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Chapitre 6 Discussion générale

5. Stratégies visant à réduire la consommation de sucres libres

5.1. Étiquetage nutritionnel adéquat

D’abord, il peut être difficile pour les consommateurs de faire des choix alimentaires sains et de respecter les recommandations de consommation de sucre, puisque celles-ci portent sur les sucres libres, tandis que l’information transmise sur les étiquettes de valeurs nutritives au Canada est à propos de la teneur en sucres totaux [9]. Actuellement, les consommateurs ne peuvent pas connaître la teneur en sucres libres dans les aliments. En 2016, des modifications à l’étiquetage nutritionnel ont été faites au Canada, mais celles-ci ne concernent pas les sucres libres/ajoutés [5]. Un pourcentage de la valeur quotidienne (référence de 100g) pour les sucres totaux a été ajouté sur les étiquettes [5]. Cette valeur de référence de 100g par jour ne découle pas d’une recommandation [139]. Il s’agit plutôt d’une valeur reflétant le patron alimentaire de la population canadienne, tel que rapporté dans l’ESCC 2004 [139]. Bernstein et coll. sont d’avis que l’utilisation de cette valeur ne fait qu’encourager le statu quo [139]. Santé Canada affirme que cette valeur quotidienne de 100g de sucres totaux est «[…] conforme à un modèle d’alimentation saine […]» [140]. Dans son document explicatif intitulé «Modifications à l'étiquetage des aliments», le Gouvernement du Canada mentionne que le pourcentage de la valeur quotidienne est ajouté afin de permettre de mieux «[…] reconnaître les aliments sucrés dont il faut limiter la consommation, par exemple ceux dont la valeur quotidienne en sucres est égale ou supérieure à 15%»

[5]. Une autre modification apportée à l’étiquetage nutritionnel est le regroupement de tous les ingrédients à base de sucre dans la liste d’ingrédients afin d’aider le consommateur à identifier les sucres ajoutés au produit [5]. Ainsi, les consommateurs peuvent identifier la présence ou l’absence qualitative de sucres libres, mais ils n’ont aucune indication quantitative de la teneur dans le produit. Ils ne peuvent donc pas comparer entre elles les étiquettes de valeurs nutritives des aliments, afin de faire le choix contenant le moins de sucres libres. Lors de la consultation publique entourant les changements à l’étiquetage nutritionnel, les intervenants de la santé ont mentionné leur préoccupation quant au fait que d’indiquer le pourcentage de la valeur quotidienne pour les sucres totaux, et non la teneur en sucres libres ou ajoutés, pourrait entraîner de la confusion chez le consommateur [27,141]. Ils craignent que le consommateur puisse croire que l’apport en sucres totaux doit être limité, alors que ceux-ci peuvent provenir d’aliments intéressants d’un point de vue nutritionnel, mais contenant des sucres totaux sous forme de sucres naturellement présents, comme le yogourt ou les fruits [27,141]. Lors de cette consultation publique, les consommateurs et les intervenants de la santé étaient en faveur de l’ajout des quantités de sucres ajoutés sur les étiquettes de valeurs nutritives [27]. Toutefois, l’industrie n’était pas du même avis et remettait en question la pertinence de l’idée, en utilisant comme argument que le métabolisme des sucres ajoutés n’est pas différent du métabolisme des sucres naturellement présents [27]. Un autre argument utilisé par l’industrie concernait la difficulté de différencier les sucres avec des méthodes chimiques [27]. Par contre, les compagnies connaissent leurs recettes (et donc les quantités de chacun des ingrédients dans leurs produits) et seraient donc en mesure de fournir cette information aux autorités et de déclarer la teneur en sucres ajoutés sur les étiquettes.

Toutefois, une des craintes soulevées quant à cette façon d’indiquer la teneur en sucres dans les aliments est que le consommateur pourrait mal interpréter l’information présentée. Une étude menée aux États-Unis a évalué la compréhension de la population de trois différentes versions de l’étiquette de valeurs nutritives incluant 1- seulement les sucres totaux, 2- les sucres totaux (mais seulement identifiés comme «Sucres») et les sucres ajoutés ou 3- les sucres totaux (identifiés comme tels («Sucres totaux»)) et les sucres ajoutés [142]. Une importante proportion des participants étaient confus par rapport à la façon de tenir compte des sucres ajoutés [142]. Plutôt que de les considérer comme inclus dans les sucres totaux, la majorité (52%) les considérait en surplus des sucres totaux dans la version où ceux-ci étaient identifiés comme «sucres» (version 2) [142]. La proportion de participants ayant mal interprété l’information présentée était diminuée (33%) lorsque les sucres totaux étaient identifiés comme «sucres totaux» (version 3) [142]. Les auteurs concluent donc que d’ajouter la teneur en sucres ajoutés pourrait confondre le consommateur, plutôt que d’apporter de la précision [142]. Il y aurait toutefois des façons de présenter les valeurs nutritives pour aider le consommateur à mieux comprendre l’information véhiculée. Une étude canadienne a montré qu’on pourrait aider le consommateur à identifier si un produit contient ou non des sucres ajoutés en indiquant la teneur en grammes de sucres ajoutés sur les

