se base sur la prévision d’un ralentissement de l’immigration couplé aux effets de l’augmentation de la scolarisation des salariés sur leur acceptation des métiers organisés autour de tâches répétitives et sans intérêt, découlant de l’organisation scientifique du travail. Selon Weber(1986) la nouvelle politique patronale qui se

35 Les études sur le malaise dans la société réalisées par Alain Ehrenberg montrent des résultats opposés entre la France et les Etats-Unis. En étudiant des pathologies individuelles devenues pathologies sociales, il remarque qu'aux États-Unis comme en France elles expriment une crise de confiance. Or, aux États-Unis elle marque la nostalgie d'une époque où régnait l'individualisme rugueux et la communauté autogouvernée. En d'autres termes les pathologies narcissiques sont pensées comme le symptôme d'un déclin de la responsabilité individuelle à l'aune d'un excès de l'État. À l’inverse, en France, elles apparaissent comme le signe d'un excès de la responsabilité individuelle et d'un retrait de l'État depuis les années 1980.

60 dessine en France à partir de 1971 cherche à s’occuper des aspirations et des revendications individuelles des salariés afin de minimiser les revendications laissées à la charge des syndicats.

Les grèves de 1968 auraient montré la nécessité d’intégrer les salariés dans la mise en œuvre d’une régulation du travail adaptée à la nouvelle économie fordiste, tout en écartant les syndicats dans un but de réduction des conflictualités (Howell, 1992). L’individualisation des conditions de travail aurait donc été pensée dans un double objectif par le patronat français. Il s’agit d’une part d’affaiblir les syndicats et toute autre instance critique, considérés comme contre-productifs dans le maintien de la paix sociale et l’adaptation des nouvelles méthodes d’organisation, en sapant les collectifs sur lesquels ils s’appuient. Il s’agit par ailleurs de garantir et sécuriser la coopération des salariés dans les transformations que les entreprises connaissent. L’individualisation substitue l’autocontrôle au contrôle et permet ainsi d’externaliser les coûts de contrôles de l’entreprise vers les salariés (Boltanski et Chiapello, 1999).

Dans le rapport du CNPF de 197736, mis en avant par Boltanski et Chiapello (1999), les questions d’aménagement des temps de travail sont particulièrement prégnantes. En multipliant les exemples d’expériences d’aménagements atypiques mis en œuvre au sein d’entreprises françaises (temps partiel, horaires variables, étalement des congés, horaires libres, équipes autonomes, anticipation de la fin de carrière, etc.), le rapport décrit la nécessité de garantir des horaires « toujours souples » afin d’ajuster la production au marché. Il préconise également le développement du temps partiel, notamment pour les mères de famille. Pour les auteurs du

« nouvel esprit du capitalisme », l’individualisation des temps professionnels joue un rôle particulier dans la stratégie du CNPF. Ils y voient la marque de « l’importance stratégique des horaires, à la fois pour séduire, malgré les réticences syndicales, les salariés, et pour ouvrir la voie à une plus grande flexibilité » (Ibid., p. 299).

Dans le rapport publié en 1978, le CNPF précise les réorganisations du travail qu’il entend impulser. Le patronat français fait le choix de la « work-linked democraty37 » (la démocratie dans le travail) en cherchant à réduire le management autoritaire et les arrangements avec les

36 4èmes assises nationales des entreprises d’Octobre 1977.

37 L’idée centrale de la théorie développée par Eric Lansdown Trist consiste à remplacer les pratiques hiérarchiques autoritaires par des groupes de travail « semi autonomes » ayant la responsabilité de l’organisation de la tâche qui leur est confiée.

61 leaders syndicaux dans le but d’installer des mécanismes de participation directe au sein des entreprises (Ibid.).

En France, l’individualisation des conditions de travail aurait donc été impulsée par le patronat qui, à la suite des événements de 1968, cherchait à la fois à se prémunir contre des problèmes de recrutement et de pénurie de main-d’œuvre, et à se protéger contre le risque de grève, voire d’insurrection que représentaient, à leurs yeux, les organisations collectives. Pour ce faire, le CNPF aurait préconisé une réorganisation des entreprises basée sur l’amélioration des conditions de travail et l’enrichissement des tâches grâce à un transfert d’autonomie vers les salariés. Selon Howell (1992) il préconise également la recherche de la flexibilité, notamment en termes d’organisation des temps professionnels.

Le droit à la formation peut servir d’exemple pour illustrer le mouvement d’individualisation des conditions de travail qui s’enclenche au cours des années 1970. Si la formation continue existait avant la cinquième république et que nous en conservons certaines institutions, comme l’association française pour la formation professionnelle (AFPA) crée en 1949, le socle de l’institution actuelle est jeté par la loi Delors en juillet 197138. Il s’agit à ce stade d’imposer une cotisation à toutes les entreprises et de créer un marché privé de la formation (Saccomanno, 2012). La dynamique individuelle de la formation professionnelle va s’accélérer avec loi Rigout39 en 1984 qui introduit le principe du congé individuel de formation. Ce dernier sera renforcé au fil des années suivantes, notamment par la loi Aubry 240 en janvier 2000, qui consacre l’obligation pour l’employeur d’intégrer les salariés à l’évolution de leur emploi, puis par la loi de mai 200441 qui instaure un droit à la formation tout au long de la vie et offre aux salariés davantage d’autonomie dans la construction de leur parcours de formation grâce aux droits individuels à la formation (DIF) et au congé individuel de formation (CIF). Ce mouvement d’individualisation de la formation professionnelle aboutit en mars 201442 à la création du compte personnel de formation (CPF). Ce dernier est rattaché à la personne et plus à l’emploi et permet de cumuler jusqu’à 150 heures de formations sur 8 ans. L’individualisation

38 Loi n° 71-575 du 16 juillet 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l'éducation permanente.

39 Loi n°84-130 du 24 février 1984 dite Rigout, portant réforme de la formation professionnelle continue et modification corrélative du code du travail.

