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INCERTITUDES QUANT A LA DETERMINATION DU COUT SOCIAL DU CARBONE

LES DIFFICULTES DE L’ANALYSE COUT-AVANTAGE

ENCADRE 1 : Caractéristiques de l’externalité du changement climatique

1.1.2 INCERTITUDES QUANT A LA DETERMINATION DU COUT SOCIAL DU CARBONE

La mise en œuvre de la règle de base de l’économie de l’environnement, l’égalisation du coût marginal d’abattement et de son bénéfice marginal, est rendue difficile par la

complexité du calcul du dommage marginal et par la multiplicité des sources d’incertitudes qui affectent ce dommage [Gollier, 2009]. Entre les émissions de GES et les dommages monétaires agrégés, c’est à une « cascade d’incertitude » à laquelle est confrontée l’évaluation [Schneider, 1983 : 11]. C’est donc, pour reprendre la formule de Lave [1991 : 9], dans « un océan d’incertitude » que le calcul économique tente de fonder la décision publique en matière de réduction des émissions.

L’accroissement des concentrations de GES augmente la température moyenne du globe et affecte les paramètres climatiques de manière différenciée selon les régions du monde. L’intensité de cette relation, c'est-à-dire la sensibilité du climat global et plus encore régional, reste encore aujourd’hui incertaine [Meehl et al., 2007]. Par ailleurs, les impacts du changement climatique sur les équilibres écologiques et économiques sont encore plus radicalement incertains. Une difficulté majeure des évaluations des impacts concerne notre compréhension incomplète du changement climatique, en particulier à un maillage régional suffisamment fin [Mahlman, 1997]. Les impacts seront ressentis au niveau local et les effets de la variabilité et de l’occurrence des extrêmes climatiques en seront les principaux vecteurs. Les scénarios de changement climatique et les études d’impact se fondent sur des résolutions spatiales et temporelles trop grossières pour capturer nombre de détails, pourtant fondamentaux en ce qu’ils déterminent l’essentiel des impacts.

Les lacunes scientifiques se révèlent ensuite au niveau des analyses d’impact. En dépit d’un nombre croissant d’études à l’échelon national, régional ou sectoriel, l’incomplétude des connaissances relatives aux impacts et plus encore, les différences entre les jeux d’hypothèses retenus, rendent difficile l’agrégation des cas étudiés et les comparaisons pertinentes entre les régions. Seuls quelques travaux offrent un tableau global et cohérent de la question, mais ces évaluations sont généralement elles-mêmes basées sur des cas d’études beaucoup plus ciblés, qui sont alors extrapolés aux autres régions. De telles extrapolations sont complexes et sujettes à caution. Si notre compréhension de la vulnérabilité des PDEM s’améliore, au moins en ce qui concerne les impacts marchands, les informations concernant les PVD restent très insuffisantes. L’incertitude porte aussi sur la valeur, en particulier future, à accorder aux actifs environnementaux et plus largement aux actifs non-marchand. Les dommages non-marchand, les effets indirects, les interrelations horizontales et les implications sociopolitiques consécutifs à ces changements restent encore très mal compris et sont généralement évincés des estimations. La transformation des impacts physiques en dommages monétaires et les

hypothèses relatives à leur agrégation spatiale et temporelle sont enfin sujettes à d’importantes controverses [Ambrosi, 2004].

Finalement, on ne sait trop qu’espérer de l’adaptation aux chocs climatiques anticipés pour réduire les impacts, ou de progrès technologiques qui permettraient une réduction à moindre coût des émissions de GES. L’adaptation est difficile à capturer dans les études d’impact dans la mesure où elle sous-tend des ajustements comportementaux, technologiques et institutionnels complexes et ce à tous les échelons de la société, et où les capacités d’adaptation sont fortement inégales selon les groupes socioéconomiques et les secteurs. L’adaptation est appréhendée par les modèles d’impact via différents types d’hypothèses, de la modélisation de l’adaptation autonome des systèmes ou de l’adoption de stratégies optimales, en passant par la supposition de niveaux arbitraires de d’adaptation [Tol, 2005a ; Tol et al., 1998 ; Cf. Chap. 3 section 1.1.1]. Il n’existe donc pas de cadre unifié pour prendre en compte ses effets dans les modèles d’impact, mettant ainsi en péril la comparaison et l’agrégation des résultats. D’autre part, des liens étroits relient les besoins et les décisions d’adaptation aux trajectoires de développement de référence. En particulier l’ampleur et les modes de développement qui caractériseront le siècle à venir, indépendamment du changement climatique, affecteront en profondeur la vulnérabilité à ses effets [Munasignhe, 2002 ; Agrawala, 2005 ; Cf. Chap. 3 section 1.1.1]. Par exemple, la création d’un vaccin contre la malaria réduirait substantivement les risques sanitaires du changement climatique. De même la pression croissante sur les ressources naturelles, pendant d’un développement non-durable, exacerbera très probablement les impacts du changement climatique. Ainsi, indépendamment de décisions d’adaptation explicitement tournées vers la gestion des effets du changement climatique, les résultats des modèles d’impact dépendent fortement de la nature et de l’ampleur des trajectoires de développement socioéconomique futur. La sensibilité des estimations à de telles tendances de référence peut dans certains cas être suffisamment forte pour renverser le signe même des impacts [Mendelsohn et Neumann, 1999].