étiquettes (version A) ou la teneur en grammes en plus du pourcentage de la valeur quotidienne (version B). En effet, comparativement aux participants exposés à la version de base de l’étiquette, qui n’inclut que la teneur en sucres totaux, ceux exposés à la version A, étaient davantage en mesure de dire si l’aliment contenait ou non du sucre ajouté (rapport de cotes de 2,85). La version B était celle qui permettait le plus aux participants de dire si l’aliment contenait ou non des sucres ajoutés (rapport de cotes de 2,99) [141]. De plus, la version B était aussi celle qui permettait le mieux de déterminer si le produit contenait «beaucoup» de sucres ajoutés, comparativement à la version de base de l’étiquette (rapport de cotes de 3,89) [141]. Il y aurait donc des façons de présenter l’information qui faciliteraient la compréhension, par exemple, une indication qualitative sur la teneur «élevée», «moyenne» ou «faible» en sucres ajoutés du produit pourrait être ajoutée à droite de la quantité en grammes [143].

Si l’ajout de la teneur en sucres libres ou ajoutés sur les étiquettes de valeurs nutritives devrait être fait de façon prudente et réfléchie, il semble que tenir compte de ce type de sucre plutôt que des sucres totaux permettrait de mieux classifier les aliments selon des méthodes de profilage nutritionnel. Différents outils de profilage nutritionnel existent et permettent de faciliter la comparaison des valeurs nutritives globales des aliments commerciaux, en attribuant un score selon la teneur en divers nutriments. La majorité des méthodes de profilage utilise la teneur en sucres totaux dans leurs calculs, mais d’inclure plutôt la teneur en sucres libres ou ajoutés permettrait une meilleure discrimination des produits. De cette façon, on pourrait mieux guider les consommateurs vers de meilleurs choix alimentaires à travers une même catégorie d’aliments. En Australie, une étude a montré que si on utilise la teneur en sucres ajoutés plutôt que la teneur en sucres totaux dans le calcul du Heath Star Rating, un outil de profilage nutritionnel, on pouvait mieux discriminer les aliments de base (core foods) des autres aliments (discretionary foods) [144]. Le Health Star Rating est un score sur 5, calculé selon les teneurs en nutriments ou ingrédients à privilégier ou à limiter, qui permet d’aider le consommateur à choisir les aliments ayant les meilleures qualités nutritionnelles [144]. Au Canada, un exercice semblable a été fait [145]. Une équipe de recherche a évalué les différences de classification des aliments commerciaux contenant «peu de sucres» (<5% de la valeur quotidienne) ou «beaucoup de sucres» (>15% de la valeur quotidienne) selon si l’on utilise les sucres totaux (valeur quotidienne de 100g) ou les sucres libres (valeur quotidienne de 50g, qui correspond à la recommandation de l’OMS, soit 10%É d’une diète de 2000 kcal) [145]. Trente-sept pour cent des aliments commerciaux étudiés contenaient «beaucoup de sucres totaux», alors que 54% des aliments contenaient «beaucoup de sucres libres» [145]. Indiquer l’information à propos des sucres libres dans le tableau de valeurs nutritives, plutôt que l’information à propos des sucres totaux, permettrait donc aux consommateurs de mieux identifier les aliments moins sains [145].

De tels systèmes de profilage nutritionnel des aliments pourraient également inciter l’industrie à améliorer la valeur nutritive de leurs produits afin d’obtenir un meilleur score, ce qui aurait comme effet potentiel d’améliorer l’apport alimentaire des populations et donc la santé de celles-ci [144,146].

Bref, afin de mieux informer le consommateur et pour espérer avoir de meilleures retombées sur la santé de la population, il serait préférable, tel que le recommande la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada, de rendre disponible l’information à propos des sucres libres (ou ajoutés) sur les étiquettes de valeurs nutritives [58]. En plus de modifier l’information que l’on rend disponible au consommateur, il serait avantageux de revoir la teneur en sucres ajoutés/libres dans l’offre alimentaire.