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APPREHENSION DES MODALITES DE DEVELOPPEMENT DE POLITIQUES D’ADAPTATION COMME EXTENSION DES

MODELES D’IMPACT

Différentes générations d’analyse des impacts et de la vulnérabilité ont permis de donner des estimations de plus en plus précises et complètes des risques posés par le changement climatique [Füssel et Klein, 2006]. Cette recherche, dirigée par la modélisation des impacts attribuables au changement climatique (impact-driven), plutôt que par les caractéristiques et les déterminants de la vulnérabilité structurelle des systèmes ( vulnerability-driven), a généré des informations pertinentes aux scientifiques et aux décideurs politiques pour le développement de politiques d’atténuation. Au-delà, il a été considéré que le cadre analytique qui a structuré l’incorporation de l’adaptation pour cette problématique et les

progrès réalisés dans cette perspective, seraient également pertinents pour l’analyse des modalités de développement de politiques d’adaptation. On décrit dans cette section le cadre analytique standard de l’appréhension de stratégies d’adaptation, tel qu’il a notamment été développé par l’IPCC, c'est-à-dire comme une extension des modèles d’impact et fondé sur les scénarios de changement climatique. On montre alors que s’il a permis d’augmenter la prise de conscience sur les risques du changement climatique et sur les besoins de politiques d’adaptation, il présente des limites majeures et intrinsèques pour progresser dans le développement et la mise en œuvre de stratégies d’adaptation.

Le besoin de comparabilité des résultats a toujours été un enjeu central de la recherche sur le changement climatique, en particulier dans le contexte de l’UNFCCC, et provient de la nature globale de la question. Dans un sens, l’intégralité du travail entrepris par l’IPCC vise à assurer cette comparabilité, terreau de la confiance dans les résultats de la science et des possibilités de s’appuyer sur eux dans les négociations internationales. Les expériences dans d’autres domaines, comme les pluies acides ou l’ozone stratosphérique, ont en effet montré que les négociations internationales sont plus à même de progresser si les Parties travaillent et discutent sur la base d’une compréhension et d’une acceptation commune de la science sous-jacente au problème en question [Burton et al., 2002]. Ainsi, le développement de méthodologies et d’outils communs pour guider la recherche sur les impacts et l’adaptation est apparu comme un élément incontournable de l’appréhension des politiques climatiques dans le cadre de l’UNFCCC. Le cadre méthodologique standard de l’évaluation des impacts et de l’adaptation a initialement été développé sous l’autorité de l’IPCC au début des années 1990 [Carter et al., 1994 ; Parry et Carter, 1998]. Il fut étendu ensuite, en particulier par les travaux de l’UNEP [Feenstra et al., 1998] et de l’UCSP (United States Country Studies Program) [Smith et Lazo, 2001]. Ces documents décrivent des outils et des méthodes standardisées, à même de guider la recherche et les études.

Pris ensemble, ce cadre méthodologique, ces outils et la manière dont ils ont été appliqués, sont constitutifs de ce que l’on peut appeler l’approche standard de la recherche sur l’adaptation. L’essentiel de cette approche est contenu et peut être résumé par la définition des sept étapes constitutives du cadre méthodologique relatif à l’analyse des impacts et de l’adaptation développé initialement par l’IPCC [Carter et al., 1994 ; Parry and Carter, 1998]. Il consiste en la séquence suivante :

(ii) Sélectionner la méthode d’évaluation la plus appropriée ; (iii) Tester la méthode et conduire des analyses de sensibilité ;

(iv) Sélectionner et appliquer des scénarios de changement climatique ; (v) Caractériser les impacts biophysiques et socioéconomiques ;

(vi) Analyser les ajustements autonomes ; (vii) Evaluer des stratégies d’adaptation.

La recherche sur les modalités de définition, d’évaluation et de prioritisation de politiques d’adaptation s’est donc d’abord développée et a été principalement appréhendée comme une extension, une étape supplémentaire, des modèles d’impact, c'est-à-dire selon l’approche et la méthodologie initialement développées pour analyser la dangerosité du changement climatique. Elle se focalise sur les impacts spécifiques et additionnels du changement climatique en se fondant sur la séquence analytique suivante : trajectoires d’émission de GES, scénarios de changement climatique, impacts biophysiques à moyen et long termes, effets des adaptations autonomes attendues, et détermination des options d’adaptation optimales. Cette séquence traduit donc une chaine causale, linéaire et prédictive des impacts et de l’adaptation, où les scénarios de changement climatique déterminent les impacts futurs du climat, qui en retour définissent les besoins d’adaptation [Füssel, 2007 ; Jones et al., 2002]. Cette approche est donc dirigée par les scénarios de changement climatique à long terme et découle directement de la construction du changement climatique comme un problème de pollution et d’environnement global, donnant ainsi une attention minime aux facteurs et dynamiques d’ordres non-climatiques. C’est en effet une approche

top-down, d’abord centrée et focalisée sur les impacts biophysiques incrémentaux du changement climatique anthropogénique, qui a mis de coté le rôle de la vulnérabilité structurelle et de l’adaptation à la variabilité climatique actuelle, alors qu’elles pourraient constituer la base analytique pour appréhender les changements futurs et structurer les modalités de réponse.

