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CONCENTRATIONS DE GES DANS L’ATMOSPHERE ET CHANGEMENTS CLIMATIQUES NON EVITABLES

Le développement de stratégies d’atténuation suit le cheminement logique décrit par la Figure 3 [Cf. Chap. 1, section 2.3 ; Pielke, 2005]. La conceptualisation du problème peut en effet être caractérisée par la séquence logique suivante : (i) les activités économiques et plus

spécifiquement leur dépendance à l’utilisation de combustibles fossiles augmentent les concentrations de GES dans l’atmosphère, (ii) ces GES induisent des modifications du climat, (iii) qui se traduiront en impacts globalement négatifs pour les activités socioéconomiques. La structuration logique de la stratégie de réponse est donc que : (1) l’atténuation doit réduire l’augmentation des concentrations de GES, (2) qui doit alors se traduire par moins de changement climatique, (3) les impacts sur les activités économiques ainsi que les écosystèmes seront ainsi réduits. Si la littérature est bien documentée sur la définition du changement climatique comme un problème de pollution, notamment dans le contexte des rapports d’évaluation successifs de l’IPCC, une attention beaucoup plus faible a été dévolue à l’évaluation des possibilités de succès de la solution préconisée, c’est-à-dire des possibilités de l’atténuation à éviter les impacts du changement climatique [Pielke, 1998 ; Meinshausen, 2006b]. Cette focalisation sur les effets de l’utilisation des combustibles fossiles, plutôt que sur ceux de l’atténuation sur le changement climatique et les impacts, a contribué à créer ce biais des politiques climatiques en faveur de l’atténuation.

C’est sur cette chaîne logique que l’on concentre ici l’attention pour montrer l’insuffisance des politiques d’atténuation pour gérer les risques du changement climatique. Cette section met au centre de l’analyse le concept d’inertie, du climat d’abord, mais également des systèmes socioéconomiques et énergétiques, comme élément catalyseur de la réflexion sur les capacités et les limites des politiques d’atténuation pour éviter le changement climatique. Ce double niveau d’inertie permet de caractériser les difficultés et les incertitudes sous-jacentes à la stabilisation des concentrations de GES dans l’atmosphère. La section suivante complètera alors l’analyse en montrant que, quand bien même des politiques de stabilisation ambitieuses étaient implémentées, leur capacité à éviter les impacts du changement climatique sera insuffisante pour réaliser l’art. 2 de l’UNFCCC. Dans une première sous-section on analyse quel est le champs des possibles en termes d’évitement du changement climatique en se basant sur le concept de global warming commitment. Le point central est de déterminer dans quelle mesure le changement climatique est évitable par des politiques d’atténuation et dans quelle mesure il est déjà déterminé par les émissions passées. On analyse alors dans une seconde sous-section les implications, en termes d’ampleur et de calendrier de réduction des émissions, attachées aux cibles les plus ambitieuses d’endiguement du changement climatique. Il s’agit en particulier de mettre en valeur les défis et les capacités à instaurer les politiques d’atténuation nécessaires dans les délais impartis pour garder ouverte l’option d’une limitation de l’augmentation des températures à 2°C.

2.1 LIMITES INTRINSEQUES DE L’ATTENUATION POUR EVITER

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

On met en perspective dans cette section l’éventail des possibles en termes d’évitement du changement climatique. Washington et al. [2009 : 1] posent cette question sans ambigüité en intitulant leur article, « How much warming can be avoided by mitigation? ».Définir dans quelle mesure le changement climatique est évitable par l’atténuation et dans quelle mesure il est déjà déterminé par les émissions passées, est une dimension incontournable de l’analyse des bénéfices des politiques climatiques, mais également des décisions relatives aux stratégies de réponse à envisager et à mettre en œuvre pour réaliser les objectifs de l’art. 2 de l’UNFCCC. Si les systèmes climatiques et socioéconomiques n’étaient pas caractérisés par d’importantes inerties, la question de l’ampleur relative du changement climatique futur déjà déterminée par les activités passées c'est-à-dire non seulement par les émissions historiques mais également par la structuration des systèmes énergétiques et de celle évitable par des politiques d’atténuation n’aurait que peu d’intérêt. Les inerties substantielles qui les caractérisent mettent en jeu des dimensions scientifiques complexes et sous-tendent de vastes implications politiques.

Le concept de « global warming commitment » (GWC) est généralement invoqué pour traduire les échelles de temps caractéristiques de l’inertie du climat en relation avec l’augmentation anthropogénique des concentrations atmosphériques de GES. Il permet de décrire le fait qu’une certaine ampleur de changement climatique est irrévocablement engagée à l’horizon du siècle à venir. Le concept de GWC exprime donc l’idée que le changement climatique est un phénomène qui ne peut être évité intégralement, une partie des changements futurs étant déjà dans le pipeline. Différentes conceptions du GWC peuvent être identifiées dans la littérature. Certaines estimations sont dérivées de scenarios de forçage radiatif constant [Wetherald et al., 2001; Hansen et al., 2004 ; Meehl et al., 2005 ; Wigley, 2005], illustrant une propriété générale du système climatique causée par son inertie, afférant au décalage substantiel entre la stabilisation du forçage radiatif et la réalisation complète des changements dans les températures moyennes globales qui en résultent. On analyse ici deux conceptions alternatives du GWC, la première mettant en exergue l’inertie purement géophysique du climat, la seconde intégrant en plus l’inertie caractéristique des systèmes socioéconomiques et énergétiques.

