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Au delà de la mortalité accrue, la paratuberculose provoque une baisse de la produc- tion chez les animaux infectés. De plus l’implication de Map dans la maladie de Crohn a été suspectée dès les années 1910, soulevant une possible question de santé publique. Nous séparerons l’étude de l’importance de la paratuberculose selon les trois axes sui- vants :

— Importance économique; — Importance en santé animale; — Importance en santé publique. 2.3.1 Importance économique

L’inflammation chronique de l’intestin résultant de l’infection par Map est associée à un syndrome de malabsorption des nutriments, principalement des protéines. Il en ré-

2. ÉPIDÉMIOLOGIE sulte un déséquilibre du ratio énergie/protéines ayant un effet direct sur les capacités de production de tous les ruminants infectés. De manière classique, nous retrouvons une diminution de la production laitière et bouchère ainsi qu’un raccourcissement de la vie économique des animaux infectés.

McGregor et al. (2015) ont classé une cohorte de 83 agneaux, tous exposés à Map sur une pâture contaminée, en s’appuyant sur des résultats de culture tissulaire ainsi que la grada- tion des lésions histopathologiques observées après euthanasie. Le suivi du poids des ani- maux sur trois ans (16, 21, 26, 32 et 36 mois) indique une réduction significative du poids des animaux avec des lésions multibacillaires par rapport à ceux ne présentant ni lésions, ni isolement à partir des tissus. Cette baisse de poids est apparue dès 21 mois d’âge et est devenue clairement significative à partir de 32 mois. À la fin du suivi, les animaux avec une forme multibacillaire pesaient en moyenne 4,85 kg de moins que les animaux témoins. Dans cette même étude, la production de laine était également suivie, sans qu’une diffé- rence n’ait été observée entre les animaux sévèrement affectés et les autres. La perte de poids est également constatée chez les bovins dans des études rétrospectives aussi bien en production laitière (Kudahl and Nielsen, 2009) que bouchère (Bhattarai et al., 2013), en se basant sur les pesées d’abattoir et en définissant le statut infectieux des animaux à partir des résultats d’ELISA ou de coproculture.

L’effet d’une infection par Map sur la production de lait chez les bovins est sujet à controverse. Les nombreuses études disponibles rapportent soit une diminution de la quantité de lait produite soit un faible effet, voire une production plus élevée. La majorité de ces études sont construites en opposant un groupe "indemne" à un groupe "infecté" dont les définitions sont variables (animal ou cheptel positif à un test ELISA sur le lait, sur le sang, animal ou cheptel excréteur) (Lombard et al., 2005 ; Hoogendam et al., 2009 ; Gonda et al., 2007 ; Johnson et al., 2001). Cette différence de cible rend difficile la compa- raison des effets rapportés par ces études, mais l’effet le plus probable serait une produc- tion plus élevée de lait pendant la première lactation avant une réduction de celle-ci avec l’avancée de la maladie. Il n’existe pas d’étude sur la production laitière ovine, mais nous pouvons supposer que les effets sont similaires à ceux observés chez les bovins.

Les performances de reproduction chez les ovins et les caprins ont notamment été étudiées par Kostoulas et al. (2006a) dans quatre élevages infectés par Map. Dans cette étude rétrospective, le statut de 173 ovins et 196 caprins ne présentant pas de symptômes de paratuberculose a été déterminé par sérologie ELISA et culture fécale, un animal étant considéré comme infecté dès lors qu’un des deux tests était positif. La réussite des perfor- mances de reproduction était codée par une variable binaire (un si l’animal avait donné naissance à une progéniture vivante l’année précédant les tests, zéro dans le cas opposé) et modélisée en fonction de variables explicatives comprenant la parité, le statut infec- tieux ainsi que l’élevage comme effet aléatoire. Les résultats obtenus étaient là aussi va- riables selon l’âge des brebis : les animaux infectés de parité inférieure à quatre avaient un OR de réussite à la reproduction de cinq (IC 95% : [1,5-13,3]) par rapport aux animaux non-infectés, alors que les animaux infectés de parité supérieure à six avaient un OR de 0,05 (IC 95% : [0,007-0,4]) par rapport aux animaux de même parité considérés comme non-infectés.

Deux hypothèses simples permettent d’expliquer les effets variables selon l’âge de l’infection par Map, que ce soit pour la production laitière ou les performances de re- production. Un biais de classification est possible du fait de la définition imprécise d’ani- mal asymptomatique infecté qui peut être excréteur ou non au moment du prélèvement servant à définir son statut infectieux. L’autre hypothèse serait une plus grande récep- tivité à l’infection des animaux les plus performants qui, durant les premières années de vie, contiennent l’infection avant d’observer un effondrement de leurs performances avec l’avancée de la maladie.

2.3.2 Importance en santé animale

Comme nous l’avons vu précédemment, l’évolution d’une infection par Map est le plus souvent irrémédiable une fois l’apparition des premiers signes cliniques. Whitting- ton et al. (2017) définissent un phénomène de résilience, difficile à mettre en évidence du fait de l’existence de l’excrétion passive qui peut faire conclure à tort à la présence

2. ÉPIDÉMIOLOGIE d’une infection. Pour explorer les mécanismes de cette résilience, de Silva et al. (2018) ont exposé 20 ovins qu’ils ont suivi durant deux ans et demi. Onze de ces animaux ont été qualifiés de résilients par les auteurs car ils ne présentaient pas de lésions histologiques ou d’excrétion fécale continue. La figure 7 montre la répartition des 20 animaux à la fin de l’essai et décrit les réponses de l’hôte (IFNγ et sérologie) associées à chaque catégorie.