Un aspect crucial de cette approche est donc identifié dans l’étape (iv), qui implique la sélection et l’application de scénarios de changement climatique, et dont les choix structurent la conduite et les résultats des étapes suivantes d’analyse des impacts et des choix en matière d’adaptation. En se fondant sur les scénarios issus des MCG, l’approche standard dirige ainsi explicitement l’attention sur les impacts futurs du changement climatique d’origine

anthropogénique. Elle évacue par défaut les questions des impacts du climat et de la variabilité climatique actuellement subis, de la vulnérabilité structurelle comme déterminants des risques futurs. Elle évacue finalement la manière dont le changement climatique et l’adaptation s’inscrivent plus généralement dans des problématiques multi-stress pour les systèmes. Cette orientation provient de l’appréhension du changement climatique comme un problème de pollution, et de la définition des concepts d’impacts, de vulnérabilité et d’adaptation comme des anomalies dont il s’agit de gérer les effets de manière ad hoc. Le changement climatique est cependant non seulement un problème de pollution déterminé par les caractéristiques et la structuration du secteur énergétique et leurs effets spécifiques, mais également un enjeu de développement bien plus large.

L’étape (iv) suppose la sélection de projections et de scénarios climatiques dérivés des MCG, qui sont alors imposés sur les systèmes biophysiques et socioéconomiques, généralement par le biais de l’utilisation de modèles d’impact comme les modèles agro-météorologiques de croissance des cultures [FAO, 2001], ou leurs pendants pour les écosystèmes forestiers, les systèmes hydrologiques et côtiers. La recherche dans ce contexte a été particulièrement prolifique et a produit une littérature très volumineuse sur les impacts potentiels du changement climatique, telle que résumée et recensée dans les Rapports d’Evaluation successifs du Groupe de Travail II de l’IPCC (Tegart et al., 1990, Watson et al., 1995 ; Mc Carthy et al., 2001, Parry et al., 2007). Cependant, cette littérature est surtout impressionnante pour ses résultats en termes d’identification et d’évaluation des impacts biophysiques potentiels. Elle est néanmoins beaucoup moins développée et bien moins convaincante lorsqu’il s’agit des impacts socioéconomiques, notamment car une attention bien moindre a été dévolue à l’appréhension de la vulnérabilité structurelle des communautés et des secteurs impactés, ainsi qu’aux changements socioéconomiques qui les caractérisent, qu’aux modifications attendues dans les conditions du climat per se.

Ainsi, la méthode la plus communément utilisée pour évaluer la vulnérabilité et l’adaptation est dirigée par les scenarios climatiques, et vise à prédire la vulnérabilité future en focalisant sur les aspects biophysiques des changements consécutifs aux scénarios climatiques retenus. Si ce cadre analytique a permis de générer des résultats cruciaux pour identifier les risques, œuvrant ainsi pour une prise en compte croissante de l’adaptation dans les politiques climatiques [Schipper, 2006], leurs résultats n’ont généralement eu qu’une utilité des plus limitée pour le développement de politiques d’adaptation. Ils n’ont en effet pas permis de générer les informations pertinentes pour l’identification, l’évaluation et

l’opérationnalisation de telles stratégies [Klein et al., 1999 ; O’Brien, 2000 ; McMichael et

al., 2001 ; Burton et al., 2002 ; Kovats et al., 2003 ; Füssel, 2007].

Les résultats de la plupart des évaluations de la vulnérabilité et de l’adaptation issus des études sectorielles, nationales ou constitutives des Communications Nationales sont des exemples particulièrement probants de cette incapacité majeure. Par exemple, près de 140 Communications Nationales contenant des évaluations de la vulnérabilité et de l’adaptation suivant généralement le cadre standard défini par l’IPCC ont été soumises à l’UNFCCC, mais leur utilité et leurs impacts sur la définition de politiques d’adaptation ont été des plus minimes. De cette méthodologie linéaire fondée sur une chaine causale d’évènements il résulte en effet que les adaptations qui pourraient être recommandées sont intrinsèquement conditionnelles aux scénarios climatiques sélectionnés comme input de l’analyse. Or l’appréhension de scenarios alternatifs, non moins improbables les uns que les autres, peuvent dans de nombreux cas conduire à proposer des stratégies d’adaptation différentes. Par ailleurs, l’application de ce cadre standard a généralement conduit à limiter l’analyse à l’estimation, plus ou moins grossière, des impacts potentiels du changement climatique. Le processus des Communications Nationales, qui s’est appuyé sur l’approche standard, a invariablement montré en effet que l’essentiel des efforts et des ressources a été dévolu à la sélection et l’application de scenarios climatiques ainsi qu’à la détermination des impacts de premier ordre à attendre de ces scénarios. La composante adaptation de ces études est restée particulièrement sommaire dans la plupart des cas. Les efforts ont ainsi généralement été confinés dans l’évaluation de la vulnérabilité biophysique future consécutive à l’application de scénarios de changement climatique alternatifs et la dimension adaptation s’est finalement limitée à l’énumération de listes d’options d’adaptation potentielles [Lim et al., 2004 ; Jones et al., 2002 ; Burton et al., 2002 ; Lim, 2001].

Dans la perspective d’une meilleure compréhension et de l’analyse des modalités de définition de politiques d’adaptation, plusieurs explications majeures permettent d’expliquer les limites de l’approche standard dans sa capacité à fournir des résultats utiles à l’analyse des modalités de développement de politiques et de stratégies d’adaptation [Burton et al., 2002 ; Jones et al., 2002 ; Klein et al., 1999 ; 2007 ; Füssel et Klein, 2006]. On montre en particulier qu’en minorant le rôle des comportements dans la structuration des risques et des réponses à la variabilité climatique, ce cadre a atteint ses limites pour soutenir l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies d’adaptation.

1.2.2GESTION DE L’INCERTITUDE ET REPRESENTATION DES