Le GWC peut être défini dans une perspective purement géophysique, c’est à dire comme le réchauffement consécutif à l’arrêt abrupt et complet des émissions des GES. Cette

hypothèse permet de capturer et d’isoler les modifications des températures qui résulteraient uniquement des processus chimiques et géophysiques associés au stock de GES déjà accumulés dans l’atmosphère et donc indépendamment de toute considération relative à l’inertie des systèmes socioéconomiques. Dans ce contexte, si les émissions anthropogéniques de GES cessaient abruptement dès 2011, le seul stock des émissions passées conduiraient à une augmentation des températures de 1°C en 2050 et de 0,8°C en 2100 par rapport aux niveaux préindustriels [Hare et Meinshausen, 2006]. Il est notable qu’un délai de 20 ans avant cet arrêt total des émissions, se traduirait par un accroissement des températures de 1,7°C à l’horizon 2050. Etant donnés les changements déjà opérés dans la composition atmosphérique, le changement climatique est donc, en partie, physiquement inévitable. L’inertie de la machine climatique contraint donc de manière intrinsèque les possibilités des politiques d’atténuation.

L’arrêt complet des émissions de GES n’est pas exempt de modifications du climat bien qu’il les limite considérablement. Ce scénario n’est cependant ni socialement, ni économiquement ou politiquement réalisable. Le concept de « feasible scenario warming commitment » introduit par Hare et Meinshausen [2006 : 116] est une tentative de description de l’interaction entre l’inertie du système climatique et l’inertie des systèmes socioéconomiques. Il est basé sur des scénarios d’émissions considérés comme envisageables dans le sens où ils sont supposés réalisables d’un point de vue technologique, économique et politique. Les estimations des engagements en termes de changement climatique, consécutifs à de telles trajectoires d’atténuation, se basent sur les scenarios publiés dans la littérature, qui stabilisent les concentrations de CO2 entre 350 et 750 ppm.

Les modèles climatiques montrent que des trajectoires d’atténuation permettant de stabiliser les concentrations de CO2 entre 350 et 450 ppm résulteraient en un réchauffement moyen compris entre 1,5 et 2,4°C à l’horizon 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. En d’autres termes, si ces scénarios sont considérés comme les cibles les plus ambitieuses que les politiques d’atténuation peuvent atteindre, on peut en conclure que le réchauffement additionnel minimal que les systèmes socioéconomiques devront encaisser est de l’ordre de 0,7 à 1,6°C en plus des 0,8°C déjà réalisés en 2001 [Folland et al., 2001 ; Jones et Moberg, 2003]. D’un autre coté, la stabilisation des concentrations de CO2 à 550 et 750 ppm, conduirait à voir augmenter en moyenne les températures de 2,7 et 3,2°C respectivement d’ici 2100. En terme absolu, les politiques d’atténuation les plus fructueuses que l’on puisse envisager conduisent donc à de sérieuses modifications du climat.

Ces projections de changement climatique associées à des trajectoires de stabilisation des concentrations de GES dans l’atmosphère permettent de mesurer le changement climatique évitable par l’atténuation. En termes relatifs, la comparaison de ces scénarios de stabilisation aux scénarios bau du SRES (Special Report on Emission Scenarios) met en évidence les bénéfices climatiques associés à ces politiques. Les températures augmenteraient de 2,5 à 4,8°C au-dessus des niveaux préindustriels si les émissions suivaient l’un des scénarios tendanciels du SRES, dits sans politiques d’atténuation [Nakicenovic et al., 2000]. Comparativement au scénario bau médian du SRES, la stabilisation entre 350 et 450 ppm permettrait ainsi d’éviter en moyenne entre 1 et 1,9°C de réchauffement d’ici 2100. Plus crucial, ce profil bau se traduirait par un rythme moyen d’augmentation des températures de 0,34°C par décennies entre 2030 et 2080, alors que les profils 350 et 450 ppm permettraient de le maintenir en dessous de 0,2°C, avec respectivement 0,14 et 0,18°C de réchauffement par décennie sur cette période. Il découle des résultats mis en valeur dans cette section que si l’atténuation peut théoriquement le réduire de manière substantive, le changement climatique inévitable est loin d’être négligeable.

2.2 STABILISER LES CONCENTRATIONS DE GES : IMPLICATIONS

EN TERMES D’AMPLEUR ET DE CALENDRIER DE