Les problèmes génériques de l’ACA en matière d’environnement, en ce qu’elle ne permet que des évaluations partielles et lacunaires [Ambrosi, 2004], sont ainsi portés à leur paroxysme dans le cas du changement climatique. En définitive, l’évaluation du Coût Social du Carbone (CSC), c'est-à-dire du dommage marginal généré par l’émission d’une tonne supplémentaire de CO2 à un point donné dans le temps, est sujette à une incertitude radicale. Tol [2005a] a ainsi compilé 103 évaluations du CSC issues de 28 études, qu’il a combinées

pour en déduire une fonction de densité de probabilité de ces valeurs. En se concentrant sur les estimations publiées dans des revues à comité de lecture, il obtient une valeur modale se situant à 1,5 $/tCO2, une médiane à 4 $/tCO2, une valeur moyenne de 13,5 $/tCO2 et un 95 percentile se situant à 67 $/tCO2. La distribution des valeurs traduit donc avec force l’incertitude de ces estimations, incertitude qui on peut le noter, se concentre du coté droit de la distribution. Le rapport Stern [2006], qui n’avait pas pour objectif de produire une telle valeur, offre une estimation à 85 $/tCO2 de 2007. Quant à Nordhaus [2008], il propose dans sa dernière version du modèle DICE, une évaluation du dommage marginal à 8 $/tCO2 émise en 2005.

Aux vues de ces résultats, on peut entrevoir le grand écart qui caractérise les préconisations économiques en termes de trajectoires optimales d’atténuation. Les travaux d’économistes nord-américains, comme ceux de Nordhaus et Boyer [2000], de Mendelsohn et

al. [2000], ou de Manne et Richels [1995], préconisent généralement des niveaux faibles d’atténuation, résultats contre-intuitifs au regard des projections des risques d’impact du changement climatique [Cf. Chap. 2, section 3.1]. Les résultats du modèle DICE de Nordhaus [2008] par exemple, tablent sur une taxe optimale à un niveau particulièrement faible, 11 $/tCO2 en 2015, augmentant de 2 % par an, pour atteindre 55 $/tCO2 en 2100. Les réductions optimales des émissions de CO2 globales consécutives à cette taxe s’établiraient à 25 % en 2050 par rapport à leur niveau de référence et conduiraient à atteindre un niveau de concentration du CO2 dans l’atmosphère de 686 ppm en 2100. Les résultats de Stern [2006] décrivent un tout autre tableau, le conduisant à préconiser, sur la base de l’évaluation des coûts et bénéfices de l’atténuation via le modèle PAGE2002 [Hope, 2006], une cible de stabilisation des concentrations comprise entre 450 et 550 ppm en CO2-équivalent (soit de l’ordre de 350 et 450 ppm pour le CO2 uniquement), impliquant une réduction des émissions de plus de 80 % en 2050 par rapport au scénario de référence.

Sur le plan économique, les éléments essentiels de la démarche de Stern s’inscrivent dans la plus pure orthodoxie de l’économie du bien-être. Au-delà de l’immensité du travail entrepris, son originalité tient à deux facteurs qui expliquent qu’il parvienne à des résultats très différents d’économistes nord-américains: un cadrage centré sur l’économie du risque et ses choix éthiques concernant les modalités de l’agrégation inter et intragénérationnelles. Pour illustrer ce point, on se concentrera dans la section suivante sur ce deuxième aspect.

1.1.3LA CONTROVERSE SUR LA DETERMINATION DU TAUX