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Par ailleurs, le risque de voir les intérêts

particu¬

liers professionnellement

organisés l'emporter

sur

l'intérêt général, disparaîtra lui

aussi puisqu'une

ambiance mystique assurera la

prédominance de

l'intérêt collectif et la primauté du point

de

vue

de l'Etat. Et cette ambiance pourra, en outre, ani¬

mer le système économique

d'un dynamisme

et

d'une flamme qui corrigeront ce que

le

corpora¬

tisme purement économique

comportait de

ten¬

dancetrop statique et de dangers

de cristallisation.

negie.

1 Cfsur ce point lesouvrages de MM. Oualid et Picquemard

et de M. Roger Picard dans la collection de la Dotation

Car-62 LE CORPORATISME

Seulement qui ne voit que le corporatisme aura

perdu, dans l'aventure, l'essentiel des caractères qu'il présentait sous sa forme théorique initiale?

Il se donnait alors comme une self administration des intérêts économiques, opposée à la contrainte étatique, et il est devenu une sorte de façade, der¬

rière laquelle s'exerce un pouvoir politique très

fort car règne une mystique nationale

ardente et où toutes autres préoccupations sont subordonnées à l'intérêt supérieur du pays, il est fatal que s'installe, au sommet de l'Etat, la dicta¬

ture d'un seul ou de quelques-uns, qui imposeront

la loi de salut public. Du même coup, à tous les degrés du corps social, le « politique » va l'em¬

porter sur r«économique», alors que c'était une des originalités de la doctrine corporative que de

vouloir substituer à des assemblées préoccupées de politique des organismes animés de préoccupations économiques et chargés de la compensation des

intérêts matériels.

Nous avons peu parlé, jusqu'ici, des expériences étrangères, parce que, au sujet de ces expériences,

se pose la question préalable de savoir si elles sont

ou non véritablement du corporatisme et que cette question, il eût été prématuré de l'aborder avant moment présent. M. Mussolini, et les théori¬

ciens les plus qualifiés du fascisme, tels que

G. Bottaï et A. Rocco, ne manquent jamais une occasion de dire que les institutions nouvelles de

l'expérience italienne 63

l'Italie sont la réalisation du corporatisme. De là vient, à leur sens, l'originalité du fascisme, qui lui

permet, surleplan économique, de se distinguer à

la fois du capitalisme et du socialisme et, sur le plan politique, de s'opposer à la démocratie classi¬

que dont la France est le prototype \ Par contre,

les commentateurs non-italiens de l'expérience

fasciste s'accordent à peu près tous pour déclarer

que les corporations n'existent pas en Italie et que derrière une façade pseudo-corporative s'exerce à

tous les étages la dictaturedu pouvoir politique.

En réalité, l'expérience italienne confirme,

croyons-nous, l'interprétation que nous venons

de

donner du corporatisme. Cette subordination de l'économique au politique, du social au national,

de la corporation à l'Etat, elle n'est pas un hasard

ni un accident et, de même, l'association entre le corporatisme et la dictature s'explique par une raison profonde. La vérité est que le corporatisme économique intégral n'est point réalisable, parce qu'il impliqueuneharmonisation automatique des

1 II existe une littérature très abondante en Italie sur la théorie du corporatisme. Les grandesrevues (en particulier le

Giornale degli Economisa, Economia,les Nuovi Studi di dirit-to, economia e politica) sont remplies de dissertations sur ce sujet. Pour une première orientation dans cette bibliographie

on pourra se reporter à la « reproduction autorisée» de con¬

férences faites à l'Ecole des Hautes Etudes par l'auteur du présent ouvrage, publiées aux éditions Domat-Montchrestien

sous le titre : Les théories de l'équilibre économique.

L. Walras et Y. Pareto (1934), pp. 381-395.

64 LE CORPORATISME

intérêts collectifs particuliers qui nous l'avons

vu précédemment est une pure chimère. Le cor¬

poratisme ne peut fonctionner que s'il est un des

moyensparlesquels seréalisel'effacementdupoint

de vue des classes devant le point de vue de la

nation et l'encastrement des individus dans des groupes particuliers qui eux-mêmes sont encastrés dans le groupe national. Sous un régime de dicta¬

ture, le corporatisme donne à ces diverses subor¬

dinations le revêtement ingénieux d'une sorte de self-administration qui, au reste, correspond en

partie à la vérité, car toute dictature durable re¬

pose, au moins en partie, sur l'adhésion des mas¬

ses 1, mais c'est la mystique nationale, c'est-à-dire

un sentiment politique et non des intérêts écono¬

miques qui forme le ciment grâce auquel est obte¬

nue la cohésion de l'ensemble.

Au terme de cette analyse, j'ai l'impression

d'avoir peut-être jeté plus de trouble que je n'ai apporté de lumière dans les esprits. Mon excuse, c'estquele sujetest infiniment plus complexe qu'il

ne le semble à première vue. A le prendre dans

sa notion formelle, le corporatisme parait suscep¬

tible d'obtenir l'unanimité des esprits, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent, la

ten-1 « Aucune dictature ne pourrait exister longtemps sans le consentementd'unegrande partie des gouvernés.»A. Maurois,

Les besoins de l'Etat moderne, (Revue des deux Mondes, 15 février 1934, p. 825).

CONCLUSION 65

dance politique dont ils relèvent, la philosophie

pour laquelle ils penchent.

