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5.3 La reconstruction du Groenland à l’Eémien

5.3.2 Un index de température multi-proxy pour le Groenland couvrant deux

Si la nécessité de remonter jusqu’au précédent état glaciaire afin de simuler l’état de la calotte du Groenland au cours de l’Eémien est évidente, il se pose cependant le problème du choix de l’index de température. En effet, comme nous l’avons déjà vu, l’étude des carottages profonds au Groenland a permis de reconstruire des anomalies de températures vis-à-vis du climat actuel (Dansgaard et al., 1993;Johnsen et al., 1997). Cependant, toutes les carottes du Groenland ont un signal limité au dernier interglaciaire et ne remontent donc pas plus loin dans le temps. L’idée est donc d’utiliser d’autres indicateurs du climat passé pour créer ainsi un index composite.

L’enregistrement de la concentration de méthane à EPICA-DOME C, Antarctique

FIGURE5.18 –Reconstruction de l’anomalie de température par rapport à l’actuelle au cours des 125 000 dernières années, déduite de la mesure des isotopes de l’oxygène de GRIP (bleu) et de la concentration de méthane (rouge).

Le projet européen EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica) a permis le for-age d’une carotte de 3124 mètres près de la base américaine de Dôme C en Antarctique. Au vu du faible taux d’accumulation dans cette zone, l’étude de l’air piégé dans cette glace a permis de retracer l’évolution du dioxyde de carbone et du méthane sur 800 000 ans (Lüthi et al., 2008; Loulergue et al., 2008). Le méthane, de par le très fort forçage radiatif qui lui est associé (20 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone) et son temps de vie très court (9 à 15 ans), est consid-éré comme un indicateur très sensible aux changements climatiques à l’échelle millénaire (Spahni et al., 2005;Loulergue et al., 2008). En profitant du fait que le temps d’homogénéisation de l’at-mosphère est très court et que le méthane est donc un indicateur global, nous nous sommes servis de cet enregistrement pour construire un index de température.

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Nous avons supposé une loi linéaire entre la concentration en méthane et la température. La calibration de cette loi a été effectuée sur l’enregistrement haute-résolution de GRIP, en consid-érant cette température comme la référence du dernier cycle glaciaire-interglaciaire. La meilleure paramétrisation, au sens des moindres carrés, est la suivante :

∆TCH4(t) =0,05176 °C.ppbv1×[CH4](t)−34,234C (5.3) Avec[CH4]exprimé en ppbv.

La figure 5.18 présente l’anomalie de température déduite de l’étude des isotopes de GRIP et l’anomalie reconstruite après notre régression. L’accord n’est pas parfait. Il semblerait notamment que la reconstruction à partir de la concentration en méthane sous-estime généralement la variabil-ité en période glaciaire. Il faut noter également que les températures au cours de l’Holocène sont mal représentées. Cependant, le cycle présente tout de même la tendance générale. Nous devons faire remarquer que nous n’utiliserons cet index basé sur la concentration que là où nous n’avons pas d’informations plus précises, donc principalement avant l’Eémien. Notons également que la variabilité du signal en période glaciaire n’a que peu d’influence sur la topographie de la calotte simulée. Nous reviendrons par contre sur la définition d’un index de température pour l’Eémien un peu plus tard dans cette partie.

Isotopes de l’oxygène à North GRIP

Comme nous avons déjà pu le mentionner, la mesure des isotopes de l’oxygène à GRIP au fond du forage est probablement perturbé. Les deux grands pics chauds entre 120 ka et 125 ka observables sur la figure 5.18 pourraient notamment provenir d’un mixage des couches (Landais, 2004) et ne seraient ainsi pas représentatifs d’un véritable signal climatique. En effet les mesures effectuées au site voisin de GISP2 n’ont pas mis en évidence cette grande variabilité (Grootes et al., 1993).

Nous avons donc décidé de laisser de côté l’enregistrement de GRIP, pour lui préférer celui de North GRIP (NGRIP members 2004). Ce dernier présente en effet un signal isotopique beaucoup moins perturbé dans son fond (en raison de la fusion basale très forte à North GRIP). A l’instar de la calibration effectuée sur le méthane, nous avons ici encore assumé une relation linéaire entre la valeur de l’isotope et la température et nous avons ensuite cherché à minimiser (au sens des moindres carrés) l’écart entre cette température et la température de GRIP. La conversion de la teneur isotopique en température est la suivante :

∆TNGRIP(t) =d(δ18ONGRIP(t) +35,19) (5.4)

Avecd=2,0°C‰−1etδ18ONGRIP(t)exprimé en ‰. Malheureusement, l’enregistrement de North

GRIP ne remonte que jusqu’à 123 000 ans et ne couvre donc pas l’intégralité du dernier inter-glaciaire.

Notons que le méthane présente un maximum de concentration quelques millénaires avant l’op-timum éémien supposé de l’hémisphère nord (visible sur la figure 5.19). Il est possible que ce décalage entre les deux hémisphères soit dû au changement fort d’albédo dans l’hémisphère nord à cette époque et/ou à une rétroaction des modifications de l’altitude de la calotte du Groenland (Masson-Delmotte et al., 2010). Ainsi, ne pouvant pas utiliser l’index de température basé sur le méthane pour l’Eémien, nous avons du trouver un raccord éémien entre les anomalies de tempéra-tures NGRIP et les anomalies de températempéra-tures méthane. Ce raccord a été effectué en considérant les reconstructions de SST d’une carotte marine.

Raccord entre l’index méthane et l’index NGRIP : l’utilisation de mesures de SST

Masson-Delmotte et al.(2010) trouvent une similarité dans le signal de l’isotope dans les for-ages du Groenland et dans les SST de l’Atlantique Nord. Cette similarité peut être aperçue autant dans le refroidissement progressif qui a suivi l’Eémien, que dans les rares points non-perturbés de l’isotope de l’oxygène de GRIP précédent l’Eémien (Masson-Delmotte et al.(2010), suplemen-tary material). Par conséquent, nous avons décidé d’utiliser les températures reconstruites de SST basées sur l’étude des foraminifères planctoniques de la carotte marine ODP 980 (McManus et al., 1999;Oppo et al., 2006). Cette carotte a été prélevée à l’Ouest de l’Irlande. L’enregistrement cou-vre la période 112,5 ka jusque 143,3 ka. Nous avons là encore calibré une fonction linéaire entre la reconstruction d’anomalie et l’anomalie de température. La relation est la suivante :

∆TCH4(t) =2,043 ×SST(t)−27,218 °C (5.5)

AvecSST(t)exprimé en °C.

La figure 5.19 présente les différents index utilisés aux alentours de la période de l’Eémien. Nous avons décidé d’utiliser l’intégralité du signal de North GRIP et de n’utiliser les SST qu’entre 123 ka et 128,6 ka. Au-delà de 128,6 ka le signal basé sur le méthane est utilisé.

Notre nouvel index multi-proxy sur 200 ka est présenté dans la figure 5.20.

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FIGURE5.20 –Index multi-proxy sur 200 ka.

5.3.3 Prise en compte d’un changement de pattern des températures et des