FIGURE7 – Statut de 20 ovins exposés à Map au cours d’un suivi de deux ans et demi (de Silva et al., 2018)

Ab : Anticorps IFNγ : taux d’IFNγ

Pb : animaux paucibacillaires Mb : animaux multibacillaires

Onze des animaux enrôlés dans cette étude ont été considérés comme résilients à la fin du suivi, sept ayant été détectés comme excréteurs à un moment donné du suivi. Les auteurs n’ont pas rapporté de différences dans les paramètres immunologiques entre ces deux groupes.

D’autre part, la résistance de Map aux antibiotiques rend leur utilisation sur des ani- maux atteints de paratuberculose peu efficace et coûteuse. De plus, la restriction de l’usage de certaines familles d’antibiotiques sur les animaux d’élevage impose une contrainte supplémentaire pour la maîtrise de l’infection par Map. En l’absence de traitement, une dégradation progressive de l’état de l’animal infecté est observée. La seule possibilité pour l’éleveur pour limiter les pertes économiques est alors la réforme précoce des animaux in- fectés, avant qu’ils ne deviennent des non-valeurs. Le diagnostic des animaux en phase

préclinique est donc un aspect essentiel de la maîtrise de l’infection en élevage. Il est rendu difficile par les piètres performances des tests diagnostiques comme nous le ver- rons au paragraphe 4.3.

En France, un vaccin inactivé (Gudair®) est disponible pour les ovins et les caprins depuis 2009 et depuis fin 2014 pour les bovins (Silirum®)(cf. chapitre 5). Leur utilisation est réglementée du fait de l’existence de réactions croisées lors du dépistage de la tuber- culose (infection par Mycobacterium bovis) par intradermotuberculination (Garrido et al., 2013 ; Serrano et al., 2017).

2.3.3 Importance en santé publique

Le lien entre la paratuberculose et la maladie de Crohn a été suspecté dès 1913 par Dalziel (1989) suite à l’observation de trois cas cliniques humains présentant une inflam- mation de l’intestin. La participation possible de Map dans l’étiologie de la maladie de Crohn fait depuis l’objet d’une controverse scientifique sur le statut zoonotique de l’infec- tion paratuberculeuse. En 1945, Taylor (1953) décrit la lésion caractéristique comme une inflammation chronique de l’intestin, associé à l’épaississement de la paroi aboutissant à une sténose de la partie de l’intestin touchée. Ce tableau lésionnel n’est pas forcément associé à la présence de granulomes et à l’époque, l’agent étiologique de la maladie de Crohn ne pouvait que faire l’objet de suppositions. Trois hypothèses principales ont été proposées par Chamberlin and Naser (2006) pour expliquer la maladie de Crohn, souli- gnant qu’il s’agit surtout d’une manière d’interpréter les données disponibles en mettant l’accent sur tel ou tel point de la maladie

— un processus auto-immun; — une immunodéficience de l’hôte; — une infection par Map.

L’hypothèse auto-immune considère la maladie de Crohn comme une réaction anormale du système immunitaire digestif à la flore commensale, cette réaction est facilitée par des brèches dans la barrière mucosale, pouvant éventuellement être causées par Map. L’hypothèse de l’immunodéficience de l’hôte est basée sur le fait qu’un déficit d’activité des cellules neutrophiles (causé par des facteurs environnementaux ou génétiques) fa-

3. TESTS POUR LE DIAGNOSTIC INDIVIDUEL DE LA PARATUBERCULOSE cilite l’établissement des bactéries dans les macrophages, provoquant une réponse Th1 excessive à l’origine de symptômes similaires à ceux de la maladie de Crohn mais sans spécificité d’agent pathogène. La dernière hypothèse est simplement que l’agent patho- gène responsable de la maladie de Crohn est Map. Map est plus souvent détectée chez les patients atteints de maladie de Crohn que chez les individus témoins. Cette détection peut être réalisée par mesure des anticorps dirigés contre Map, par PCR/qPCR, par culture ou supposée suite à un traitement antibiotique efficace contre Map, permettant une ré- duction des symptômes chez les patients affectés (Kuenstner et al., 2017). Ces éléments, même s’ils ne permettent pas de démontrer un lien de causalité strict entre Map et la ma- ladie de Crohn vont dans le sens d’une corrélation. Map peut donc être vue comme au minimum un facteur de risque pour la maladie de Crohn. De plus, du fait de la résistance de Map dans l’environnement (paragraphe 1.1.5) ainsi que son excrétion dans le lait des ruminants (paragraphe 2.2.2), l’Homme est exposé à la mycobactérie (Pickup et al., 2005; 2006 ; Klanicova et al., 2012 ; Atreya et al., 2014 ; Grant et al., 2017). Si les caractéristiques observées pour la paratuberculose, notamment la sensibilité plus élevée des individus les plus jeunes, sont transposables entre espèces, alors Map a le potentiel pour devenir un enjeu de santé publique majeur dans les années à venir.

3 Tests biologiques pour le diagnostic individuel de la pa-

ratuberculose

Les tests diagnostiques utilisés pour le diagnostic individuel de la paratuberculose ou le dépistage de l’infection par Map peuvent être subdivisés en tests directs et indi- rects. Nous présenterons ici les principes sur lesquels reposent les tests les plus fréquem- ment utilisés, une synthèse sur leurs performances diagnostiques et sur les méthodes em- ployées pour les évaluer étant décrite dans le paragraphe 4.