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Chapitre 6 Discussion générale

2. Importance de caractériser la consommation de sucres et d’émettre des recommandations

Les associations défavorables entre la consommation de sucres libres et divers marqueurs de santé cardiométabolique ne se sont pas montrées très fortes dans l’échantillon que nous avons étudié de façon observationnelle et transversale, telles que présentées au chapitre 5. Il n’en demeure pas moins que la caractérisation de la consommation de sucres libres dans la population québécoise a un intérêt de santé publique [58]. En effet, avant la publication de nos résultats, à notre connaissance, il n’existait aucune donnée permettant de comparer la consommation de sucres libres de la population québécoise, ni même canadienne (avec des apports en sucres déterminés selon les valeurs nutritives des aliments consommés), à la recommandation quantitative de l’Organisation Mondiale de la Santé, soit moins de 10%É. Même si le Guide alimentaire canadien ne met pas à l’avant-plan de recommandation quantitative de consommation de sucres libres, il est intéressant de la caractériser pour suivre son évolution dans le temps, en plus de pouvoir évaluer

l’effet de la mise en place potentielle de mesures de santé publique visant à diminuer l’apport en sucres [45]. Pouvoir connaître et suivre dans le temps la teneur en sucres libres dans les aliments ainsi que la consommation des différents types de sucres est donc essentiel à la santé de la population [8]. Émettre des recommandations de consommation de sucres libres est également utile puisque celles-ci servent d’assise à la mise en place et à l’évaluation de politiques et d’actions gouvernementales, telles que des campagnes de santé publique visant la diminution de l’apport en sucres libres ou la modification de l’étiquetage nutritionnel dans le but de faciliter des choix alimentaires sains [8,54]. La comparaison des données de consommation de sucres libres aux recommandations peut également permettre de mettre en place des mesures incitant l’industrie à reformuler leurs produits ou d’encourager davantage la population à revoir à la baisse leur consommation de sucres libres [11].

Il importe aussi que les nutritionnistes et autres professionnels de la santé soient renseignés par rapport à l’enjeu du sucre afin de transmettre la bonne information au grand public. Wang et coll. ont montré que seulement 12% de l’échantillon de professionnels de la santé et de nutritionnistes canadiens (n=335), questionnés lors de deux congrès canadiens portant sur le diabète, pouvaient identifier correctement l’apport en sucres ajoutés au Canada parmi quatre choix de réponse [88]. Seulement 17% du sous-groupe de nutritionnistes (n=150) ont répondu correctement. De plus, seulement 10% de tout l’échantillon savait que la recommandation de l’OMS était basée sur des évidences en lien avec la carie dentaire, la grande majorité croyant que les évidences étaient en lien avec plusieurs maladies chroniques (obésité, syndrome métabolique, diabète et carie dentaire) [88]. Les sucres libres demeurent un nutriment d’intérêt puisqu’ils sont généralement associés de façon défavorable à la santé cardiométabolique, alors que les sucres naturellement présents y sont favorablement associés. Nos résultats ont justement montré une divergence dans les associations entre les sucres libres et les sucres naturellement présents et des variables de santé cardiométabolique (indice de masse corporelle, tour de taille, glycémie et insulinémie à jeun, HOMA-IR, protéine C-Réactive, triglycérides, cholestérol LDL et HDL, ratio du cholestérol total/cholestérol HDL, pressions artérielles systolique et diastolique et score Z du syndrome métabolique). Les pistes d’explication sont discutées à la section suivante.

Selon le rapport de l’OMS, aucun effet néfaste pour la santé n’a été associé à une diminution de la consommation de sucres libres [41]. On peut ainsi appuyer l’importance d’émettre des recommandations visant à limiter la consommation de sucres libres pour laisser une place plus importante aux aliments de meilleure qualité nutritive dans l’alimentation, dont certains contiennent des sucres naturellement présents, et ainsi, par le fait même, favoriser une bonne qualité globale de la diète. Recommander à la population de diminuer la consommation d’aliments contenant du sucre libre/ajouté peut aussi s’avérer utile pour diminuer la densité énergétique de la diète [37,55] et donc aider à une saine gestion du poids [49,102]. Respecter une certaine limite de consommation de sucres libres, tout en ne dépassant pas les besoins énergétiques quotidiens, pourrait

également permettre d’assurer un apport suffisant en micronutriments, puisque la consommation de sucres libres est associée à une dilution de nutriments dans la diète [13,67,130]. La dilution de nutriments provient du fait que si la proportion d’aliments riches en sucres libres, mais pauvres en nutriments, augmente dans l’alimentation, la proportion d’aliments nutritionnellement denses diminue de façon concomitante [67]. Au départ, le concept de sucres ajoutés, développé par le USDA Center for Nutrition Policy, avait justement pour but, en les évitant, de favoriser une consommation d’aliments moins denses en énergie et plus denses en nutriments [28].

Par contre, la limite de 10%É peut être difficilement atteignable pour certains [11]. De plus, il peut être compliqué, voire peu approprié, pour le consommateur de calculer son pourcentage d’apport énergétique quotidien provenant des sucres libres. D’ailleurs, la limite maximale de 10%É est remise en doute par différents auteurs qui la jugent trop sévère [86] ou qui affirment que les évidences ayant guidé ce choix quantitatif sont trop limitées [102].

Le sucre n’est pas exempt d’effets potentiellement néfastes sur la santé, mais il ne doit pas non plus être défini comme un nutriment toxique [87]. L’objectif de santé publique ne devrait pas être de viser une alimentation exempte de sucres, mais plutôt d’en diminuer la consommation. L’Association canadienne du diabète mentionne que «des quantités modérées de sucres peuvent être consommées en toute sécurité par les personnes atteintes de diabète et les personnes à risque» [traduction libre] [131].

Tel que la littérature le suggère et tel que nos résultats l’appuient, tous les sucres ne sont pas équivalents quant à leur association avec des variables indicatrices de l’état de santé. Il faudrait donc faire preuve de prudence et de nuances lorsqu’on aborde le lien entre la consommation de sucre et la santé. Il importe toutefois de préciser que quelques-unes des pistes de discussion avancées dans les prochaines sections pourraient être perçues comme étant dans le même esprit que certains des arguments que l’industrie du sucre utilise pour se défendre contre les tentatives de mise en place de réglementations et de politiques [25] visant à réduire la teneur en sucres dans les aliments, par exemple. Ainsi, les idées énoncées dans les prochaines sections ne font surtout pas l’apologie d’une consommation immodérée de sucres libres et ne tentent pas de sous-estimer leur impact sur la santé. L’objectif est plutôt de présenter, avec discernement, que le sujet est complexe et qu’on doit faire preuve de prudence en l’abordant.

3. Importance de tenir compte du type de sucre et de la forme dans laquelle il est