40 Loi nº 2000-37 du 19 janvier 2000, dite loi Aubry II, relative à la réduction négociée du temps de travail.

41 Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

42 Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale

62 des droits à la formation s’accompagne d’un suivi par les entreprises qui sont dans l’obligation de proposer des entretiens individuels tous les deux ans et un bilan professionnel tous les six ans.

3.2. De l’individualisation des conditions de travail à la désynchronisation des salariés

Pour les salariés, l’individualisation des conditions de travail semble avoir été perçue comme une reconnaissance de la pénibilité quotidienne revendiquée, entre autres, lors des mouvements sociaux de 1968 (Ehrenberg, 1991). Dans la pratique, elle s’est traduite par l’instauration d’un ensemble de mécanismes, dits de « temps choisi », censés apporter des gains d’autonomie aux salariés.

Dans un premier temps nous présenterons les dispositifs phare de « temps choisi » puis, dans un deuxième temps, nous soulignerons l’importance de la négociation collective dans la mise en œuvre de ces dispositifs. Enfin, dans un troisième temps, nous qualifierons le processus de désynchronisation en cours dans les entreprises et au-delà.

3.2.1. « Temps choisi » et individualisation des temps professionnels

La paternité du concept de « temps choisi » revient au Suédois Gösta Rehn, dans son rapport intitulé « Pour une plus grande flexibilité de la vie de travail » présenté lors de la conférence de l’OCDE en 1972 sur l’aménagement du temps de travail. L’observateur de l’OCDE reprend, entre autres, l’idée de « banque de temps » pour avancer un modèle de vie non linéaire où des périodes de non-activité viendraient s’insérer au fil du parcours professionnel. La démarche se structure sur l’idée selon laquelle les problématiques de temps doivent être envisagées à la fois dans leur dimension collective et individuelle. Il s’agit de conférer une forme d’autonomie aux salariés dans la gestion de leurs temps professionnels.

63 Dans la pratique, les horaires variables (ou horaires individualisés, à la carte, libres, mobiles, souples ou évolutifs), dont les premières expériences fleurissent en Suède (Rehn, 1972) et en Allemagne au cours des années 1960 (Thoemmes, 2013), font partie des dispositifs phare de

« temps choisi ». Il s’agit de définir une plage horaire fixe, commune à tous les salariés et une plage variable durant laquelle le salarié peut choisir ses horaires. Après des périodes de résistance (Ibid.), ce modèle a finalement été plébiscité par les salariés qui y ont entre autres trouvé un moyen de gagner sur les temps de trajets professionnels quotidiens, en évitant les engorgements générés par les mouvements massifs aux heures d’ouverture, de fermeture ou de roulement d’équipe dans les usines.

Le temps partiel (qui peut être choisi ou subi) est une autre mesure emblématique de l’individualisation des conditions du travail salarial. Ce dispositif permet d’instaurer des volumes horaires professionnels variables d’un salarié à l’autre. Il est instauré en France, par la loi du 27 décembre 197343, sur un principe de volontariat des salariés devant être soutenu par l’accord des délégués du personnel ou par l’inspecteur du travail. En 198144, l’individualisation du dispositif avance d’un pas en transformant l’avis nécessaire de l’inspecteur du travail en cas d’absence de délégués du personnel, en un simple besoin d’information. Puis, l’ordonnance du 26 mars 198245 ouvre la voie à des utilisations collectives imposées par l’employeur. Les horaires de travail à temps partiel peuvent alors être « pratiqués » après avis des délégués du personnel et information à l’inspecteur du travail. Le temps partiel change de nom et devient le

« travail intermittent » en 198646. Ce changement de forme s’accompagne d’un changement de fond avec la possibilité de le mettre en œuvre à travers des accords collectifs étendus. Cette tendance sera renforcée par la loi du 3 janvier 199147 qui consacre le droit au chef d’entreprise de mettre en œuvre du « travail intermittent ». Puis, le travail intermittent sera abrogé en 199348 par la loi quinquennale, pour être remplacé par le « travail partiel annualisé ». La tendance se

« travail intermittent » en 198646. Ce changement de forme s’accompagne d’un changement de fond avec la possibilité de le mettre en œuvre à travers des accords collectifs étendus. Cette tendance sera renforcée par la loi du 3 janvier 199147 qui consacre le droit au chef d’entreprise de mettre en œuvre du « travail intermittent ». Puis, le travail intermittent sera abrogé en 199348 par la loi quinquennale, pour être remplacé par le « travail partiel annualisé ». La tendance se