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1.5 Les archives climatiques

Depuis les années 50, plusieurs forages profonds ont été effectués, aussi bien en Antarctique qu’au Groenland. Les caractéristiques climatiques de ces deux calottes nous donnent accès à des informations très différentes : le faible taux d’accumulation en Antarctique nous permet de re-monter très loin dans le temps (Vostok remonte jusqu’à 420 000 ans et Dome C jusqu’à 800 000 ans), alors que l’accumulation relativement importante au Groenland nous fournit des informa-tions haute-résolution. Les principaux forages, utilisés au cours de ce travail, sont visibles sur la figure 1.11. 1000 1000 1000 1000 1000 1000 2000 2000 2000 2000 3000 60 65 70 75 80 -60 -50 -40 -30 -20 GRIP GISP 2 DYE 3 Camp Century North GRIP NEEM X X X X X X

FIGURE1.11 –Position des 6 forages profonds utilisés plus loin dans ce manuscrit.

1.5.1 L’information des carottes de glace

Les isotopes de l’eau

Les carottes de glaces sont constituées de molécules d’eau, H2O. Cependant ces molécules d’eau ne sont pas toutes de masse identique et présentent différentes formes isotopiques. En ef-fet, le nombre de neutrons des atomes d’oxygèneOou encore d’hydrogèneH peut varier d’une molécule à l’autre. Les trois formes majoritaires sur Terre sont :H216O,H218OetHD18O.

Il est pratique de travailler avec un écart isotopique par rapport à une référence, définit comme suit :

FIGURE 1.12 – Illustration du schéma d’appauvrissement en18Oau cours des changements de phase successifs pour la région Antarctique (d’aprèsVimeux(1999)).

avecRech, le rapport18O/16Oou le rapportD/Hde l’échantillon considéré, etRvsmowle rapport isotopique de référence du Vienna Standard Mean Ocean Water. Avec :D/HSMOW =155,76ppm (Hagemann et al., 1970) et18O/16OSMOW =2005,20ppm(Baertschi, 1976).

De par leurs différences en terme de masse et de symétrie, ces différentes formes isotopiques vont se fractionner au cours des divers changements de phases subis lors du cycle de l’eau at-mosphérique. On observe ainsi une décroissance des teneurs isotopiques (δplus faible) des basses latitudes vers les hautes latitudes. En effet, à chaque condensation les masses d’air s’appauvrissent en isotopes lourds, plus faciles à condenser.

Chaque couche de neige d’une calotte polaire a donc une histoire de ses condensations contenue dans la valeur de son rapport isotopique. Ces condensations sont indirectement reliées à la tem-pérature de l’air et des techniques ont été développées pour reconstruire l’histoire des temtem-pératures passées.

Le thermomètre isotopique

L’idée est donc venue de mesurer conjointement, en différents points de la calotte, la tem-pérature et la composition isotopique (Dansgaard, 1964;Lorius et al., 1969;Lorius et Merlivat, 1977). La température représentative de l’appauvrissement est la température à la limite de la couche d’inversion, là où se réalise la condensation. Cependant, par commodité, la température utilisée est la température moyenne annuelle de surface. Celle-ci a pu être reliée linéairement à la composition isotopique pour le Groenland par :

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δ18O=αi×T−13,7 (1.2)

Avecαi=0,67‰°C1(Johnsen et al., 1989)1.

Les approches comme celle-ci reliant directement température et rapport isotopique sont désignées sous le nom de “thermomètre isotopique”. Bien qu’elles impliquent de très lourdes hypothèses (stationnarité, homogénéité), elles ont très largement été utilisées pour la reconstruction des paléo-températures et ont été validées dans un passé relativement proche (Johnsen et al., 1989). Cepen-dant, il a été montré que l’inversion directe des températures de forages ne permettait pas d’obtenir l’amplitude du dernier maximum glaciaire déduit par l’isotope (Johnsen et al., 1995;Cuffey et al., 1995;Dahl-Jensen et al., 1998). Des corrections sont nécessaires pour prendre en compte notam-ment les changenotam-ments de saisonnalité des précipitations (Jouzel et al., 1997). Au Groenland cet effet est particulièrement fort : alors qu’en période interglaciaire il neige surtout au printemps et en été, en période glaciaire l’essentiel des précipitations se réalise en été (Krinner et al., 1997;Werner et al., 2000). Le thermomètre isotopique de l’équation 1.2 sous-estime largement l’amplitude de température entre glaciaire et interglaciaire (Capron et al., 2010) et ne tient également pas compte des effets d’altitude.