Analysé plus à fond, replacé dans le réel, scruté

dans sanature intime, ilapparaît sous unjourbien

différent. Le corporatisme représente une concep¬

tiondela sociétéplus statiquequedynamique, plus

conservatrice que progressive ; il est un instru¬

ment de subordination du consommateur au pro¬

ducteur, de l'ouvrier au patron \ du social au na¬

tional. Il s'accommode plus aisément de la dictature, qui le corrige de ses faiblesses, que de

la démocratie, qui le transformerait en anarchie

collective. Il est donc fatal qu'il se heurte à la

défiance de ceux qui demeurent attachésà la liberté économique et politique, de ceux qui accordent au¬

tant d'importance aux problèmes de répartition qu'aux problèmes de production, de ceux, enfin, qui ne veulent pas retirer aux masses ouvrières

1 En France les milieux patronaux ne sont pas unanimes dans leur appréciation du corporatisme. Tandis que les uns lui apportentune adhésion totale, d'autres paraissent craindre

que le corporatisme ne se traduise par des restrictions gênantes à leurs initiatives personnelles et préfèrent, somme toute, le régime actuel, avec les possibilités d'action qu'il leurlaisse, à la situation des patronsitaliens, dont ils n'igno¬

rent pas les doléances. Cf. sur cepoint :G. Cogniot, Economie dirigée, Textes et Documents, (l'Université Syndicaliste, mai 1934); G. Friedmann, Démasquons la Corporation, (Europe, 15 août 1934); Etat ou Etatisme ? (Questions du Jour, 1, janvier 1934 et deux articles de M. P. Chaboche dans La Revue Hebdomadaire, 8 juillet et 11 novembre 1933.

66 LE CORPORATISME

l'espoir d'une transformation de régime dans les

relations entre le capital et le travail.

Quantàsavoirsi, dansl'avenir, prochain ou loin¬

tain, lecorporatisme a chance degagner du terrain

et de s'instaurer en France, nous en avons assez

dit pour qu'on aperçoive que la réponse à cette question ne relève pas de données uniquement économiques. D'une façon ou d'une autre, les

groupes sont appelés -— tout au moins dans le sec¬

teur de la grande industrie à prendre, sous le

contrôle de l'Etat, des fonctions réglementaires.

Cette accession des groupes se fera-t-elle dans une ambiance de préoccupations purement nationales

et sous un régime de dictature? Ou trouvera-t-on les moyens de concilier le fédéralisme économique

et la démocratie politique? de satisfaireà la fois les exigences de la productivité et le sentiment de la

justice? d'accorder l'ordre social, qui suppose une

discipline collective, et le progrès civique, qui im¬

plique une participation effective des individus et des masses à la gestion de la chose publique?

Assurément de telles synthèses sont difficiles à

mettre au point 2. Si pourtant elles étaient

pos-1 La C. G. T., dans ses plans récents de reconstruction

(texte dans l'Information Sociale, du 11 octobre 1934),

et M. Paul-Boncour, dans sondiscours de Saint-Aignan et dans

sa déclaration ministérielle (texte dans l'Etat Moderne, de mai 1933) se sont très nettement prononcés en faveur de solutions orientées en ce sens. Mais les difficultés commen¬

cent quand on veut passer des synthèses verbales, toujours faciles, aux réalisations effectives.

CONCLUSION 67

sibles, onaccorderaqu'elles apporteraient aux pro¬

blèmes de l'heure présente une solution plus satis¬

faisante que le pur corporatisme, parce que plus

conforme à la fois au tempérament français et à

l'ensemble des tendances profondes du monde

moderne.

TABLE DES MATIÈRES

Pages La doctrine corporatiste avant la guerre : La Tour

du Pin ; L'Action Française ; Le catholicisme social. La faveur actuelle de l'idée corporatiste.

Sa pénétration dans les milieux socialistes. Son

succès auprès des jeunes 7

I. Les mérites du corporatisme 17

Le corporatisme et les doctrines. La crise de l'indi¬

vidualisme. La crise de l'étatisme. Le corpo¬

ratisme comme auto-administration des corps

professionnels 19

Le corporatisme et les faits. L'essor de l'action col¬

lective en matière économique et sociale. La nécessité desrègles communes dans l'économie

contemporaine 24

II* Les difficultés du corporatisme 37 Corporatismeet progrès économique. Caractère sta¬

tiqueet conservateurdu système corporatif . . 40 Corporatisme et intérêt général. Risque de pri¬

mauté des intérêts particuliers des producteurs

sur les intérêts des consommateurs et sur

l'intérêt général 48

Corporatisme et classe ouvrière. Antagonisme entre le corporatisme et le syndicalisme 57 Corporatisme et démocratie. Le lien de fait entre

le corporatisme économique et la dictature politique. Sa signification profonde 62

ïmp. G. Thone, Liège (Belgique)

împ. G. Thone,Liège(Belgique)

DOCTRINES SOCIALES ET SCIENCE ÉCONOMIQUE. Science économique et socialisme.Science et doctrines écono¬

miques. Nouveauxaspects du

coopéra-tisme.L'étatactuel de lascience écono¬

mique en France. Fondement de la

valeur et lois de l'échange. M.

Panta-leonietla théorieéconomique.

In-8°, 1929 25fr.

LÉON DUGU1T ET L'ÉCONOMIE POLI¬

TIQUE.

Gr.in-8°, 1933 4fr.

LACRISE DUCAPITALISME.Capitalisme

etéconomie dirigée. Néo-socialisme et capitalisme. Capitalismeetnationalisme.

L'avenirdu capitalisme.

In-8°, 1934 épuisé.

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