Les gaz piégés

Les carottes de glace ne contiennent pas uniquement des molécules d’eau, mais également des gaz piégés.Severinghaus et al.(1998) etSeveringhaus et Brook(1999) proposent l’utilisation des isotopes stables de l’azote et de l’argon de l’air piégé dans la glace. Son approche permet d’améliorer la chronologie des événements rapides. La mesure des gaz à effet de serre (le dioxyde de carbone, le méthane) peut également être effectuée pour reconstruire les températures du passé. Dans l’étude des gaz piégés, il est nécessaire de modéliser rigoureusement le névé. En effet, celui-ci étant poreux, les gaz vont se diffuser (voir convecter sur les 5-10 premiers mètres) jusqu’à une certaine profondeur (dite de close-off). Des corrections sont donc à effectuer pour avoir la concen-tration et/ou l’isotope des gaz sur la même échelle temporelle que les isotopes de la glace. Alors que pour les isotopes de l’eau la localisation des sources des précipitations est très im-portante pour identifier l’histoire des changements de phase, l’intérêt de travailler avec les gaz est de pouvoir s’affranchir de ce problème. En effet, les gaz utilisés comme indicateur du climat sont généralement ceux présentant un faible temps de vie (environ 100 ans pour le dioxyde de car-bone par exemple). Ils sont également suffisamment mixés dans l’atmosphère pour qu’une mesure locale puisse donner une information à l’échelle globale.

1.5.2 Les carottes marines

De la même manière que la neige se dépose sur les calottes polaires, enregistrant ainsi l’his-toire climatique de la Terre, les sédiments se déposent au fond de l’océan. Les carottes marines contiennent notamment des restes d’espèces vivantes, les foraminifères. Ces foraminifères sont 1. Des études plus récentes, incluant notamment un suivi de valeurs isotopiques dans des modèles d’atmosphère (Sjolte et al., 2011;Masson-Delmotte et al., 2011), ont permis de mettre en évidence la non-homogénéité de la valeur de cette pente au Groenland. Les valeurs pouvant varier de 0,3‰°C−1à 0,8‰°C−1(Masson-Delmotte et al., 2011)

enveloppés d’un test de calcaire (parfois appelé de manière erronée “coquille”). Divers éléments rentrent en jeux pour la fabrication de ce test et notamment l’oxygène de l’eau. La lecture de la signature isotopique de la carotte marine donne donc accès au rapport isotopiqueδ de l’eau de mer au moment de la fabrication du test. En période froide les glaces des pôles stockeront une grande partie de la forme légère16O de l’oxygène favorisant ainsi un rapport isotopique, δ, de l’eau de mer, fort. C’est ainsi que l’on relie le rapport isotopique de la carotte marine à la quantité de glace mobilisée sur les continents. Les carottes marines sont donc très souvent utilisées pour les reconstructions de niveau des mers (Shackleton, 1987;Waelbroeck et al., 2002).

Les carottes marines constituent un des outils majeurs pour la reconstruction des paléo-climats. Cependant, nous utiliserons ici plus souvent des études portant sur les carottes de glace plutôt que sur des carottes de sédiments car le lien avec les températures de surface est plus évident. Alors que les carottes de glace sont surtout utilisées pour reconstruire une anomalie des températures de surface, les carottes marines peuvent elles être utilisées pour reconstruire les températures de surface de l’océan (SST pour Sea Surface Temperature). Ces mêmes SST peuvent également être utilisées pour avoir une idée des conditions périphériques du Groenland. Nous utiliserons par la suite (chapitre 5) des mesures de carottes marines pour contraindre l’histoire climatique durant l’Eémien.

Enfin, nous pourrions envisager l’utilisation des carottes marines pour reconstruire un historique de fusion basale sous les langues de glaces flottantes.